De la banlieue londonienne aux clubs du monde entier, Bradley Zero pratique le groove sans frontières

De la banlieue londonienne aux clubs du monde entier, Bradley Zero pratique le groove sans frontières

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Par Adrien Colle

Publié le

Invité au Rex Club ce jeudi par le collectif Beat X Changers, Bradley Zero s’est progressivement imposé comme l’une des voix les plus singulières de la club culture moderne. Rencontre avec un activiste du groove sans frontière. 

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Adressez-vous à ses anciens collègues de Boiler Room ou encore à Gilles Peterson, tous vous le confirmeront : Bradley Zero est un de ces personnages solaires, dont le caractère passionné, la générosité et la bienveillance lui valent les éloges de tous ses pairs, de Vancouver à Tel Aviv et de Londres à Melbourne.

Originaire de Leeds et installé depuis plusieurs années dans le quartier londonien de Peckham, dont il est devenu une quasi-mascotte, Bradley Zero a sillonné les clubs du monde entier en tant que host pour la très respectée Boiler Room, véritable plateforme de référence pour les musiques underground. Si Bradley a quitté la maison depuis plusieurs années, son flegme naturel, incarné par ses allocutions enthousiastes et son groove distinctif lorsqu’il danse, ont marqué une génération entière de music lovers.

Fondateur et DJ résident des soirées Rhythm Section sur la Rye Lane de Peckham, Bradley Zero s’attache depuis plusieurs années à réunir une communauté de danseurs, musiciens et producteurs locaux. Malgré son ambition a priori modeste – “une soirée locale pour les gens d’ici”, dit-il – les soirées Rhythm Section se sont mues en un rendez-vous nocturne incontournable pour les Londoniens. À l’image du regretté Plastic People, les soirées Rhythm Section se démarquent par leur liberté de ton et l’ouverture d’esprit des danseurs.

Capitalisant sur cette dynamique naissante, Bradley Zero saute le pas et Rhythm Section devient un label. Al Dobson Jr publie Rye Lane Volume One au mois de juin 2014 et couche en une vingtaine de minutes et une dizaine de beats l’essence du son de Peckham. Collection de samples de percussions poussiéreuses, claviers Rhodes chaleureux et citations flegmatiques de jazzmen d’un autre âge, Al Dobson Jr définit avec talent la direction artistique à venir du label. Suivront ensuite Local Artist, Henry Wu, Chaos in the CBD ou encore The Contours, dont les productions résolument soulful et le groove thérapeutique semblent faire corps malgré la disparité des esthétiques musicales représentées – deep house, jazz, hip-hop instrumental, indie pop.

Les nombreuses amitiés de Bradley Zero acquises au cours de ses années Boiler Room lui permettront de recruter bien au-delà de sa base arrière de Peckham : en Australie (Silenttjay, Prequel, Dan Kye aka Jordan Rakei), en Hollande (Duke Hugh) et ailleurs. Rencontre avec un activiste du groove sans frontière.

Comment définirais-tu Rhythm Section ? Pourquoi ce nom ?

Un mouvement musical en perpétuel évolution avec un sens de la communauté comme élément fondamental. Pour le nom, il fait tout simplement référence à l’articulation du beat et de la basse, qu’on retrouve dans tous les styles de musiques de danse.

On t’entend souvent dire que Rhythm Section est une “soirée locale pour les gens de Peckham”. Depuis quand y habites-tu ? Dans quelle mesure cet endroit t’a-t-il influencé musicalement ?

J’y ai déménagé en 2008. Le fait qu’un grand nombre de musiciens y vivent a eu un véritable impact, c’est clair. Au début, je mixais dans des soirées d’appartement et j’organisais des concerts avec mon groupe – j’étais dans un groupe de punk avec des mecs de Fat White Family. J’ai aussi travaillé dans un bar pendant plusieurs années, dont le patron, Ben Sassoon, était un véritable audiophile. Il avait des platines, des amplis d’époque et des enceintes Tannoy Gold. Je l’ai convaincu de me laisser mixer au lieu de faire mes horaires de serveur. Au fur et à mesure, je suis devenu le DJ résident, ça m’a permis de m’entraîner et de rencontrer pas mal d’amateurs de musique.

Comment décrirais-tu Peckham à quelqu’un qui n’y est jamais allé ?

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Peckham a toujours été un quartier pauvre. Beaucoup de gens luttent ici, il y a une grande pauvreté et donc une grande solidarité. La communauté s’adapte, évolue grâce à cette solidarité. Cela fait seulement 3/4 ans que Peckham est devenu une “place to be”. Avant, les gens ne connaissaient le quartier que par les blagues de la série Only Fools and Horses et les crimes à l’arme blanche. À cause de cette mauvaise réputation, les loyers du quartier restaient bas – et donc un grand nombre d’artistes fauchés sont venus s’y installer. Depuis, les choses ont changé et continuent de changer chaque jour – pour le meilleur et pour le pire.

Le propos de Rhythm Section n’est pas forcément de défendre un son radicalement “nouveau”, mais plutôt de renforcer le sentiment d’unité, de communauté sur un dancefloor. Comment on s’y prend pour y arriver ?

Les gens qui viennent aux soirées Rhythm Section sont tout simplement des gens du coin, ce sont des amis, des connaissances. Il faudrait pouvoir assister à une des soirées pour vraiment comprendre ce qui s’y joue. Le label, c’est un prolongement de mes goûts, mais la soirée, elle, a vraiment son énergie propre. 

Comment as-tu rencontré les artistes du label ? 

Henry Wu, je le connais depuis que j’ai déménagé à Peckham – il avait quelque chose comme 18 ans. Il vivait juste à côté de très bons amis et je l’entendais répéter avec son trio de jazz à travers le mur. 


Chaos in the CBD, je les ai rencontrés dans le train. Ils venaient juste de déménager de leur Nouvelle-Zélande natale quelques semaines auparavant et on est immédiatement devenus potes. En ce qui concerne Al Dobson Jr, je l’ai rencontré via Boiler Room. Mais il a toujours habité la rue d’à côté !  


Lorsque tu étais MC pour Boiler Room, tu as eu l’opportunité de voyager dans le monde entier et de découvrir de nouvelles scènes et de nouveaux artistes encore confidentiels. Quelles sont les villes et les scènes qui t’ont marqué ? Quelle est selon toi la prochaine scène qui va exploser ?

Travailler pour Boiler Room a été une véritable révélation, on m’a fait découvrir tellement de bonne musique. Je me sentais déjà faire partie d’une communauté locale, à Peckham, mais avec Boiler Room j’ai découvert que j’appartenais à une sorte de communauté globale !

L’Australie m’a marqué sur tous les plans. J’y suis allé grâce à Boiler Room et je suis tombé amoureux. Les gens, le pays, la nature, le rythme de vie, c’est incomparable. La scène est bouillonnante, avec des artistes tels que 30/70, Krakatau, Bad Channel  – vous êtes les premiers au courant ! Tel Aviv, également, boxe dans une autre catégorie, la ville abrite parmi les meilleurs clubs au monde. Il serait malhonnête de ma part de ne pas mentionner Vancouver, qui abrite certains de mes labels préférés tels que 1080p, Mood Hut, Pacific Rhythms and Acting Press.

Tu es un DJ et influenceur reconnu, quel est le dernier disque que tu as acheté ?

C’est un groupe de Melbourne qui s’appelle Krakatau. Ça faisait un bail (au moins quelques mois !) que je n’avais pas été aussi impressionné et obsédé par un nouveau groupe. Ils sonnent comme si Pink Floyd et Chic collaboraient pour la bande originale d’un film d’horreur italien. Juste incroyable ! 

Le disque qui ne quitte jamais ton sac ?

“Midnight in Peckham” de Chaos in The CBD, bien sûr !

 Que penses-tu de la musique électronique en France actuellement ? 

Le collectif Beat X Changers est vraiment intéressant. J’aime surtout Neue Grafik et la manière dont il s’approprie les sons du broken beat anglais et de la house de Detroit. Il est définitivement à surveiller. Je suis également un grand fan des morceaux plus mûrs des anciens du crew ClekClekBoom, en particulier Valentino Mora (ex-French Fries, ndlr) et Bambounou. Et mention spéciale à Louise Chen, Piu Piu, Betty et le boss Teki Latex. Et DJ Deep, comment pourrais-je l’oublier ! Ouais, j’adore Paris ! 

Un disque français que tu aimerais nous recommander ? 

L’EP “Body Nostalgia” de Valentino Mora.