Comment c’est loin : le dernier projet des Casseurs Flowters a déjà cinq ans

Comment c’est loin : le dernier projet des Casseurs Flowters a déjà cinq ans

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

En 2015, Orelsan et Gringe dévoilaient le film et l'album Comment c'est loin. La fin d'un chapitre pour les deux artistes.

Deux ans après une première expérience réussie, les Casseurs Flowters sont de retour. En 2013, Gringe et Orelsan s’associaient pour l’album commun Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters. Un effort ayant servi à introduire et présenter plus largement l’univers de leur duo, alternant entre absurdité et introspection. Mais les deux rappeurs signent leur come-back le 9 décembre 2015. Sauf que cette fois, ils poussent le concept encore plus loin en présentant non seulement un nouveau disque, mais aussi un long-métrage réalisé par Orelsan en personne accompagné de Christophe Offenstein.

Il faut dire qu’à cette époque, l’artiste caennais a déjà une aura considérable. Fort de ses deux premiers albums, l’ode à la défaite Perdu d’avance en 2009 et le splendide Le Chant des sirènes deux ans plus tard, Aurélien Cotentin est une tête d’affiche de la scène française. Sa décision de s’associer à nouveau avec Gringe – son comparse du commencement avec lequel il avait notamment sorti une mixtape en 2004 ainsi qu’un des hits controversés des débuts de YouTube, “Saint-Valentin” – avait étonné puisque Guillaume Tranchant, de son vrai nom, peinait encore à se faire connaître du grand public. Mais le premier album des deux hommes avait rapidement rassuré, tant la complémentarité entre les deux artistes était évidente, y compris lors de leur immense tournée qui a suivi.

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En quête du bonheur

C’est donc forts de ce succès qu’Orelsan et Gringe avancent sereinement vers la sortie de ce nouveau projet. Mais si le premier album racontait une histoire se déroulant sur une journée entière, le second est bien plus ouvert, tout en restant dans l’identité marquante construite lors du premier disque.
Chacun y développe ses propres thèmes personnels : les rapports familiaux compliqués (“Quand ton père t’engueule”) et l’échec (“J’essaye, j’essaye” en featuring avec sa grand-mère) pour Orelsan, l’infidélité chronique pour Gringe (“Le mal est fait”). Mais tous les deux se symbiotisent dans la vie de galère post-vingtaine de branleur, entre rêves d’adolescence brisés et réalité d’un monde adulte sans pitié, et aspirent au bonheur sans le moindre effort pour y parvenir (“À l’heure où je me couche”).

Les deux artistes forment un groupe qui n’a cure des codes du rap français, n’hésitant pas à proposer du chant pur et non filtré malgré des voix pas forcément adaptées à ce registre, et des sujets variés du quotidien. De quoi créer et entretenir une réelle proximité avec les auditeurs. D’autant plus que ceux-ci sont plutôt nombreux, les Casseurs Flowters proposant une musique accessible, jonglant entre rap kické et chansons beaucoup plus pop, voire parfois mélancoliques (“Inachevés”, “Si facile”), se payant même le luxe d’un titre avec Akhenaton et Wiley. Le tout est bien entendu produit par Skread, beatmaker attitré du label 7th Magnitude, qui s’offre même quelques tracks entièrement instrumentales pour amener du mieux possible les changements de ton de “Greenje et Orselane”.

Le film, touchant et plein d’autodérision, apparaît alors comme le résultat du croisement des deux albums. On y retrouve l’idée d’un délai d’une journée pour que les deux artistes bouclent un titre, sous la pression de leurs producteurs séduits il y a déjà plusieurs années de cela par leurs prédispositions certaines au rap (“Freestyle Radio Phoenix”), tandis que la bande originale pioche des morceaux dans les deux disques. Inspiré très librement de leurs propres débuts de carrière laborieux, Comment c’est loin met en valeur les textes hyper-référencés des Casseurs Flowters, qui deviennent alors un moyen de contribuer pleinement à la narration de l’histoire du long-métrage. Un peu à la façon d’une comédie musicale, l’enthousiasme en moins.

Deux branleurs dans un canapé

Pourtant, si l’aspect comique est parfois présent et entièrement assumé – dans la lignée de leur mini-série Bloqués diffusée sur Canal+ –, il cache toujours une réflexion et un sens plus profond. Entre lucidité et second degré, loufoque et sérieux (voire morosité), les personnages apparaissent alors aussi cool que deep, surtout lorsqu’ils parviennent à s’échapper de leur procrastination permanente. Le film est également l’occasion de questionner la place du rap loin des agglomérations, et d’exposer l’entourage des deux rappeurs – dont fait partie l’inoubliable Diamond Deuklo.

Ainsi, le film Comment c’est loin a bénéficié de critiques résolument positives de la part de la presse spécialisée, et a été acclamé par le grand public qui lui a offert un joli succès dans les salles obscures – environ un quart de million d’entrées avec une distribution et un budget modestes. S’ensuivront une nouvelle tournée conséquente, sortie sous le nom de Live Tour 2016, et la conclusion de leur série Bloqués. Mais ce projet cinématographique et musical marque aussi l’émancipation respective des Casseurs Flowters, après deux disques de platine en deux albums. 

Orelsan a depuis sorti son troisième album La fête est finie et a rencontré un succès monstrueux. Gringe de son côté a enfin dévoilé son premier effort solo, le touchant Enfant lune en 2018 (depuis certifié disque d’or), a poursuivi une carrière intéressante en tant qu’acteur (Carbone, Les Chatouilles, Damien veut changer le monde) et est même devenu un écrivain plébiscité avec son premier livre Ensemble, on aboie en silence. Un duo gagnant-gagnant donc, qui a apporté de la consistance et de la diversité artistique à la carrière du premier et a enfin fait décoller celle du second. Et ce même si Orelsan et Gringe resteront à jamais les Casseurs Flowters.