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Charlotte Abramow célèbre les femmes en donnant vie au titre “Les Passantes” de Georges Brassens

Charlotte Abramow célèbre les femmes en donnant vie au titre “Les Passantes” de Georges Brassens

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Par Naomi Clément

Publié le

Désireuse de prendre part à la Journée internationale des droits des femmes, la réalisatrice et photographe belge signe un clip des plus poétiques, qui sublime les femmes dans toute leur diversité, et ravive la flamme de la chanson française.

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Plus d’un demi-siècle après sa naissance, “Les Passantes” renaît aujourd’hui de ses cendres. Cette chanson mythique, interprétée par Georges Brassens en 1972 et tirée d’un poème d’Antoine Pol, reprend en effet vie à travers le regard de Charlotte Abramow, jeune photographe belge de 24 ans, qui s’est récemment illustrée dans la réalisation avec “La Loi de Murphy” et “Je veux tes yeux”, les deux premiers clips de la chanteuse Angèle.

Dévoilé à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, cette version clipée des “Passantes”, qui donne un second souffle à la chanson française, est une véritable ode aux femmes, dans laquelle défilent notamment l’artiste Claire Laffut, la vidéaste Marion Séclin, la journaliste Alice Pfeiffer, l’actrice Déborah Lukumuena, sans oublier Angèle, sa loyale comparse.

Fidèle à son esthétique délicate, Charlotte Abramow présente ici une succession de tableaux photographiques, engagés et poétiques, qui se lisent comme une représentation de la place des femmes dans la société actuelle, et exposent une jeunesse conquérante, créative et diversifiée. Elle nous raconte.

“Faire revivre de vieilles chansons françaises mythiques un peu oubliées dans les tiroirs”

Konbini | Un mois après avoir offert le clip de “Je veux tes yeux” d’Angèle, tu es aujourd’hui de retour avec cette vidéo, qui se lit comme une véritable ode aux femmes. Comment est née l’envie de créer ce projet ?

Charlotte Abramow | Le cerveau qui a eu l’idée de ce projet est celui de Christophe Coffre, qui est le directeur de la création du groupe Havas Paris. Il avait, depuis plusieurs années, cette idée de faire revivre de vieilles chansons françaises mythiques un peu oubliées dans les tiroirs. Constatant qu’à l’heure actuelle, la musique se consommait beaucoup de manière visuelle pour nos générations (le clip a une vraie importance aujourd’hui, la musique s’écoute sur YouTube, etc.), il s’est dit qu’il serait intéressant de donner à de jeunes réalisateur.rice.s l’opportunité d’interpréter visuellement les chansons de l’époque et a soumis l’idée à Universal.

Je trouve que c’est une idée fantastique, moi qui fantasmais des clips sur des chansons du siècle passé ! J’aime beaucoup cette initiative car il y a un retour au passé, une ré-interprétation du passé. On ré-injecte cela dans le monde d’aujourd’hui et on constate quel hybride artistique et social cela peut donner, et quel écho cela peut avoir aujourd’hui. Cela donne également un nouveau souffle aux chansons et permet de les faire (re)découvrir aux plus jeunes.

Pourquoi avoir choisi ce titre, “Les Passantes” de Georges Brassens ?

“Les Passantes” est la première chanson choisie pour être clipée car elle était le plus en écho avec l’actualité et tout ce qu’il se passe comme prise de conscience autour du harcèlement depuis l’affaire Weinstein. Universal et Christophe Coffre étaient vraiment à la recherche d’une réalisatrice femme afin de lui donner la parole en images sous la forme d’une carte blanche. Je suis super contente d’avoir été choisie et d’avoir pu créer vraiment mon film de A à Z. J’en profite pour remercier tout le monde pour la confiance qu’on m’a accordée !

“J’ai voulu représenter une diversité de femmes inspirantes”

Pour ce clip, tu as fait appel à de nombreuses femmes, parmi lesquelles Angèle, Claire Laffut, Marion Séclin ou encore Alice Pfeiffer. Comment les as-tu sélectionnées ?

J’ai mis en scène dans mon clip le maximum de femmes qui m’inspirent. Qu’elles soient connues ou non, qu’elles soient mannequins d’un jour ou de toujours. C’était leur premier tournage pour beaucoup d’entre elles. Angèle, Claire Laffut, Marion Séclin et Alice Pfeiffer sont à mes yeux des femmes symboles de talent, de succès, d’empowerment, d’entreprenariat et de communication. Angèle et Claire Laffut sont des artistes et des amies, chacune pleine de créativité, s’exprimant en chansons. Marion et Alice sont clairement plus engagées dans le féminisme et j’aime leurs propos, ce qu’elles ont à dire.

Marion Séclin s’est toujours positionnée en tant que féministe dans ses vidéos afin de pouvoir inviter les gens à se questionner sur le sujet et changer leur état d’esprit. Elle a été vivement critiquée pour cela et cyberharcelée de manière massive. Marion a fait une magnifique conférence lors d’un TED sur ce sujet que je vous invite à regarder. Alice Pfeiffer est une super journaliste qui pose un prisme sociologique sur à peu près tout ce dont elle parle et je trouve cela passionnant. Elle donne à la mode une vraie résonance sociale et identitaire, elle a étudié le genre et a une vision très intéressante et très ouverte sur ce sujet. On a vraiment l’impression d’apprendre des choses quand on la lit et c’est plutôt plaisant ! De manière générale, j’ai voulu représenter une diversité de femmes inspirantes simplement par leurs visages, par leurs personnalités, par leurs métiers ou par leurs engagements.

“Une jeunesse forte, conquérante, créative, déterminée, égalitaire et diversifiée”

Fidèle à ton esthétique, ce clip mélange à la fois des portraits vivants et des natures mortes en plan serré. Pourrais-tu me raconter la façon dont tu as pensé les séquences qui constituent cette vidéo ?

Ce sont vraiment les paroles qui m’ont inspirée chaque plan du clip. Je me suis concentrée sur ce que m’évoquait chacun des vers, découpés et mis à part. Par exemple, pour le vers “À celles qui sont déjà prises, et qui vivant des heures grises “, j’ai voulu métaphoriser par une image simple, un ensemble d’oppressions que peuvent subir les femmes. Le plan est illustré par une jeune femme coincée dans une boîte qui essaie de s’en extirper. On peut interpréter ce plan de mille manières et chacun aura sa vision de cette oppression. Les limites de la boîte parlent d’elles-mêmes.

En écho à l’histoire de mon père (projetmaurice.com), j’ai imaginé une aide-soignante qui aide un papy à marcher lorsque Brassens dédie le poème “À la compagne de voyage”, car les aides-soignantes ont été très importantes dans ma vie. C’est un métier solidaire, profondément altruiste. Pour “d’un avenir désespérant”, j’ai voulu justement prendre le contre-pied de ce triste constat qu’évoque ce groupe nominal, en mettant en scène un groupe de jeunes gens, parmi eux Angèle, Claire Laffut, Déborah Lukumuena, Yseult, Tristan Lopin et plein d’autres jeunes gens créatifs, qui font des choses chouettes.

Dans ce groupshot, il y a des jeunes réalisateur.rice.s, photographes, peintres, comédien.ne.s. Je voulais représenter une jeunesse forte, conquérante, créative, déterminée, égalitaire et diversifiée. Et montrer que justement, l’avenir n’est pas si désespérant. Pour “vous serez dans l’oubli demain”, j’ai mis en parallèle des vergetures avec un paysage vu du ciel – un delta d’un fleuve, afin de raccorder le corps de la femme et ses imperfections à la nature tout simplement, relativiser et être dans l’acceptation de son corps à voir comme un paysage.

“Les femmes sont soumises au regard de l’autre même dans leur plus proche intimité”

Ta vidéo s’ouvre et se termine sur une représentation poétique du sexe féminin, que de nombreuses artistes contemporaines ont représenté dans leurs œuvres (je pense notamment à l’installation “The Dinner Party” de Judy Chicago, ou plus récemment aux fruits suggestifs de Stephanie Sarley). En quoi était-ce important pour toi de le représenter à ton tour ?

Le sexe féminin est aujourd’hui encore tabou : cela semble toujours dérangeant de le montrer. Les demandes d’opérations de chirurgie plastique, les labioplasties, ont explosé ces derniers temps. C’est pour dire comme les femmes sont soumises au regard de l’autre même dans leur plus proche intimité ! Et se sentent oppressées au niveau de l’apparence jusqu’à leur vulve. Le vagin a aussi longuement été considéré comme un sexe faible, comme l’absence de pénis. Je voulais montrer la métaphore de la vulve comme une force, montrer qu’on peut y voir plein de métaphores. Et que cela peut être source de plaisir comme de vie. Il ne faut pas oublier que le vagin est l’origine du monde et de chaque être humain.

Cette vidéo s’inscrit finalement dans la lignée de tes précédents travaux : que ce soit en matière de photographie ou de réalisation, tu as, me semble-t-il, toujours eu cette volonté de mettre les femmes en lumière (des femmes de tout âge, de tout horizon, de toutes origines). Y a-t-il un message particulier que tu souhaites faire passer à travers ton travail ?

C’est vrai. Je me sens proche des femmes, même si j’aime beaucoup les hommes. Il y a eu des femmes qui ont marqué ma vie. Ma mère bien sûr avant tout, ma grand-mère, Maryline, une garde-malade de mon père, Gina… Comme je l’ai dit, j’aimerais inviter les gens à se questionner et à réfléchir sur leurs réactions, leurs pensées, leurs comportements sans aucune volonté moralisatrice. C’est vraiment une proposition, une interprétation parmi beaucoup d’autres ! J’ai vraiment le sentiment chouette – peut-être utopiste mais j’assume ma naïveté – que la société évolue et qu’on peut devenir de meilleurs humains.

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