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Le grand Charles Bradley nous a quittés il y a un an : retour sur une légende de la soul

Le grand Charles Bradley nous a quittés il y a un an : retour sur une légende de la soul

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PASADENA, CA – JUNE 24: Singer Charles Bradley performs onstage during Arroyo Seco Weekend at the Brookside Golf Course on June 24, 2017 in Pasadena, California. (Photo by Scott Dudelson/WireImage)

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Par Brice Miclet

Publié le

Il était probablement l’artiste contemporain qui faisait le mieux sonner la soul de l’ancienne école. Charles Bradley, disparu il y a tout juste un an, a connu le succès sur le tard, après une vie très difficile qui a considérablement imprégné sa musique. Avec ce nouvel album, Black Velvet, sa voix déchirante et le souvenir de ses prestations scéniques électriques renaissent.

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“Quand Dieu est disposé à donner, il donne à fond. J’ai longtemps cru que la vie ne me ferait aucun cadeau, que mon temps serait donc venu. Même si, au fond de moi, j’ai toujours peur d’être heureux.” Ces paroles de Charles Bradley résument la mentalité de ce chanteur à la voix si particulière.

Décédé il y a tout juste un an, à l’âge de 68 ans, il était probablement l’un de ceux qui incarnaient le mieux le renouveau de la soul américaine. Avec cette particularité commune à plusieurs artistes du label Daptone : il a réellement commencé sa carrière sur le tard, à 53 ans.

Auparavant, il menait une vie en dent de scie, alternant entre euphorie et désespoir, contraste qui habitait totalement sa musique, tout comme celle de son idole, James Brown. Auteur du livre Move On Up : La soul en 100 disques, Nicolas Rogès résume bien la chose : “En concert, il rayonnait de bonheur, puis se traînait sur le sol la seconde d’après, comme terrassé par des souvenirs qu’il était seul à connaître. C’était ça, Charles Bradley : un jeu de contrastes.”

Il laisse ainsi derrière lui l’image d’un showman et d’un homme complexe.

Une enfance dans le ghetto

“Entendre Charles chanter pour la première fois est quelque chose d’assez comparable à la première fois où l’on tombe amoureux, nous confie Tommy Brenneck, celui qui l’a découvert en 2001 et qui est devenu son ami, son guitariste et son producteur. C’était une opportunité totalement unique de faire de la musique avec un authentique chanteur de soul qui n’avait jamais connu le succès, et qui semblait être une source d’inspiration infinie de par les hauts et les bas qu’il avait connus toute sa vie.” Car avant d’être sorti du bois par Tommy Brenneck, Gabe Roth (aka Bosco Mann) et la bande de Daptone, Charles Bradley en a bavé.

Né en Floride, il est abandonné par sa mère à l’âge de 8 ans, et confié à sa grand-mère vivant à Brooklyn. Là, il mène une vie misérable en grandissant dans une extrême pauvreté, celle-là même qui le poussera à fuir le domicile familial à 14 ans pour dormir dans la rue et dans le métro.

“Charles semblait être une source intarissable de douleur et de désespoir, ce qui explosait à la face de tous ceux qui le laissaient chanter, hurler, ou gémir, continue Tommy Brenneck. La douleur qu’il avait en lui apportait une grande profondeur à tout ce qu’il chantait.”

Musicien dans de petites formations, il ne parvient pas à accrocher le public, mais plutôt de nombreux patrons de restaurants pour lesquels il sera cuistot, de Brooklyn à la Californie. Une vie de labeur loin des projecteurs.

Je lèche des culs, mais je le fais honnêtement

En 1994 a lieu un événement décisif dans la vie du chanteur : alors qu’il vit sur la côte ouest, sa mère l’appelle, lui demandant de regagner New York afin de la rencontrer. Il restera finalement vivre avec elle. À l’époque, son nom de scène est Blue Velvet, et il parvient à se produire dans des clubs, dans de petites salles…

Mais le meurtre de son frère puis le décès de sa mère le font sombrer. Il continue à avancer cependant, jusqu’à ce qu’il rencontre Gabe Roth et Tommy Brenneck, qui le feront sortir de l’anonymat. Il est notamment revenu sur cette période dans une interview donnée à Noisey, en 2014 :

“Je suis revenu de l’enfer. J’ai été seul depuis mes 14 ans, et j’en ai vu des choses. Pourtant, dès que j’allume la télé, je vois toutes ces horreurs… Je ne veux pas être impliqué là-dedans. Je reste loin de tout cela. Je ne vaux pas mieux que tous ces gens dehors qui luttent. J’essaie juste de profiter de ce que j’ai. On dit que tu n’auras pas ce que tu veux dans la vie, alors prends soin du peu que tu as.

Je vois des gens qui m’envient, et je me demande pourquoi. Parce que j’en ai vraiment bavé, et pour être honnête, j’ai léché pas mal de culs pour sortir la tête de l’eau. Quand je regarde en arrière, je ne vois rien d’autre que le ghetto et un monde de corruption. Alors je lèche des culs pour continuer à avancer, mais au moins, je le fais honnêtement.”

Grâce à Daptone, Charles Bradley va devenir, dès 2011, le fer de lance de la soul à l’ancienne. Son premier album, No Time For Dreaming, sort alors qu’il est âgé de 63 ans. Une seconde vie, en somme. Tommy Brenneck le reconnaît :

“La vie de Charles fut pleine de traumatismes, encore et encore, mais je crois qu’il est parvenu à renaître en tant qu’artiste quand il a appris à diriger toutes ces années de souffrance vers ses chansons. ‘Heartaches & Pain’ est la première chanson où Charles écrit à propos d’une tragédie personnelle [celle des décès successifs de son frère et de sa mère, ndlr].

C’est comme ça qu’il a trouvé sa voix, et qu’il a commencé à écrire des textes. Cette chanson, tout comme ‘The World (Is Going Up In Flames)’, marque cette transformation : celle du papillon qui s’extirpe du cocon.”

Faire renaître l’homme de ses cendres

En trois albums sous le nom de Charles Bradley, le soulman a su se créer une image certes proche de celle de James Brown, mais aussi de celle d’Otis Redding, autre star du genre dont sa voix se rapprochait étrangement. Les disques sont parfois inégaux, mais l’âme est là – et le son initié par les geeks de Daptone aussi.

Surtout, ceux qui ne l’ont jamais vu sur scène peuvent s’en mordre les doigts, tant ses prestations furent habitées et transcendantes. Consolation : le label Daptone sort le 9 novembre un album posthume intitulé Black Velvet, en référence à l’ancien blase de Bradley. Le premier extrait, une ballade magnifique, est déjà disponible et se nomme “I Fell A Change”.

Peu avant son décès, Charles Bradley avait dû annuler sa tournée canadienne. Il a quitté ce monde dix mois seulement après son amie Sharon Jones, autre grande voix de la soul, autre membre de Daptone Records. Les emmerdes arrivent toutes en même temps, paraît-il… La France fut l’un des pays ayant le mieux accueilli sa musique et son aura.

“Nous buvions du cognac à Cognac, du champagne en Champagne, et jouissions de tous les beaux dîners que nous désirions, se souvient Tommy Brenneck. Charles aimait la France ! Comme nous tous.” Et c’était réciproque.