Charles Aznavour, petit d’un mètre soixante-cinq devenu géant de ce monde

Charles Aznavour, petit d’un mètre soixante-cinq devenu géant de ce monde

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LONDON, UNITED KINGDOM – OCTOBER 25: Charles Aznavour performs on stage at the Royal Albert Hall on October 25, 2013 in London, England. (Photo by Christie Goodwin/Redferns via Getty Images)

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Par Rachid Majdoub

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Les débuts

Charles Aznavour (de son vrai nom Aznavourian) naît à Paris d’un couple d’immigrés venus d’Arménie qui attendent un visa pour les États-Unis. Il gardera des liens très forts avec le pays de ses ancêtres. À ses débuts, il veut devenir comédien et fait de la figuration au théâtre et au cinéma.
Aznavour se lance dans la chanson en duo avec Pierre Roche au début des années 1940. En 1946, il rencontre Charles Trenet et Édith Piaf, qui le surnomme “le génie con” et le force à se refaire le nez. Il écrit pour d’autres (“Plus bleu que le bleu de tes yeux” pour Piaf, “Je hais les dimanches”, chanson refusée par Piaf mais adoptée par Juliette Gréco) mais n’a aucun succès comme interprète et se voit affublé du sobriquet peu flatteur d”‘enroué vers l’or”. La légende raconte aujourd’hui qu’il aurait écrit ou coécrit plus de mille chansons.
La donne change au milieu des années 1950 avec le succès de “Sur ma vie” (1954) et des passages à la célèbre salle de concert parisienne L’Olympia. Au cinéma, il tourne avec François Truffaut pour “Tirez sur le pianiste” en 1960, l’année de sortie de “Je m’voyais déjà”, l’une de ses plus fameuses chansons.

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Triomphe mondial

En 1963, Aznavour triomphe au Carnegie Hall de New York et, devenu une vedette internationale, se lance dans une tournée mondiale. Il se rend alors pour la première fois en Arménie. Deux ans plus tard, il monte l’opérette “Monsieur Carnaval”, d’où est tirée “La bohème”. Et en 1968, il épouse en troisièmes noces une Suédoise, Ulla Thorsell.
Dans les années 1970, Aznavour se frotte à des thèmes de société dans ses chansons : “Mourir d’aimer”, tirée du film du même nom et inspirée par le suicide d’une enseignante en 1969 après une liaison avec un élève, ou “Comme ils disent”, qui évoque l’homosexualité.
Les plus grands artistes reprennent ses chansons : Ray Charles chante “La Mamma” (écrite par Aznavour avec Robert Gall, le père de France Gall), Fred Astaire “Les plaisirs démodés” et Bing Crosby “Hier encore”. Il poursuit aussi sa carrière au cinéma, avec notamment “Le Tambour”, de Volker Schlöndorff (1979) ou “Les fantômes du chapelier” de Claude Chabrol (1982).

Monument de l’humanité

En 1988, il vient en aide à l’Arménie, meurtrie par un tremblement de terre, fonde le comité “Aznavour pour l’Arménie” et écrit le texte de la chanson humanitaire “Pour toi Arménie”. En 1991, il partage la scène à Paris avec son amie Liza Minnelli et, en 1995, rachète les éditions musicales Raoul Breton (Piaf, Trenet, puis, plus tard, Lynda Lemay).
Quand d’autres songent à la retraite, lui continue d’enchaîner disques, livres de souvenirs et concerts à travers le monde. “Je n’ai jamais, jamais prononcé le mot adieux !”, s’emportait-il en 2011, avant d’entamer une série de 22 concerts à L’Olympia pour ses 87 ans.
Sur scène, il impressionnait par sa vitalité intacte et ne faisait que quelques concessions à l’âge : un prompteur pour pallier les trous de mémoire, un fauteuil pour les coups de fatigue, sur lequel il reposait plus souvent en septembre pour ces dernières représentations au Japon après s’être fracturé un bras cet été. Sobrement habillé, sans artifices, il se retrouvait seul face au micro.
Dans l’une des chansons, “J’abdiquerai”, Aznavour évoquait la mort en s’amusant ironiquement de son statut de monument de la chanson : “S’il me reste encore un beau spectacle à faire/Un bel enterrement flatterait mon ego.”

Pour finir, le texte d’un de nos lecteurs, Walid :

Définitivement le dernier des géants de la chanson francophone et de son âge d’or. Il n’y avait déjà plus Brel, Brassens, Ferré, Reggiani, Piaf, Ferrat ou encore Gainsbourg, mais il restait Aznavour, éternel et imperturbable, parcourant les époques et le temps avec la même vigueur, prodiguant le verbe d’une génération à l’autre.
Jusqu’au bout, il a traîné ses vieux os sur scène pour chanter sa bohème, ses vingt ans et ses amours perdus, tellement habité qu’on voyait même poindre une larme au coin de ses yeux quand il évoquait sa belle jeunesse. Cet homme a chanté pour la génération de nos grands-pères et de nos pères, et il était encore là pour les moins de vingt ans actuels, à leur parler d’un temps qu’ils ne pouvaient réellement pas comprendre.
Ce qui m’a toujours fasciné avec Aznavour, c’est sa capacité incroyable à me rendre nostalgique d’une époque que je n’ai pourtant pas connue. Il avait dans ses mots, dans sa voix et sur sa face émue cette façon de conter des périodes de sa vie que l’on avait envie de vivre aussi, terriblement même, l’exemple le plus connu étant bien sûr “La Bohême”. C’était quand même le seul mec au monde qui pouvait faire déprimer un jeune de 20 ans en chantant ” Hier encore j’avais 20 ans ” … Parce que tu t’imagines déjà à sa place, quelques années plus tard.
Peu ont chanté l’amour, l’amitié et le voyage comme il l’a fait. Et il n’y a pas à dire, les chanteurs de sa génération avaient la classe : Brel ou Aznavour, c’était juste un micro sur scène, et rien de plus. Ni effet pyrotechnique, ni bling-bling, ni aucun artifice. Ils montaient sur scène comme on va au travail, dans de petits costumes ni trop beaux ni trop usés, sans autre chose que leurs mots, et ils tenaient toute une salle dans la paume de leurs mains, transcendée et transcendant à souhait.
En tout cas, quel modèle de longévité, de régularité et de pugnacité. Il n’a pas volé sa légende.