Longue discussion avec Brav, le rappeur qui chante les histoires de tout le monde

Longue discussion avec Brav, le rappeur qui chante les histoires de tout le monde

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Par Hong-Kyung Kang

Publié le

Pour la sortie de "Parachute", son projet si particulier et important, le Havrais a donné du sien… comme à son habitude.

La musique, un art à la fois pudique et puissant qui fait jaillir les sentiments inexprimables enfouis en chacun, sert souvent d’exutoire aux artistes. Après une longue période d’absence, Brav présente Parachute, un nouvel album à travers lequel il chante pour lui, mais surtout les personnes qui souhaiteraient se poser un instant pour réfléchir au fonctionnement de ce monde. Un projet à la poésie mélancolique, qui invite chaque auditeur à prendre le temps de se retrouver avec lui-même.

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Konbini | Salut Brav. On te connaît depuis un moment, mais peux-tu te présenter ?

Brav | Brav, artiste issu de la musique urbaine. Mais même si je suis originaire de la musique rap, aujourd’hui, je fais autre chose, en continuant de m’inspirer du rap. Ça fait plus de 15 ans que je fais de la musique. Je suis originaire du Havre, j’ai commencé avec l’équipe de Din Records avec Médine notamment. Je me suis lancé en solo en 2015 avec un premier projet appelé Sous France.

Tu dirais que tu es à quel stade de ta carrière aujourd’hui ?

Je suis encore dans le développement. Si on devait comparer à une vie humaine, je dirais que je suis encore à quatre pattes. Je découvre encore, je me nourris de plein de choses, que ce soit des sonorités ou des nouvelles façons d’écrire des textes. Je sais que je n’ai pas fini de m’enrichir. Je n’ai pas encore la prétention d’être connu du grand public, je suis encore à la recherche de l’exposition. Mais j’ai déjà l’assurance pour commencer à marcher sur deux pieds, pour filer la métaphore.

D’où t’est venue l’idée de faire un documentaire ?

J’avais besoin de répondre à des questions. J’ai une communauté qui est très forte et très présente dans la musique que je développe. Je dirais que cette communauté est au centre de ma musique. S’il n’y avait pas cette complicité que je partage avec ces gens, je serais moins inspiré.

Et au moment où ça s’est “mal passé” avec ma maison de disques, il fallait que je réponde également aux personnes qui se demandaient pourquoi je ne sortais jamais de projets alors que j’étais signé en maison de disques. J’avais besoin de rassurer, de raconter l’histoire telle que je l’ai vécue. De faire le tri, puis de repartir à nouveau, tout neuf.

Tu parles beaucoup de la relation que tu as avec ton public, c’est pour ça que tu as choisi de faire un projet participatif ?

C’est exactement pour ça. Je connais vraiment la force qu’a mon public au sein de ma musique. Je qualifie ma musique d’horizontale, en opposition à la verticalité que les gens voient aujourd’hui, en établissant un rapport de force entre les personnes. Pour moi, tout le monde est même niveau dans la musique. Ce sont des liens que tu crées avec les gens, lors de concerts ou au studio, que se nourrit ma musique, et je permets aux gens de s’exprimer à travers moi.

Dans ton film, tu parles de ton identité, ton parcours. Que voulais-tu représenter exactement ?

Il y a des choses sur lesquelles j’avais besoin de mettre des mots, c’est un peu comme une thérapie. Une fois que le film sort et qu’il existe publiquement, je n’ai plus besoin de garder ça en moi. C’est pour cette raison qu’on fait de la musique, pour évacuer ses troubles, pour ne pas les ruminer. Le but du documentaire était aussi d’expliquer qui je suis, aux gens qui me découvrent aujourd’hui et qui ne connaissent l’histoire de ma carrière.

Comment as-tu pensé, écrit et réalisé ce film ?

En général, j’écris tout. À côté de ma carrière musicale, j’ai toujours voulu raconter des histoires. J’écrivais et je réalisais moi-même mes clips. J’ai toujours eu cette envie d’écrire, que ce soit musicalement ou à travers la vidéo.

J’avais juste à réfléchir à ce laps de temps que j’ai traversé, entre la sortie de mon projet Nous sommes en 2018, et celle de Parachute. J’ai pris des éléments à travers lesquels je pouvais visuellement montrer les choses, et qui permettaient à mon film d’avoir un fil conducteur. Et j’ai proposé toutes mes idées à un réalisateur qui s’appelle Yves Brua, et on a fini le film à deux.

Il y a des références politiques dans la vidéo, par exemple des allusions aux gilets jaunes. Ce sont des choses qui sont importantes pour toi ?

C’est mon éducation. Je ne cherche pas forcément les faits actuels pour en faire une chanson, mais à un moment donné, il faut que j’exprime certaines choses. Mais si je n’étais pas inspiré je ne le ferais pas. Je fais très attention à comment je dis les choses. Je pourrais faire des pamphlets où je gueule contre un système qui me dégoûte personnellement, mais je fais attention car ça ne sert à rien de crier si on n’a pas d’arguments. Si j’en parle, c’est parce que ça me touche.

(© Facebook/Brav)

Tu abordes ta période en maison de disques, qu’est-ce que ça fait de revenir en indépendant ?

C’est une nouvelle page qui se tourne. Le retour en indépendant, je l’ai un peu appréhendé quand j’ai appris qu’on allait peut-être faire marche arrière sur certaines choses. Mais finalement, même si je suis conscient qu’on va peut-être galérer, on va quand même aller au bout des choses.

Tout de suite, je me rends compte que je suis moins dans l’attente que quand j’étais en maison de disques, et je gagne du temps sur plein de choses. Je suis d’autant plus motivé que c’est moi qui prends mes propres choix. Si j’ai envie de faire quelque chose demain, j’ai juste à en parler à mon équipe. C’est un peu ça la musique, il ne faut pas trop réfléchir avec la tête, c’est surtout le cœur.

Ton projet Parachute, tu l’as réalisé dans cet esprit-là ?

Il y a des morceaux sur lesquels j’avais travaillé durant ma période de signature, parce que ça a été une très bonne période malgré tout. Je ne veux pas paraître ingrat envers une maison de disques qui m’a tendu la main. Sauf que je me suis rendu compte que ce système n’était pas fait pour moi, peut-être que c’était moi qui n’étais pas prêt ou que c’était eux qui voulaient que les choses se passent plus vite.

Les titres de Parachute ont été réalisés très rapidement. Je ne m’étais pas arrêté d’écrire, et à partir de janvier-février, on a réuni les maquettes que j’avais faites. J’ai aussi retravaillé les morceaux que j’avais écrits quand j’étais signé, et on a tout mis sur ce projet.

Il y a un morceau que tu préfères sur ce projet ?

Je crois qu’il y en a deux. Le premier, c’est “Éteindre la lumière” parce qu’il très personnel, mais j’aime raconter des choses qui sont très privées, que les gens ne voient pas. J’ai l’impression de regarder en moi. Le deuxième, c’est “Autour du soleil”, car c’est un morceau qui fait partie de mes singularités. Ce n’est pas du chant, ce n’est pas du rap, c’est une nouvelle forme artistique, une performance on va dire.

(© Facebook/Brav)

Tu as un style que les gens ont du mal à définir, quelle est ta position par rapport à ça ?

Au début, ça ne m’emballait pas vraiment quand on n’arrivait pas définir ce que je faisais. Je me disais que je n’étais pas un ovni à ce point. Sauf qu’entre-temps, il y a de nouveaux artistes qui ont émergé. Un mec comme Lomepal, par exemple, qui fait un peu de la variété urbaine, a explosé. Aujourd’hui, je suis moins tout seul dans mon créneau, donc je suis plus visible on va dire. Je dirais que je suis entre Odezenne et Lord Esperanza. Ils ont eu un enfant et c’est moi. [Rires.]

Comment tu vois l’avenir ?

Je pense qu’on devra se réhabituer à certaines choses, le retour des concerts par exemple. Et musicalement, il y a des morceaux que j’ai écrits qui sont d’un autre univers, que je ne peux pas donner tout de suite, car je procède par étapes. Mais il y a des titres que j’ai hâte de sortir.

Mon ambition n’est pas concentrée sur un projet en particulier, je regarde ma carrière dans sa globalité. Je ne peux pas passer du classique au boom-bap d’un projet à un autre, il y a des ponts à faire entre les deux. J’ai envie de construire une œuvre cohérente dans son ensemble. Je préfère faire du durable que de l’éphémère.