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Les Blackpink viennent-elles de tuer la K-pop à coups de featurings ?

Les Blackpink viennent-elles de tuer la K-pop à coups de featurings ?

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Photo de la page Facebook officielle de Blackpink

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Par Hong-Kyung Kang

Publié le

Le défaut du premier album du girls band, c'est que ce n'est pas vraiment un album de K-pop.

Un événement majeur dans le monde de la K-pop : Blackpink, le plus grand girls band du moment, vient de dévoiler, ce vendredi 2 octobre, son tout premier album, sobrement intitulé The Album. Le succès de ce disque fait l’objet de peu de doutes, tant le groupe a fait sensation à chacune de ses sorties, notamment sur YouTube, où le clip de son single “How You Like That” a brisé le record de la vidéo la plus vue en 24 heures.

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À croire que la pop coréenne ne s’est jamais aussi bien portée. Nuançons, cependant : lorsqu’on se penche de plus près sur l’album, cette affirmation peut légitimement être remise en cause.

D’abord, la tracklist affiche fièrement des featurings avec Cardi B, Selena Gomez et David Guetta. Si les collaborations entre artistes coréens et étrangers se sont multipliées ces derniers temps, aucun album de K-pop n’avait contenu autant de têtes d’affiche en aussi peu de morceaux.

Ensuite, sur huit titres, les paroles de pas moins de quatre d’entre eux sont écrites en anglais. Un choix qui vient confirmer la tendance des artistes de K-pop à sortir des chansons anglophones, comme les BTS l’ont récemment fait avec leur single “Dynamite”.

À l’écoute de The Album, on découvre des morceaux pop terriblement bien calibrés, totalement dénués de cet arrière-goût légèrement kitsch, typique des groupes coréens. Le problème est probablement là : avec de tels partis pris, les Blackpink viennent peut-être de signer l’arrêt de mort de la K-pop.

La K-pop : un genre que les puristes de la première heure ont déjà oublié

Ce questionnement sur l’authenticité ou non des morceaux de K-pop remonte à assez loin. Il a en effet débuté à l’époque où les idols coréens ont commencé à travailler avec de célèbres artistes internationaux. Par exemple, en 2014, le rappeur et leader du boys band Big Bang dévoilait le single “Dirty Vibe”, en collaboration avec Skrillex et Diplo.

Le single a reçu un accueil très mitigé de la part des fans de K-pop. Où était passé l’univers flashy et coloré de G-Dragon ? Il était totalement absorbé par la patte de Skrillex, qui ne lui avait laissé aucune place artistique. Si les fans internationaux ont été autant déçus du titre, c’est parce qu’ils ne reconnaissaient pas la pop coréenne dont ils s’étaient épris. “Dirty Vibe” n’était qu’un morceau comme des milliers d’autres aux États-Unis.

À partir de cette époque, certains fans n’ont cessé de déplorer cette américanisation de la K-pop. Était-ce le caprice de certains puristes, mécontents de voir leurs groupes préférés devenir mainstream, ou une réelle déception musicale ? La vérité se trouvait alors certainement quelque part entre les deux. En effet, la pop coréenne s’est toujours inspirée de ce qui se faisait de l’autre côté du Pacifique, parfois de manière peu subtile. Par exemple, ce même G-Dragon avait été accusé, quelques années plus tôt, d’avoir plagié le titre “Right Round”, de Flo Rida, dans le morceau “Heartbreaker”.

Si Flo Rida a lui-même affirmé part la suite ne pas considérer G-Dragon comme un plagiaire, le problème identitaire de la K-pop reste le même : ne serait-elle finalement qu’une pâle copie des productions américaines ? Si la réponse n’est pas aussi radicale, on ne peut pas dire que le rap, le R’n’B et la pop n’ont aucune influence sur la musique coréenne.

Deuxièmement, on ne peut décemment nier que la K-pop a toujours été un objet de consommation avant tout. Beaucoup de chansons d’artistes coréens sont traduites en japonais, pour composer ainsi des albums réédités à destination du public nippon. Récemment, c’est exactement ce qu’ont fait les BTS avec Map of the Soul 7: The Journey. Si proposer des œuvres traduites paraît évident en littérature, la pratique n’a jamais semblé essentielle en musique. Ressortir les mêmes chansons traduites en japonais, c’est, en quelque sorte, faire comprendre que l’œuvre des artistes de K-pop n’a aucune intégrité en soi.

La K-pop s’est-elle réellement perdue ?

Il faut, malgré tout, nuancer tout le mal qu’on vient de dire de la K-pop. Premièrement, l’identité de la pop coréenne n’est pas seulement musicale, elle est aussi essentiellement visuelle. De ce côté, les idols, même les plus connus, semblent rester fidèles à la tradition, en proposant des clips toujours aussi colorés et pailletés. Deuxièmement, le fait que les chansons de K-pop soient en anglais ne semble pas gêner le grand public. En atteste le succès de “Dynamite”, le dernier single des BTS, qui s’est hissé à la première place du Billboard Hot 100.

Le premier album des Blackpink s’insère donc parfaitement dans l’évolution logique qu’a suivie la K-pop depuis ses débuts. Dans un sens, les productions coréennes n’ont jamais été aussi propres, que ce soit visuellement ou musicalement. Également, il faut avouer que l’univers des Blackpink et ceux de Selena Gomez ou de Cardi B se mélangent très bien. Au lieu de parler à une petite frange d’auditeurs, la K-pop s’adresse désormais à tout le monde.

Cependant, on ne peut cacher une petite déception. L’une des forces de la K-pop résidait dans son rôle de porte d’entrée vers la Corée du Sud. C’est un genre qui a permis à des millions de personnes de s’intéresser plus largement à la culture coréenne, aussi bien artistique, linguistique que culinaire. Le fait que la pop coréenne se mêle autant aux autres genres musicaux lui fait sûrement perdre une part importante de sa valeur ajoutée.

De plus, si les groupes d’idols sont évidemment très populaires en Corée, les locaux trouvent leur bonheur dans des artistes qui s’affranchissent des codes de cette industrie, pour livrer des propositions musicales intéressantes. Du hip-hop au rock, en passant par la country, les artistes coréens continuent de faire ce qu’ils maîtrisent le mieux : s’approprier les influences étrangères et les mêler à la culture coréenne, afin de réaliser des morceaux inédits.

Ce sont ces mêmes artistes qui commencent sérieusement à gagner en influence, même au-delà des frontières de la Corée du Sud. Ils incarnent peut-être ce que la K-pop n’est plus depuis déjà quelques années : une musique qui, si elle ne nie pas ses influences, reste sincèrement et innocemment coréenne.

Finalement, que penser de l’état actuel de la K-pop ? Eh bien, elle a accompli ce que tous les fans du genre n’osaient espérer il y a encore quelques années : être acceptée comme un genre musical pertinent et légitime. Cependant, c’est paradoxalement ce qui lui fait perdre de sa spécificité et donc de sa valeur ajoutée. Aujourd’hui, il faut donc accepter la K-pop pour ce qu’elle est devenue : une branche de la musique mainstream mondiale parmi d’autres. Au fond, ce n’est pas si grave.