Pourquoi il serait enfin temps de prendre Logic au sérieux

Pourquoi il serait enfin temps de prendre Logic au sérieux

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Par Jérémie Léger

Publié le

Trop souvent boudé par la critique, le rappeur du Maryland a pourtant de solides arguments pour figurer parmi les plus grands.

Dans un rap game toujours plus standardisé, Logic, à l’instar de Kendrick Lamar et J. Cole, fait partie de cette nouvelle génération d’artistes US mainstream à avoir redonné au texte dans le hip-hop une place qui lui revient de droit. Pourtant, contrairement à ses homologues de Compton et de Caroline du Nord, le rappeur du Maryland n’est jamais parvenu à se hisser au même rang dans les charts et dans le cœur du public.

Malgré un album certifié quatre fois de platine et un talent incontestable, le rappeur du Maryland reste encore trop souvent boudé par la critique et est laissé au second plan par bon nombre d’auditeurs de rap. Pourquoi ? Ses détracteurs lui reprochent d’être parfois une caricature de lui-même et d’avoir un univers musical trop lisse.

C’est peut-être vrai, mais se limiter à ces constats serait faire injure au talent de ce bourreau de travail. Avec pas moins de onze projets sortis en huit ans, et deux albums dévoilés en à peine deux mois, dont le dernier, Confession of a Dangerous Mind, vient juste de sortir à la surprise générale, Logic est une véritable machine.

Un maître à l’œuvre

“You’re watching a master at work” : c’est par ces mots que le bonhomme se présente dans son album YSIV, sorti l’année dernière. Comment lui donner tort ? Déjà, parce qu’il est un MC techniquement exemplaire. En plus d’être un excellent kickeur, il est capable de proposer des changements de rythme, des variations de flow et même de chanter.

Néanmoins, sa plus grande force musicale se trouve dans sa versatilité. Qu’il s’agisse de la trap via sa série de mixtape Bobby Tarantino, d’un rap plus pop sur ses albums Everybody et Supermarket, ou du boom bap sur son album YSIV, il a prouvé au fil des projets qu’il était capable de s’illustrer dans de nombreux styles de hip-hop.

Ultime exemple avec son nouveau projet Confession of a Dangerous Mind, qui propose une sorte de dualité entre le Bobby des débuts sur Under Pressure, et son alter ego trappeur, Bobby Tarantino. En somme, une boucle est bouclée. Ne pas se fier à son look de bibliothécaire, donc : Bobby Hall est un véritable passionné de rap, le rap dans toute sa diversité.

Mais sa passion ne se limite pas qu’à ça : Logic est un véritable nerd et sa musique est remplie de références pop culture. On pense bien sûr à son caméo avec Rick et Morty, qui signaient l’intro de sa mixtape Bobby Tarantino II. Amoureux de science-fiction, il affiche dès son premier album studio son ambition d’inscrire tous ses disques dans un storytelling cinématographique global : une épopée SF inspirée du chef-d’œuvre littéraire d’Arthur C. Clarke et cinématographique de Stanley Kubrick, 2001 : L’Odyssée de l’espace

Ainsi, sa série d’albums studio entrecoupe les différents morceaux de l’histoire de Kai et Thomas, deux astronautes en mission dans leur vaisseau spatial. Alors que la Terre est sur le déclin à cause des dérives de la société moderne, ils se mettent en quête d’une nouvelle terre promise, une planète utopique baptisée “Planète Paradise” et sur laquelle “tout le monde naît égal, peu importe l’origine, la religion, la couleur, l’appartenance ou l’orientation sexuelle”.

Si le récit est percutant, la façon dont celui-ci est amené entre ses différents albums est parfois décousue. Reste à voir comment il parviendra à assembler tout ça de manière cohérente, lui qui a d’ores et déjà annoncé que le dénouement de son histoire serait le fil rouge d’un futur album déjà baptisé Ultra 85.

Cela étant, le rap n’est pas le seul domaine dans lequel Logic se plaît à raconter des histoires. Récemment, il a mis sa créativité au service de la littérature en écrivant un premier roman, intitulé Supermarket. Accompagné par sa propre soundtrack, cet ouvrage a été nommé best-seller n° 1 du New York Times. Une première pour le rappeur.

Sans spoiler, le récit nous embarque dans le quotidien de Flynn, un auteur fauché vivant toujours chez sa mère. Après une rupture difficile avec sa petite amie Lola, le jeune homme tente de se reconstruire et décroche un job dans un supermarché de son quartier. Sur la pente ascendante, il s’emploie en parallèle à reprendre l’écriture d’un roman. Il va alors s’inspirer de ses collègues et de son environnement pour créer ses personnages et son intrigue.

Mais au-delà de la trame narrative, au fil des chapitres, on s’aperçoit vite de l’aspect autobiographique du livre. Le héros est en effet un reflet de Logic lui-même. À travers le point de vue de son personnage principal, l’auteur va aborder de nombreux problèmes auxquels il a été lui-même confronté dans sa propre vie comme la dépression, l’anxiété et d’autres troubles psychologiques. Des sujets qu’il évoque depuis longtemps en musique. Ainsi, au micro ou à la plume, son objectif reste de donner une voix à ceux qui en ont besoin.

Le “good guy” du rap

Rien pourtant ne prédestinait Logic à prendre une telle voie. Né d’une mère blanche et d’un père afro-américain, il grandit au milieu de la drogue et de mauvais traitements. Ses origines biraciales feront de lui un “paria” qui ne sera ni accepté par les Noirs, ni par les Blancs. Sa mère elle-même le traitait de “nègre“. Marqué par son enfance tumultueuse, il aurait pu s’enfermer dans la colère et dans la rancune. Au lieu de ça, il a transformé ses souffrances et son héritage en forces.

En effet, il a beau être multiplatine, enchaîner les collaborations prestigieuses (la dernière notable étant le GOAT Contender “Homicide” avec Eminem), et jouir d’un succès immense outre-Atlantique, il n’a jamais pris la grosse tête et est parvenu à rester simple et accessible pour son public. Logic, c’est un peu ce grand frère sympathique qu’on aimerait tous avoir. Pendant ses concerts par exemple, il fait quasi systématiquement monter ses fans sur scène. Dans sa musique également, il ne manque pas d’exprimer la reconnaissance qu’il éprouve envers son public.

Point d’orgue de cette gratitude, il a carrément invité ses fans, les “ratpacks” comme il les nomme, à participer au morceau d’ouverture de son album YSIV, “Thank You”. Un titre dans lequel l’artiste remercie justement son public de l’avoir mené là où il est.

Et si ceux qui l’écoutent l’aiment autant, ce n’est pas sans raison. Certes, il aime par moments se livrer à l’exercice de l’ego trip, mais il est globalement bien loin de vendre un style de vie outrancier et violent – quelque chose qui, disons-le, est pourtant devenu monnaie courante dans le rap jeu contemporain. Logic s’emploie plutôt à mettre sa musique au service des autres.

Alors que J. Cole s’est posé en militant anti-addictions avec un dernier album aux allures de manifeste, KOD, Logic se veut depuis plusieurs années porte-parole d’une philosophie inspirante basée sur trois piliers, “peace, love and positivity”. L’idée ? Fédérer, grâce à des pensées positives, tous les êtres humains dans l’amour et la bienveillance, sans distinction aucune. Un credo au cœur de son troisième album, Everybody.

La plus belle illustration de cette démarche reste sans conteste son single au succès planétaire “1-800-273-8255”. Vous l’avez forcément déjà entendu : ce titre reprend le numéro de la hotline américaine de SOS Suicide. Il est question dans le texte d’aider ceux en proie à des pulsions suicidaires à se raccrocher à la vie. La portée de ses mots fut telle qu’à la sortie du morceau, et plus encore après sa performance au Grammy Awards, des pics d’appels à SOS Suicide ont été enregistrés et le taux de suicides aux États-Unis a même diminué.

Sur son dernier album, bien que ce ne soit clairement pas son meilleur projet, la volonté de faire passer un message est toujours là. Comme en témoigne la magnifique cover designée par Sam Spratt, le rappeur du Maryland met cette fois en exergue les problèmes liés au monde numérique. L’addiction et la dictature des réseaux sociaux entre autres. Des phénomènes qu’il juge responsable de la baisse du bonheur dans notre société.

C’est pour cela que, même si l’artiste ne fait pas l’unanimité auprès du public rap, il s’en fout. Mieux encore, il fait un pied de nez à ses haters en se revendiquant fièrement comme étant l’un des plus grands artistes de sa génération (parfois avec beaucoup d’autodérision). Non pas pour flatter son ego, mais parce qu’il assume totalement sa place dans le rap tout en ayant pleinement conscience de son talent et de la valeur des messages qu’il porte. “Don’t be afraid to be different”, clame justement Logic dans sa collaboration avec Will Smith.

“Je m’investis entièrement, je suis comme ça. Je suis passionné et c’est pourquoi je serai vénéré comme l’un des plus grands artistes de ma génération.” (Logic dans le documentaire Netflix Rapture)

Alors, certes, Logic n’a peut-être pas l’aura d’un J. Cole ou d’un Kendrick, mais il est un artiste sincère et profondément humaniste, dont la plus grande prétention est d’avoir compris mieux que personne le sens du mot “humilité”.