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Entretien : “Chez Booba, il y a quelque chose qui relève du chef-d’oeuvre”

Entretien : “Chez Booba, il y a quelque chose qui relève du chef-d’oeuvre”

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Par François Oulac

Publié le

“Chez Booba, il y quelque chose qui relève du chef-d’oeuvre”

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K | Écrire un essai de philosophie sur Booba, on peut trouver ça surprenant. Comment a réagi ton entourage en apprenant que tu faisais ça ?
Certains de mes amis ont rigolé, mais mes amis d’enfance ont dit “Vas-y, pourquoi pas?”. Ils me connaissent, ils savent que j’ai des idées saugrenues parfois. J’ai lu sur Internet que je disais que Booba est un philosophe. Je voudrais préciser : je ne dis pas que Booba est un philosophe, je n’intellectualise pas son œuvre. J’ai juste écrit un livre de philosophie sur Booba.
K | Qu’est-ce que tu lui trouves de spécial par rapport à n’importe quel autre rappeur ?
Pour moi, dans la musique de Booba, il y a quelque chose qui relève du chef-d’œuvre. C’est un ensemble. Le flow, la manière dont il dit les choses… Ça relève de la poésie : il ne construit pas de discours rationnel, argumenté. Comme dit Thomas Ravier dans son article dans la NRF, c’est une suite de mots qui mis ensemble font quelque chose d’extraordinaire. Ça me met en mouvement, ça active mon corps et mes idées, ça génère une excitation intérieure. L’effet de toute bonne musique, c’est de donner une énergie qu’on réinvestit dans d’autres champs de la vie. J’ai écouté d’autres rappeurs, que je trouve très bons et ça ne me fait pas le même effet.
K | Tu retrouves cette excitation intérieure sur toute sa discographie ? Beaucoup de fans disent que sa musique devient moins bonne avec le temps…
Dans mon livre, je m’interroge sur la notion de rythme. Il y a souvent deux théories opposées du rythme chez les philosophes : le rythme unitaire, “un-deux-trois-quatre”, et le rythme singulier. Dans le rap, ces deux notions se mélangent quand la voix et l’instru fusionnent, et c’est ce qui fait sa force et celle de Booba. Cette fusion est vraiment marquante, surtout jusqu’à Ouest Side. Il y a deux albums que j’aime moins que les autres : 0.9 et Futur. Avant 0.9, les couplets sont plus longs, ce ne sont pas des phrases mises bout à bout. On voit plus la beauté de l’ensemble.
K | Même ses morceaux où il chante avec de l’autotune, tu leur trouves cette beauté ?
L’autotune ne me pose pas de problème. Condamner l’usage de l’autotune chez Booba, c’est comme condamner un artiste pop qui s’aide d’ordinateurs pour créer de la musique. Je pense que les gens condamnent l’autotune parce que ça dépasse les frontières du rap, d’où la pétition de principe. C’est une forme de remise en cause de la tradition. Mais au moins, ça apporte d’autres choses.
K | Tu penses quoi de “Tony Sosa”, son dernier morceau ?
Le premier couplet sonne bien. Le second, à la première écoute, j’accroche moins. Une phrase qui me marque: “Que dieu me punisse d’être comme les autres”. Après, c’est bizarre pour moi d’écouter avec le clip. Je suis allé sur YouTube, alors que j’ai écouté tous ses albums sur cd et en entier. Une chanson en dehors d’un album, c’est toujours particulier. D’ailleurs le clip est étonnant. Le rapport à la nature dans ses clips est intriguant, mais bon, c’est un autre sujet.

K | Jusqu’en 2010 tu écoutais surtout Brassens, Barbara… Généralement, les gens qui écoutent des chanteurs à texte ont du mal avec Booba et le rap en général. Ils disent que c’est vulgaire, mal écrit… Est-ce que tu comprends ces critiques ?
La vulgarité de ses textes ne me dérange pas. Booba n’est pas politisé. L’image qu’il véhicule de la femme, c’est un reflet de la société de consommation. Comme il le dit lui-même, ses paroles sont à prendre “au premier degré et demi”. Je peux comprendre qu’on n’apprécie pas sa musique. Mais pour moi, la vulgarité de ses textes ne peut pas être un argument pour ne pas l’aimer.
K | En France, il y a encore peu d’études académiques comme la tienne sur le rap. Comment expliques-tu ce rejet du rap par les institutions culturelles ?
Depuis toujours il y a une culture légitime. Le rap ne fait pas partie de la culture légitime pour l’instant. Mais ça va se normaliser, c’est comme le jazz à ses débuts. Le fait d’accepter les rappeurs comme des poètes comme les autres, c’est les faire passer dans la culture légitime. Je considère aussi que Lino et Lucio Bukowski sont de vrais poètes.
K | Pour finir, si tu devais choisir un morceau phare de Booba, ce serait quoi ?
(Il réfléchit) Je dirais “Pitbull”, un des premiers que j’ai écoutés. “Ma Définition” aussi. Pourquoi je les aime ? J’ai du mal à expliquer rationnellement…
“Booba : poésie, musique et philosophie” d’Alexandre Chirat, éd. L’Harmattan.