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Rencontre avec Smokeasac, producteur et meilleur ami de Lil Peep

Rencontre avec Smokeasac, producteur et meilleur ami de Lil Peep

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© Smokeasac

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Par Henri Margueritte

Publié le

“Il était très doué dans le fait de cacher ses démons au monde entier.”

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© Smokeasac / Instagram

Sa carrière s’est construite aussi vite qu’il s’est éteint. Partagé entre la joie et l’excitation du succès grandissant et sa part d’ombre qu’il évoquait dans ses textes, Gustav Åhr alias Lil Peep s’est laissé avoir par ses abus. Le 16 novembre dernier, à quelques instants de monter sur scène à Tucson, en Arizona, lieu de son tout premier concert, celui qui portait haut les couleurs de l’emo-rap succombait à une overdose, assis dans son tourbus.

Un an après la disparition de Lil Peep, et pour permettre à ses fans de continuer à vivre avec lui, Smokeasac, beatmaker, producteur et meilleur pote de Lil Peep, a décidé de sortir Come Over When You’re Sober Pt. 2. Son premier album posthume et suite logique de Come Over When You’re Sober Pt. 1 sorti en août 2017. Nouvelle preuve irréfutable de son talent et de sa capacité à rester honnête dans ses textes malgré une popularité qui grimpait en flèche. Une manière pour lui d’exorciser ses démons en musique.

Le mot “démon” est fort mais sort de la bouche de celui qui l’a accompagné depuis le début. Smokeasac a mis du temps avant de sortir la tête de l’eau. Après la mort de Peep, Smokeasac a passé des mois à broyer du noir, pouvant faire face à “des pensées suicidaires”. Aujourd’hui sur la bonne voie, et après avoir mis des mots sur le mal que lui infligeait cette disparition, le producteur, installé à Los Angeles, nous a accordé un long entretien, le temps de nous raconter son histoire et celle de Gustav : deux jeunes américains vivant à des centaines de kilomètres d’écart, qui se sont rencontrés sur Soundcloud, et sont devenus de véritables pointures dans leur domaine. À noter qu’un documentaire sur la vie de Lil Peep, signé Terrence Malick, devrait bientôt voir le jour.

Konbini | Peu de gens te connaissent en France, est-ce que tu peux te présenter et nous expliquer pourquoi nous sommes réunis aujourd’hui ?

Smokeasac | Je suis Smokeasac, et on est en ce moment à Paris, pour une tournée dans laquelle je présente des morceaux de l’album posthume de Lil Peep Come Over When You’re Sober Part. 2. C’est surtout pour rencontrer les fans, je me suis vachement attaché à eux.

Tu peux nous raconter la première fois que tu as parlé à Lil Peep ?

On s’est rencontré pour la première fois au début de l’année 2015. Il est venu vers moi parce qu’il voulait rapper sur certains beats que j’avais mis en ligne sur Soundcloud. Il m’avait contacté par mail, et je me rappelle qu’il m’avait déjà apporté un grand soutien, il était super cool. Il voulait m’acheter des beats, et à cette époque je n’en avais encore jamais vendu et en plus de ça, j’étais fauché, c’était l’occasion rêvée de se lancer. Il était très sympa dès le début.

Peu de temps après la mort de Peep, tu as écrit un long texte sur ton site Internet dans lequel tu disais, qu’à ta toute première écoute de l’un de ses morceaux, tu as su qu’il était quelqu’un de spécial. Comment tu t’en es rendu compte ?

Le premier son qu’il m’avait envoyé était quelque chose qui n’était jamais sorti, c’était inachevé. Je lui ai demandé de m’envoyer ce qu’il avait fait sur mon beat, et il m’a expliqué de ne pas faire attention au mix des voix qui était vraiment mauvais. Donc, j’ai écouté le son qui durait environ 4 à 5 minutes dans lequel il rappait de bout à bout, zéro chant, vraiment des grosses phrases. Un peu comme dans le morceau “M.E.M.P.H.I.S” de Three Six Mafia. Et c’est à ce moment-là que j’ai su qu’il était vraiment talentueux, il devait avoir 17-18 ans, moi j’en avais 20.

Puis, tu déménages à Los Angeles et tu entends parler d’un rappeur qui s’appelle Lil Peep ?

C’était genre 6-7 mois après. J’ai décidé d’aller vivre à Los Angeles, je faisais déjà de la musique avec quelques personnes comme Yung Cortex, Money Posse, etc. Et un jour, un pote à moi m’a demandé si j’avais déjà entendu parler d’un jeune rappeur qui se faisait appeler Lil Peep; je lui ai répondu que non. À cette époque, je passais beaucoup de temps à chiner des nouveaux talents, alors je suis allé sur Soundcloud et je suis tombé sur “Star Shopping” (qui a été clippé depuis) et d’autres morceaux. Je suis instantanément devenu fan, c’était vraiment l’une des meilleures musiques que j’avais entendue depuis des années.

Tu n’as pas reconnu sa voix à ce moment-là ?

Non en effet, je me disais juste que ce mec était incroyable. Je me suis aussi dit que ça pourrait matcher entre lui et moi parce qu’à l’époque je commençais à bosser sur des beats avec des guitares et des choses comme ça. Alors je lui ai écrit le même genre de mail qu’il m’avait envoyé plusieurs mois auparavant, et lui ai proposé plusieurs beats, et c’est comme ça qu’est sorti notre première collaboration officielle, “Nineteen”. C’est quelque chose de vraiment différent de ce que les gens connaissent de nous aujourd’hui.

C’est à partir de “Nineteen” que tu as senti grandir vos ambitions ?

Quand il m’a envoyé ce qu’il avait fait sur le beat de “Nineteen”, j’ai tout de suite senti que ce serait mon premier gros morceau, celui qui allait me faire percer, passer au niveau supérieur. Je savais que ça allait très rapidement devenir quelque chose d’important, ça m’obsédait.

Après sa mort, tu lui as rendu hommage à travers un long texte sur ton site dans lequel tu expliques qu’il aimait voyager, vivre, manger de bonnes choses, se faire de nouveaux amis. Comment expliques-tu que ses paroles soient si sombres ?

Peep était vraiment très heureux de ce qu’il avait accompli, mais il n’a jamais épargné sa musique de ce qui lui arrivait dans la vraie vie. Il a eu pas mal de soucis pendant son enfance. Dans son quartier, il se sentait en marge, il se faisait charrier, et ça l’a perturbé. Il avait aussi des problèmes avec son père, il n’avait pas de bonnes relations avec lui. Mais ces choses ne l’empêchaient pas pour autant de profiter de sa nouvelle vie. Il était super content de s’être fait de nouveaux amis grâce à la musique ; on est d’ailleurs devenus meilleurs potes. Je me souviens, un jour, où on était posés dans son appart’ et il m’a dit : “C’est fou, j’ai jamais eu autant d’amis dans ma vie, j’ai jamais connu ça avant”. Cette nouvelle vie était vraiment excitante pour lui mais il avait toujours cette face sombre dans son esprit, il avait ses démons.

Pour les personnes qu’il aimait vraiment, ses fans et sa famille, Gus avait tellement d’attention pour eux, il voulait faire rire tout le monde et que les gens autour de lui soient heureux. Il ne voulait pas projeter ses démons sur quelqu’un, il les mettait plutôt dans sa musique. C’était thérapeutique pour lui.

Quand je l’écoute, j’ai l’impression qu’il était solide et fragile à la fois. C’était le cas, non ?

J’ai passé beaucoup de temps avec lui et j’ai eu le temps de l’observer. Il avait le tatouage “Crybaby” (pleurnichard en français) parce qu’il était lucide par rapport au fait que certains n’ont même pas de toit, de famille ou d’amis. Il était reconnaissant de ce qu’il avait et de ce qu’il avait accompli. Il s’était fait ce tatouage en gros sur le visage pour se rappeler qu’il devait rester reconnaissant. Il était doué dans le fait de cacher ses démons au monde entier.

Il était jeune mais était un leader, j’étais plus vieux que lui mais je le regardais d’en bas. Quand on est allé à L.A., il a percé tellement vite et tellement fort que tout le monde voulait bosser avec lui ou faire partie de son entourage.

La musique était sa thérapie, la drogue en était peut-être une autre ?

D’une certaine manière, oui. La drogue était un moyen pour lui de s’échapper, comme ceux qui boivent ou qui fument des joints. Il avait beaucoup de pression sur les épaules, et à côté de ça, il était très sensible et attentionné. Donc oui, je pense que ça lui permettait d’évacuer le stress et la pression. C’était une échappatoire.

C’est important que les gens sachent que j’ai passé beaucoup de temps avec lui à Londres, on a consommé très peu de drogues, beaucoup mangé, il avait bonne mine et avait la forme. C’était tellement stressant pour lui de vivre à L.A. ou même aux États-Unis parce que les gens l’alimentaient en drogues. Londres a été une vraie bouffée d’air frais pour nous.

© Lil Peep

Tu écris aussi qu’il avait d’infinies ambitions, quels genres d’ambitions ?

Il était intéressé par le cinéma, le jeu d’acteur. Il kiffait les sports automobiles, il aimait beaucoup la mode aussi. Il voulait se faire un nom à travers le monde entier. Il voulait remplir les stades, il voulait être le plus grand artiste qu’il aurait pu devenir, sans être poli par l’industrie. Il voulait rester authentique en arrivant au top.

Quels genres de sons vous écoutiez ensemble ?

Gus adorait écouter Future, il l’écoutait beaucoup. Il écoutait aussi My Chemical Romance, les Red Hot Chili Peppers… Son anniversaire était le même jour qu’Anthony Kiedis (chanteur des Red Hot). C’était son artiste préféré.

En 2016, vous sortiez la mixtape Hellboy qui vous a permis d’organiser votre première tournée américaine. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience ?

C’était une expérience vraiment folle. Tout sonnait si bien, ce fut une transition très importante dans sa vie, c’est à ce moment-là qu’il est devenu une rockstar. “Crybaby” est la base mais pour moi Hellboy est vraiment le projet qui l’a élevé au rang de rockstar. Il vivait ses paroles, tout ce dont il parlait dans ses paroles, il le vivait pour de vrai. Tout était très authentique. Je l’ai rejoint sur le Peep Tour et je faisais ses premières parties, c’était vraiment fun.

Il aimait plus ses fans que n’importe qui d’autre. Il voulait que tout le monde soit heureux, il voulait l’harmonie, un peu comme au sein d’une famille. Il ne les voyait pas comme des fans mais plutôt comme une famille, un soutien.

Comment cette tournée a-t-elle bénéficié à Lil Peep ? Est-ce qu’elle a changé quelque chose chez lui ?

C’est comme s’il brisait sa carapace. Il était très timide et très introverti. C’était quelque chose d’énorme de pouvoir tourner dans tout le pays et rencontrer tous ces gens qui se déplaçaient rien que pour lui. Il était plutôt nerveux, anxieux aussi. Il aimait son public mais restait angoissé à l’idée de monter sur scène, loin de chez lui qui plus est et vomissait de temps en temps à cause de ça.

Puis, vous êtes partis bosser à Londres quelque temps ?

On a enregistré Come Over When You’re Sober, et à cette période, il venait de signer sur un label et avait réussi à me faire signer avec lui. Donc, c’était la première fois que je travaillais dans de telles conditions, dans de vrais studios; avant c’était fait maison, chez moi. L’objectif de ce projet était d’élever sa musique à un niveau supérieur, que ce soit en termes de mix, de mastering, etc.

Donc il a commencé par enregistrer tous ses textes, et ensuite, je devais compléter ses voix avec des guitares, de la batterie… On voulait faire la meilleure musique possible.

Puis est arrivée l’heure des concerts à l’internationale…

En fait, il avait déjà fait des concerts outre-Atlantique avant sa tournée mondiale Come Over When You’re Sober. Il a fait des concerts en Russie par exemple qui font d’ailleurs partie de ses plus gros concerts, je pense.

Est-ce qu’il appréhendait le fait de monter sur scène devant des gens qui ne parlaient pas forcément la même langue que lui ?

Il avait une connexion très forte avec ses fans étrangers. Particulièrement avec les Russes. Je ne lui ai jamais vraiment demandé pourquoi mais je savais qu’il avait beaucoup d’amour pour ses fans russes et étrangers en général. Il est né en Suède, il avait donc cette affinité avec l’étranger.

C’était très important pour lui que sa musique soit entendue en dehors des frontières américaines. Par exemple, dans le clip de “benz truck” (tourné en Russie), il a décidé d’incorporer les sous-titres en russe directement dans la vidéo. Et même si tu ne comprends pas ce qu’il dit, tu peux sentir l’émotion à travers sa voix.

Peep est mort des suites d’une overdose, as-tu senti, les jours et les semaines précédents son décès, qu’il était sur la mauvaise pente ?

C’est une question à laquelle on ne souhaite pas répondre.

Qu’est-ce que tu as ressenti la première fois que tu t’es remis à bosser sur sa voix après sa mort ?

Pour être honnête, c’est une des choses les plus dures que j’ai pu faire dans ma vie. Après sa mort, j’ai mis 3 ou 4 mois avant d’imaginer refaire de la musique. J’étais vraiment dans un mauvais état d’esprit, je devais faire face à des pensées suicidaires, je voulais partir de chez moi. J’ai coupé la communication avec tout le monde, c’était vraiment une période très sombre pour moi.

Et je me suis retrouvé avec toute cette musique qui n’était pas encore sortie. C’était l’objet d’une des dernières conversations qu’on a eu ensemble, à Miami. Que fait-on de la partie 2 ?

Je lui avais dit qu’il me suffisait de tirer les démos pour la production et les perfectionner, et il était chaud. Donc, c’était notre prochaine étape, il voulait finir la partie 2 de Come Over When You’re Sober et faire un nouvel album.

Dans quel climat s’est fait le morceau avec XXXTentacion ?

Ils ne se sont jamais rencontrés. C’est une histoire vraiment très triste. Il y avait une certaine tension entre Peep et X quand il était encore en vie. Peep avait entendu des choses comme quoi XXXTentacion avait quelque chose contre lui, et il était inquiet, ça l’a presque effrayé. Il ne voulait pas être affilié à de mauvaises choses.

Quand Peep est mort, je pense que X était déjà dans un esprit de reconstruction pour devenir une meilleure personne. C’était deux mondes complètement différents, il s’agissait juste de deux artistes qui sortaient de l’anonymat au même moment, du même âge. Mais c’est quelque chose dont on n’a jamais vraiment parlé.

En ce qui concerne la genèse de ce morceau, regardez plutôt notre vidéo à ce sujet :

Dans ton texte “Hommage”, tu expliques aussi la raison du titre de la mixtape Hellboy, comment vivait-il avec le regard des gens ?

C’était quelque chose d’assez pesant pour lui et moi-même. Quand on était à Los Angeles, il avait vécu pas mal de mauvaises expériences, telles que l’hypocrisie des gens, ça le fatiguait. Il ne laissait pas spécialement transparaître cet agacement, alors il le faisait en musique.

C’était important de ne pas faire de collaborations dans cet album ?

Il n’y avait déjà pas de featurings sur l’original, lorsqu’il était encore en vie. C’était important pour sa mère, alors on s’est dit que l’on ferait tout pour rester concentré autour de Peep.

Ça veut dire que cet album ne sera pas son unique projet posthume ?

On a beaucoup de musique en stock. Certaines sont réalisées avec d’autres producteurs et moi j’en ai aussi de mon côté. Il a fait un album avec Ilovemakonnen, et je suis très content d’en faire partie.

Donc, il y a encore du Peep à venir.

Les toutes dernières paroles de son “Come Over When You’re Sober Pt.2” sont “je serai le premier ici, je serai le dernier ici”. Penses-tu que la mort de Lil Peep est la preuve ultime que sa musique doit être éternelle ?

Oui, complètement. Il s’est donné corps et âme dans sa musique, jusqu’au jour où on l’a malheureusement perdu. La musique était sa direction, sa passion, il voulait faire de la musique pour les gens qui se sentaient en marge, seuls. Il voulait partager cette thérapie qu’il suivait avec la musique, avec ses fans, pour qu’ils se sentent mieux.

LLPeep