Jeunesse sonique : Paradis retrace sa genèse musicale

Jeunesse sonique : Paradis retrace sa genèse musicale

photo de profil

Par Arthur Cios

Publié le

À l’occasion de la sortie du tant attendu Recto Verso, le premier album du duo Paradis, on est longuement revenu sur la musique qu’écoutaient les deux bonhommes dans leur jeunesse.

À voir aussi sur Konbini

Sous le chapiteau du Cabaret Sauvage, Pierre Rousseau et Simon Meny sont concentrés. La foule devant eux a beau se dandiner sans relâche, la paire de producteurs a les yeux fixés sur les platines. Même la petite erreur qui a provoqué un silence d’une dizaine de secondes avant que “Toi et Moi” ne démarre n’aura aucun impact sur les danseurs, si ce n’est d’avoir augmenté l’attente autour du morceau en question.

On l’aura compris, Paradis est un peu frileux. Ce n’est pas pour rien qu’il a fallu trois ans pour que débarque un premier album, Recto Verso, sorti le 23 septembre. Et pourtant, tout comme lors de cette Release Party, le résultat porte clairement ses fruits et prouve une fois pour toute que le duo n’a rien à craindre. Le disque est parfait en tout point. Littéralement parfait.

Comme on les savait grand mélomanes, nous avons décidé de les soumettre à nos divers formats d’interviews musicales. Après un blind-test spécial chanson française, et un Track-ID que vous retrouverez ci-dessous, nous avons cherché à retracer la genèse musicale de Paradis, en cuisinant le duo sur la musique de sa jeunesse, et en profitant par la même occasion pour aborder la rencontre entre les deux artistes, l’élaboration des premiers morceaux et surtout de ce premier album.

1. Sans mentir, c’est quoi le premier disque que vous avez acheté ?

Simon | Le premier que j’ai acheté moi tout seul, c’était un single de Jamiroquai qui s’appelle “Space Cowboy”. J’aime toujours ce morceau et Jamiroquai. La musique qu’il fait aujourd’hui sur scène, je trouve ça hyper inspirant, même pour nous.

C’est un peu surprenant parce que c’est beaucoup plus funk que ce que vous faites.

Simon | Ouais, beaucoup plus funk. Mais si tu veux, on est partis de la musique électronique en production et après, avec nos quelques expériences de live, on a eu envie de faire quelque chose de beaucoup plus vivant sur scène. Du coup, maintenant on n’est plus seulement deux, il y a Paul [Prier, du groupe Toys, ndlr] qui nous a rejoints pour faire tous les claviers, et aussi un batteur. Donc maintenant, ça joue un peu plus en live. Pas autant que Jamiroquai [il a une dizaine de musiciens avec lui sur scène, ndlr], mais un peu. Quelque chose que je trouve très inspirant pour la suite, parce qu’il était accompagné de super musiciens.

T’avais quel âge ?

Simon | Je ne sais pas, 10 ou 11 ans.

C’est marrant, c’est pas forcément le truc accessible…

Simon | À l’époque, c’était très pop et il avait un truc avec ses clips de vraiment cool, avec ses grands chapeaux. Je sais pas, il incarnait un truc que, petit, je trouvais hyper attirant.

Et toi Pierre du coup ?

Pierre | Bah, c’est marrant, parce que c’était A Funk Odyssey, de Jamiroquai, et j’avais 11 ans. Ça peut paraître un peu insignifiant, vu que j’écoutais pas mal les CD de mon père, en fait. Mais il y avait un morceau qui s’appelait “Little L”, ça devait être sur l’album d’après parce qu’on a quelques années d’écart [avec Simon]. Mais je me rappelle, c’est un album que j’écoutais sur un Discman, particulièrement durant un hiver au ski. C’était le seul CD que j’avais et, au bout d’un moment, les piles ont coulé, ce qui a tué mon Discman. Je n’ai pas racheté de disque pendant deux ans.

Il y a un truc avec la manière dont est traitée la guitare, comme sur “You Give Me Something”. C’est vraiment quelque chose qui est resté, l’espèce de guitare qui passe à travers un synthé et qui sonne comme des fréquences vocales. J’ai l’impression que la guitare de “Toi et moi” fait un peu cet effet aussi.

Inconsciemment ?

Pierre | En y pensant, ça me vient, donc ouais, complètement. Mais pour revenir à Jamiroquai, la production est exceptionnelle. C’est pas un artiste que j’écoute régulièrement, cela dit, sauf pour “Everyday”, qu’on a écouté un peu en boucle pendant la construction de l’album. Ça, on en a beaucoup beaucoup parlé avec Simon. [Ils font jouer le morceau sur YouTube.]

Simon | Ouais. Tu vois le clavier, c’est un truc qu’on a maintenant sur scène avec nous. Trop classe.

Vous l’avez déjà vu en live ?

Pierre | Jamais. Mais il y a un live à Montreux qui est génial.

Simon | Il y a pas mal de vidéos de ce live sur YouTube et ça a l’air fou.

2. Le disque ou l’artiste que vos parents écoutaient, que vous trouviez horrible mais que vous aimez bien maintenant ?

Simon | Pour moi, c’est compliqué, parce que mes parents n’écoutaient pas beaucoup de musique.

Pierre | Pour moi, c’est compliqué, parce que mes parents écoutaient beaucoup de musique, et j’ai toujours adoré ce qu’ils aimaient. C’est vrai que ma mère écoutait beaucoup Jean Ferrat. Je ne comprenais pas trop mais avec l’adolescence et une espèce d’éveil politique, j’ai commencé à saisir… Enfin, sa musique c’est pas trop mon truc, mais j’ai respecté ça.

À coté de ça, mon père écoutait beaucoup de classique ou de la new wave, des trucs vachement classes. J’avais 6 ans et j’avais accès à tous les albums des B-52’s, ce qui était trop bien. Mais voilà, il avait hérité de ce côté snob de la new wave, donc ma mère qui écoutait du Ferrat, il trouvait ça d’un ringard total. Du coup, j’étais un petit garçon qui devait se dire : “Ouais, Jean Ferrat c’est nul parce que les trucs qu’écoutent papa c’est trop bien.” Mais avec du recul, c’est bien en fait.

Et toi, Simon, tes parents n’écoutaient pas grand-chose ?

Simon | Non, mais en y réfléchissant maintenant, je me rappelle qu’ils aimaient beaucoup Sade. Quand j’étais plus jeune, je voyais ça un peu comme de la musique de hall d’hôtel ou d’ascenseur, avec les saxos. Et en fait, c’est hyper bien [rires].

3. Le premier morceau que vous avez décidé d’apprendre de vous même ?

Simon | J’ai fait du violon pendant dix ans. J’ai commencé très jeune par du classique, puis du jazz avec un prof américain. Je me souviens que le premier morceau un peu libre que j’ai attaqué avec mon prof, c’était “Tea for Two”, une mélodie d’une comédie musicale.

Pour moi, c’est à partir de là que la musique ne consistait plus simplement à “lire une partition”. Maintenant, c’est un instrument que j’ai complètement rejeté. À un moment, j’ai arrêté, j’avais d’autres choses dans la vie qui m’intéressaient plus. Et puis c’est un instrument qui est assez ingrat dans l’approche. Je pense qu’un jour, j’y reviendrai. On fera probablement du violon en live.

Et toi, Pierre ?

Pierre | C’est bizarre, parce que j’ai appris le piano avec des Russes et j’ai jamais vraiment eu le choix. Sauf une fois où j’ai pu choisir entre deux morceaux de Prokofiev et j’ai pris un passage de Pierre et le Loup, que je jouais à quatre mains avec mon prof.

4. Un morceau qui vous a donné envie de produire de la musique ?

Pierre | Je pense que le plus grand choc de mon adolescence, ce fut Air avec Talkie Walkie. J’avais 14 ans et j’ai pris conscience qu’on pouvait produire de la musique électronique. Avant, j’en faisais sur le matériel de mon père, même si pour moi c’était comme jouer à la console. Et quand ce disque-là est sorti, ça m’a bouleversé. Il y a un truc dans les choix de son qui est super différent, hyper libre. Très important pour moi.

Simon | Il y a un artiste qui s’appelle Lawrence, un Allemand qui fait de la house/techno, et la première fois que j’ai découvert ce mec, c’était une track qui s’appelait “Spark”. C’était de la minimale très simple, mais je sais que c’est ça qui m’a donné envie de faire de la musique électronique. J’étais très proche des émotions qu’il y avait dans ce morceau, et je me suis dit que, finalement, ça pouvait être intéressant de faire des choses très simples.

T’écoutais plus des trucs techno, alors que toi, Pierre, c’était pas ton truc ?

Pierre | La musique sur laquelle je reviens tout le temps, c’est le disco et tout ce qui est dans le disco. Ça peut paraître contradictoire, mais tout ce qui était un mélange de disco et de punk, comme Lizzie Mercier Descloux, Garçon… Ça c’était le côté “New York de la fin des années 1970 et 1980”, le truc qui centralisait le tout… Toute la disco et ses cousins, puis la new wave.

C’est marrant, parce que j’ai lu dans une interview que vous vous êtes rencontrés dans une soirée alors qu’en fait, vous n’aviez pas trop les mêmes goûts musicaux.

Simon | J’allais justement dire que le moment où j’ai eu envie de faire de la musique électronique, c’était le moment où j’écoutais beaucoup de hip-hop, puis du trip-hop, comme DJ Shadow, DJ Cam, DJ Krush… Il y avait quelque chose de mélancolique. Mais quand j’ai découvert Lawrence, c’était quelque chose qui cristallisait un truc encore plus triste, et c’est ce qui m’a vraiment donné envie de faire de la musique. Donc il y a vraiment cette opposition entre Pierre et moi. C’est pas “joie et tristesse”, mais un peu quand même.

Pierre | Un peu “recto verso”, tu vois.

Du coup, comment avez-vous décidé de faire de la musique ensemble ?

Pierre | Il y avait des choses qui nous reliaient quand même. Tout le courant musical qui passait quand on était ados, après l’electroclash, genre DFA ou Kompakt. Ce sont des labels qui ont vraiment concentré toutes ces choses, des trucs intellos un peu ambiants ou barrés, de la belle musique minimale et aussi des trucs plus punk. Je pense qu’au fond, notre son doit beaucoup à cette musique-là, c’est-à-dire à ce qui s’est passé à partir du début et du milieu des années 2000. C’étaient des artistes qui abattaient toutes les frontières entre les genres musicaux, donc il y a des pontes un peu comme ça, comme Trevor Jackson, James Murphy ou Superpitcher…

Simon | Avec parfois des approches pop. Il y avait Matias Aguayo, qui chantait en espagnol sur ses morceaux house.

Comment ça s’est passé la première fois que vous avez fait de la musique à proprement parler ? C’est quoi le premier truc que avez fait ensemble ? Pas forcément le premier morceau, parce que je présume que vous avez dû en jeter pas mal…

Pierre | Pas tant que ça, en fait. On a fait un premier test qui n’est jamais sorti mais qui a infusé dans des morceaux, genre “Garde-le pour toi”.

Simon | C’était un morceau avec une vraie basse. C’était assez groove.

Pierre | Mais on utilisait déjà des voix et des chœurs. Je pense que ces chœurs sont quelque part dans cet album, parce qu’on jette jamais rien. À part un morceau dont on parlera jamais [rires]. C’était un des morceaux les plus aboutis qu’on ait fait. Il était trop bien foutu, super bien produit. Et on l’a écouté, et c’était nul [rires]. Le texte était mauvais, horrible, la musique c’était mélo…

Vous l’avez fait quand ?

Pierre | Oh, c’était un de nos premiers trucs. Mais c’était tellement abouti : il y avait des reverb’ très travaillées, des snares bien taffés, c’était super beau, mais nul. Donc on ne l’a jamais réécouté. Disons que le premier morceau dont on était fiers, c’était “Je m’ennuie”. C’est le premier morceau qu’on a envoyé, au bout de six mois… On s’est rencontrés un été et on l’a envoyé en décembre ou janvier. Et Tim [Sweeney, ndlr] nous a répondu dans la soirée : “OK, les mecs, j’adore, on va commencer un label.”

C’est quand même fou de se dire que le premier truc que vous avez envoyé a été pris par Tim Sweeney, qui n’est pas n’importe qui.

Pierre | Ouais, c’était cool. Je pense que ça l’a pas mal marqué, notre manière de faire. On ne sort pas quelque chose si on n’en est pas super contents, et c’est pour ça que ça a pris trois ans de faire notre album. Le premier morceau, c’était allé vite, mais on avait quand même bossé dessus pendant six mois. Je pense qu’on n’a pas changé de notre façon de faire. On a vraiment envie de finir tous nos morceaux. On laisse beaucoup de choses de côté, mais quand on a trouvé un truc bien, on s’y accroche.

Un peu comme pour “Contours”, qui était au départ un remix très rapide que vous avez transformé en un autre truc.

Simon | On était très accrochés à ce remix. On avait l’impression qu’il n’était pas finalisé, mais on voulait vraiment le mettre dans l’album.

Pierre | Toutes les harmonies ont été écrites par Cale Parks. La mélodie et l’harmonie, c’était lui. Mais le reste, c’était nous. C’était un morceau qui était important pour nous, mais on n’était pas très contents de la version finale.

Vous avez ce regard-là sur tous les remix et morceaux que vous avez faits ? Il y en a dont vous êtes particulièrement fiers ?

Simon | Il y en a qu’on préfère à d’autres.

Pierre | Mais ils ont tous quelque chose. La raison pour laquelle on a mis autant de temps à faire cet album, c’est qu’on voulait pas ressentir la même chose que pour d’autres trucs qu’on avait déjà faits avant. Il y a toujours quelque chose à redire de toute façon, mais c’est ce qu’on pouvait faire de mieux.

5. Est-ce qu’il y a un morceau que vous écoutiez quand vous étiez jeunes et dont vous avez honte maintenant ?

Simon | Quand j’étais jeune, j’écoutais un peu de la musique de vieux. Je me souviens d’un truc, c’est un classique : “The Girl From Ipanema”. C’est un morceau que j’adorais quand j’étais petit mais je ne  l’ai jamais partagé avec mes amis, parce que j’avais l’impression que c’était un truc d’ascenseur… Je l’adore toujours.

Pierre | Ouais, mais ça, c’est un faux truc honteux, tout le monde trouve ça bien [rires]. Moi par exemple, je suis pas hyper fier d’avoir adoré les Smashing Pumpkins. C’est un peu craignos, mais je trouvais ça super.

Donc c’était de la musique de “vieux”, plutôt que de la musique pop ?

Simon | La pop, c’est arrivé très tard dans ma vie, en fait. Par exemple, en ce moment, j’aime bien “Cool” de Gwen Stefani. C’est un peu un guilty pleasure.

Pierre | Y a un autre morceau aussi… Il faut savoir que je suis hyper fan des Pet Shop Boys, et ils ont fait une reprise d’Elvis, “Always on My Mind”. Ça, mon pote, c’est vraiment sale. Le refrain est vraiment bien et les paroles sont sans doute les plus belles que j’aie jamais entendues. J’écoute ça en Vélib’. Mais je vais pas dire à mes potes de mettre ça en soirée…

6. Le disque que vous écoutiez tout le temps et que vous écoutez encore ?

Simon | Je sais pas si je l’écoute encore beaucoup, mais il y a un album que je garderai toujours avec moi et que j’ai vraiment beaucoup écouté plus jeune : The Miseducation of Lauryn Hill. Encore maintenant, si quelqu’un le met, ça me fait plaisir.

Pierre | J’en ai deux. C’est plus des albums d’adolescent que d’enfant qui sont restés, et le premier c’est Revolver des Beatles… Le deuxième c’est Echoes par The Rapture. Ces deux disques ensemble mettaient pile le temps du trajet jusqu’à mon lycée en bus. Je les écoutais matin et soir. Et je les écoute encore maintenant, une fois par semaine. Avec du recul, Echoes, c’est pas un grand grand disque, mais il est important pour moi.

7. Est-ce que vous avez un morceau ou un album qui est associé à l’un de vos premiers gros voyages ?

Simon | Moi, c’était un album des Cranberries, No Need to Argue… J’ai grandi dans une famille assez catholique, j’étais scout et j’ai fait un grand voyage dans le nord de l’Espagne. J’étais parti avec mon Walkman et juste ce CD dedans, et je me rappelle l’avoir beaucoup écouté. Il est assez épique et contemplatif… Il faudrait que je le réécoute pour voir si c’est bien ou pas.

Pierre | Moi, j’ai eu la chance de grandir à l’étranger, mais j’ai pas beaucoup voyagé avec mes parents. Je me rappelle du disque que j’écoutais quand je révisais le bac, comme si c’était le seul grand voyage de ma vie [rires]. J’avais révisé chez ma grand-mère, tout seul, et j’avais acheté un CD parce que j’avais pas d’iPod : Hercules and Love Affair du groupe du même nom.

Simon | Moi, pour mon bac, j’écoutais les 2 Many DJ’s, ce genre de truc. Et ce super mix qu’ils avaient fait, “As Heard on Radio Soulwax”. C’était aussi la période Justice et tout ça.