Big L, mort il y a 20 ans, a laissé une trace indélébile sur le rap US

Big L, mort il y a 20 ans, a laissé une trace indélébile sur le rap US

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Par Brice Miclet

Publié le

Avec un seul album publié de son vivant, Big L reste l’un des plus grands défenseurs du son East Coast.

© Big L, Flamboyant Rawkus Records

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Harlem a ses secrets, disait le romancier Stephen L. Carter. Des secrets bien gardés, comme celui qui entoure la mort de Big L, survenue il y a tout juste vingt ans. C’est dans ce quartier de New York que le rappeur est né en 1974, et décédé vingt-quatre ans plus tard, le 15 février 1999, lors d’une fusillade en drive-by. Neuf balles sont tirées dans la tête et la poitrine, sans que l’on sache exactement par qui ni pourquoi. Son ami d’enfance, Gerard Woodley, a bien été appréhendé quelques mois plus tard, mais a finalement été relâché, non sans susciter la polémique. Il a été lui-même abattu depuis, en 2016, mais aucun lien n’a pu être clairement établi avec la mort de Big L. Un secret de plus pour Harlem, donc.

Épaulée par la dream team

La carrière de Big L fut courte. Son temps passé en haut de l’affiche se compte en mois, mais sa légende n’en est que plus grande. Lamont Coleman, de son vrai nom, ne compte qu’un seul album sorti de son vivant, le classique Lifestylez Ov Da Poor & Dangerous, sorti en 1995. Que les choses soient claires : à l’époque, Big L n’a rien d’une star du rap. Il est un rookie acclamé par la critique, certes, mais demeure trop underground pour toucher le grand public. Même la présence des deux futures icônes du rap East Coast, à savoir Jay Z et Cam’ron, ne suffisent pas à lui faire passer un cap. Peu importe, en 1995, sa carrière est lancée.

Lifestylez Ov Da Poor & Dangerous est une ode ego-trip. Presque tout l’album est tourné autour de sa personne, exercice de style tiré de ses origines rap : celles du freestyle, une discipline dans laquelle il excelle dès ses débuts. C’est d’ailleurs lors d’un freestyle qu’il fait la connaissance de l’homme qui va changer sa trajectoire, Lord Finesse. Le producteur et rappeur va façonner le jeune homme, l’invitant à poser sur ses projets, et surtout lui ouvrant les portes de son collectif d’alors, le célèbre Diggin’ In The Crates Crew, où figurent Diamond D, Showbiz, Buckwild, Fat Joe ou encore A.G. Une dream team en pleine ascension qui cassera une volée de baraques durant la seconde moitié des années 1990.

Un diamant impossible à polir

Dès les premiers sons de Big L, on sent une influence majeure : celle du rappeur Big Daddy Kane. L’album Lifestylez Ov Da Poor & Dangerous est hanté par cette inspiration. On retrouve de fortes similarités dans le flow, mais aussi dans cette volonté de choisir des instrus bruts. Un peu comme aurait pu le faire un RZA dans les débuts du Wu-Tang, avec une esthétique radicalement différente, mais dans une volonté artistique proche.

Sa maison de disques, Columbia, a bien cherché à polir le son de Big L, à le rendre plus mainstream. Clairement, la volonté de la société était d’en faire l’une de ses figures de proue. Mais en composant son album de freestyles, enregistrés les années précédentes, d’extraits de démos déjà sortis et d’inédits, le rappeur semble vouloir n’en faire qu’à sa tête. Son authenticité, son son, sa démarche resteront les mêmes, quitte à ce que les ventes en pâtissent. Une déception pour Columbia, d’autant que l’équipe de producteurs qui travaille sur Lifestylez Ov Da Poor & Dangerous est composée en grande partie de la fine fleure du collectif Diggin’ In The Crates Crew. On retrouve Lord Finesse, forcément, mais aussi la patte si reconnaissable de Buckwild ou encore Craig Boogie et l’excellent Showbiz.

Il ne souriait jamais

Dans le milieu rap new-yorkais, l’album fait malgré tout l’effet d’une bombe. Big L me foutait la trouille”, confiera Nas bien plus tard. “Quand j’ai entendu ce disque, j’ai eu la trouille. Je me disais qu’il n’y avait aucun moyen de rivaliser, si jamais j’étais amené à rivaliser avec lui. Venant de celui qui vient alors de sortir Illmatic, classique East Coast parmi les classiques, ça n’est pas rien. Passionné de films d’horreurs, Big L imprègne sa courte discographie de références, d’hommages à ce genre cinématographique.

D’où vient ce talent indéniable ? Lamont Coleman a grandi dans un milieu très modeste, chez sa mère, au cœur d’Harlem. Lorsqu’il a cinq ans, son grand frère parvient à s’acheter un équipement de Dj. Le petit Lamont commence le rap très tôt, et baignera dedans jusqu’à sa mort. Surtout, très jeune, il en impose par son charisme. Lorsque Nas explique que Big L lui filait la trouille, il ne parle pas que de musique. Son frère, Don, confiait d’ailleurs : J’étais le plus âgé, mais tout le monde pensait qu’il était mon grand frère. Il était vraiment dangereux. Il ne souriait jamais, ne riait jamais. Très vite, il se taille une réputation en invitant d’autres MC’s à le défier en bas des blocks dans des battles rap pouvant voir le gagnant remporter plus de mille dollars. En général, le vainqueur s’appelle Big L. D’ailleurs, c’est en gagnant un tournoi rassemblant plus de deux mille rappeurs que Columbia le repérera, et sortira son premier single officiel, Devil Son.

La mort comme entrée dans la légende

Big L était un sanguin. Fat Joe se souvient :

Parce qu’il devenait connu et qu’il était plutôt petit, certaines personnes ont commencé à lui chercher des problèmes, jusqu’en bas de son block, des trucs comme ça. Une fois, il m’a mis devant le fait accompli. Je traînais dans un spot avec une cinquantaine de gars, et Big L arrive vers moi en courant. Il me dit : ‘Yo Joe, y’a une embrouille mec ! Viens avec moi. J’ai un problème.’ J’y vais, je prends tous mes potes avec moi, et quand on arrive sur place, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une embrouille avec Mace (rappeur proche du Diggin’ In The Crates Crew, ndlr). Ils s’étaient disputés ou s’étaient mal compris, et L m’a vraiment mis dans la merde ce jour-là. Des histoires comme celle-là, il y a en a un paquet.”

C’est peut-être à cause de ce tempérament que Big L n’a jamais cédé à la volonté de Columbia de changer de son. D’ailleurs, dès 1996, voyant qu’il n’y a aucun moyen que le rappeur ne se plie dans leur sens, la maison de disques casse son contrat avec lui. La suite, on la connaît : le succès, son autre classique Ebonics, les collaborations, la mort, les hommages (comme celui de Gang Starr en introduction du titre Full Clip).

Mais cette finalité est aussi le début d’une carrière posthume qui érigera le New-Yorkais comme l’un des plus grands défenseurs du son East Coast que le rap américain ait jamais porté. Son second album, The Big Picture, sorti en 2000, contient un grand nombre de featuring : The Enemy avec Fat Joe, le terrible Fall Back avec Kool G Rap, Holdin’ It avec A.G., Miss Jones & Stan Spit. Mais le plus marquant reste peut-être Deadly Combination, avec 2Pac, dont le titre, après le décès de ces deux interprètes, sonne comme une prémonition. Celle de la mort, évidemment, mais aussi de l’entrée dans l’histoire de deux stars du rap : l’une, 2Pac, érigée en légende, l’autre Big L, trop sous-estimée. Vingt ans après, il est temps de lui rendre une bonne fois pour toutes ce qui lui appartient.