Comment la tech est devenue une composante essentielle du streetwear

Comment la tech est devenue une composante essentielle du streetwear

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Par Hong-Kyung Kang

Publié le

Les innovations techniques ont permis le développement de la mode, et elles sont aujourd'hui au cœur des considérations créatives.

Il n’y a pas longtemps, une veste inspirée du visuel du jeu Death Stranding, réalisée par la marque Acronym en collaboration avec Kojima Productions (l’éditeur du jeu), s’est vendue jusqu’à rupture de stock, malgré un prix affiché de 1 900 dollars. Une somme élevée, mais dont les adeptes de techwear ont l’habitude : ces derniers valorisent grandement la qualité d’un habit, par les matières utilisées pour sa conception, et sont prêts à payer rondement pour un vêtement qui met à l’honneur une technologie innovante.

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Des marques telles que Stone Island et Acronym connaissent en ce moment un succès fulgurant, preuve que le public porte un intérêt de plus en plus grand à l’aspect pratique d’un habit. La technologie apporte aujourd’hui une réelle valeur ajoutée à un produit, et les marques œuvrent pour mettre leurs dernières innovations en avant : dans le footwear, par exemple, on peut citer la semelle 4D d’Adidas, qui est utilisée sur de plus en plus de modèles. 

Comme chaque tendance dans la mode, la technologie incarne également une esthétique particulière, représentée notamment par l’aspect futuriste du techwear, l’apparence utilitaire de l’outdoor et le style affirmé du workwear. Mais plus qu’une simple question visuelle, la technologie est aujourd’hui au centre d’enjeux importants dans le streetwear : elle est l’outil qui permettra de produire des vêtements durables, et imaginer la production de demain dans l’industrie de la mode.

La technologie, un moteur de création historique dans la mode

L’importance de la technologie dans la mode ne date pas d’hier, l’évolution de la mode s’est toujours réalisée par le biais des innovations technologiques des différentes époques. Une évidence pour Julien Lambea, chef de la rubrique Style à GQ France :On fabrique des vêtements depuis l’invention de l’aiguille à coudre, c’est déjà en quelque sorte une innovation technologique.

Et si la mode a su proposer des produits aussi variés, c’est grâce aux découvertes techniques. Le journaliste de GQ en veut pour exemple les pièces d’Issey Miyake, un des premiers stylistes japonais dont les créations ont été reconnues en Europe. Le designer avait en effet mis au point une technique qui lui permettait de créer des vêtements plissés de façon permanente.

Au-delà de toutes les questions pratiques, la technologie a avant tout permis d’aboutir à de nouvelles propositions esthétiques. Par exemple, selon Julien Lambea, la bulle d’air des chaussures Nike s’apparente davantage à “une idée de designer au service d’une technologie“. Mais elle est aujourd’hui clairement une des innovations historiquement incontournables de la mode, une de celles qui a révolutionné le streetwear.

L’exemple de la bulle d’air de Nike n’est pas anodin. En 1978, l’entreprise américaine lance la Nike Air Tailwind, le tout premier modèle doté de la technologie Air : un système d’amortissement des semelles via une bulle de gaz inerte, créé par l’ingénieur aéronautique Franck Rudy.

Nike prend alors conscience du potentiel de cette nouvelle technologie, et décide de l’appliquer à de nouveaux modèles. C’est ainsi qu’en 1987, le designer Tinker Hatfield imagine la fameuse Air Max 1, une paire de running dotée de cette technologie “Air”. Cependant, la grande innovation est cette fois dans le design : la semelle de la chaussure est entrouverte, ce qui permet d’apercevoir le coussin d’air qui est glissé à l’intérieur.

Ce choix de rendre la technologie visible est significatif d’une chose : celle-ci n’a plus seulement un rôle utilitaire dans les vêtements, elle améliore également l’esthétique. En rendant l’innovation visible directement sur les pièces, Tinker Hatfield passe un message clair : la technologie s’arbore désormais avec fierté, et elle devient donc, par la même occasion, un argument central pour défendre un produit de mode.

Le succès de la Nike Air Max 1 est aujourd’hui connu de tous, la paire s’est imposée en tant que composante incontournable de toutes les garde-robes. Aujourd’hui, beaucoup de personnes pensent que ce modèle est le premier à avoir adopté la fameuse bulle d’air. Une preuve que les innovations techniques marquent d’autant plus l’histoire de la mode lorsqu’elles sont exhibées et défendues de façon originale et ostentatoire.

L’innovation technique au cœur de la mode

Aujourd’hui, plus que jamais, les avancées technologiques occupent une place centrale dans les créations de vêtements. En effet, à une époque où l’industrie de la mode tourne à une vitesse sans précédent, les aficionados de style semblent petit à petit recommencer à donner de l’importance à la durabilité des vêtements.

Ce regain d’attrait pour l’utilitaire est dû à plusieurs raisons. Premièrement, le côté pratique des pièces est aujourd’hui très valorisé. Comme le souligne Moriba Koné, co-créateur de la marque Applecore, cet aspect est particulièrement important : “La technologie donne, aux produits en général, une valeur particulière, pour protéger des intempéries, améliorer les aptitudes physiques, ou le confort. On a besoin, dans une moindre mesure, de ces technologies en milieu urbain“.

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Alors que dans les années 1990, cette esthétique était décriée, le public a donc commencé à se tourner vers les vêtements de marques de sport outdoor, initialement destinés aux personnes pratiquant des sports en milieu extérieur, comme le ski ou l’alpinisme. Adrian Verin, du bureau des tendances sportives INMOUV, affirme ainsi : “Aujourd’hui, le pratique et le fonctionnel sont devenus l’apanage du cool.

En effet, l’attrait des consommateurs pour les vêtements techniques ne se serait pas développé sans l’impulsion des acteurs de la mode. Adrian Verin explique : “Pour les marques qui s’intéressent à ce marché, le fait d’y inclure plus d’innovations et de technologies leur permet d’atteindre une cible et une clientèle de plus en plus réceptives.

Les entreprises ont donc saisi l’importance d’axer leur communication sur des valeurs auxquelles le public peut adhérer. Le représentant d’INMOUV continue ainsi : “Dans le discours commercial, cela peut donner une garantie plus forte à un vêtement, et certaines marques s’approprient habilement ces nouveaux codes.

Une position que Moriba Koné confirme : “Aujourd’hui, avec toutes les catastrophes naturelles que l’on a vu apparaître ces dernières années, se recentrer sur l’essence des choses, sur la nature, est devenu indispensable. Les gens ont besoin de valeurs dans le discours des marques, et de pertinence dans le produit, en plus du côté cool.” Il s’agissait donc pour les marques de crédibiliser leur discours auprès du consommateur, en prenant en compte les nouvelles considérations de ce dernier.

Progressivement, les entreprises ont ainsi commencé à donner de l’importance à la technologie, en cherchant à iconiser leurs pièces. Le co-créateur d’Appelcore cite pour exemple le travail d’Errolson Hugh sur les pièces ACG et Acronym, ou les fameuses collaborations entre Supreme et The North Face, qui sont autant d’initiatives qui ont grandement contribué à populariser l’esthétique outdoor et techwear, en injectant l’aspect technique à des produits populaires comme les vestes ou les sneakers.

Enfin, si les pièces techniques sont devenues si populaires aujourd’hui, c’est également en grande partie parce qu’elles sont arborées par des artistes et des sportifs populaires. Moriba Koné l’affirme : “La plupart du temps, les jeunes aspirent à être comme leurs héros, porter la même paire de baskets que Jordan, Lebron, Faker, ou des stars du hip-hop.

Adoptés par des personnes influentes, ces vêtements font rêver ceux qui souhaitent égaler les performances des personnes qu’ils admirent. Selon Julien Lambea, l’habit devient presque alors un “indicateur de statut“, une façon de montrer qu’on est un connaisseur, même si on ne pratique pas les sports pour lesquels ces habits étaient originellement destinés. Le journaliste de GQ pousse la comparaison : “C’est presque comme avoir une Ferrari même si on doit respecter les limitations de vitesse.

Le techwear s’est donc aujourd’hui largement démocratisé, les personnes qui adoptent ce style se font de plus en plus nombreuses. Cette esthétique est aujourd’hui portée par de nombreuses marques, comme Acronym, Stone Island ou la gamme ACG de Nike. Si l’aspect futuriste de ce style peut surprendre les non initiés, les personnes qui maîtrisent le techwear proposent des tenues remarquables qui jouent sur les silhouettes et les matières des vêtements.

Dans d’autres styles, les adeptes de vêtements techniques se tournent également vers des pièces plus expérimentales comme celles proposées par A-COLD-WALL, ou les habits sobres mais au style affirmé de Carhartt. Des marques très populaires, dont le techwear n’est pas le cœur de production, proposent également des pièces technologiques afin de toucher une cible plus large, comme Ralph Lauren avec sa gamme Polo Hi Tech, qui a été lancée dans les premières collections Polo Sport, et qui regagne de la popularité en ce moment, notamment grâce à une réédition en 2018.

Au-delà des marques, les matières en elles-mêmes gagnent de la popularité auprès de consommateurs, qui sont devenus friands des habits qui s’en composent. L’exemple le plus parlant est celui du Gore-Tex, une membrane imperméable à l’eau. Pour Moriba Koné, cette innovation “marque une époque entière“. Adrian Verin souligne que la technologie la plus importante de la mode en ce moment, c’est celle qui permet de créer des vêtements à l’épreuve de la pluie.

L’innovation au cœur des enjeux de la mode de demain

Cependant, en plus de créer des vêtements qui vont résister au temps, le défi pour les marques aujourd’hui est de penser une production qui soit durable pour la planète et l’environnement. En un mot, placer l’éthique au centre de l’industrie de la mode.

Moriba Koné prédit que les tendances qui marquent notre temps doivent être revues. “C’est une époque qui va bientôt s’effondrer” prophétise-t-il. En effet, certaines innovations techniques, comme le Gore-Tex, se réalisent au prix d’une grande pollution. “Il va falloir trouver la suite, avec la conscience des effets néfastes des molécules chimiques de certaines technologies sur notre planète“, continue-t-il, avant de conclure : “Le futur sera la jonction entre fonctionnalité, design et éthique“.

Adrian Verin confirme que c’est la direction que devra prendre la mode de demain, pour faire en sorte que “la technicité et l’innovation soient au service d’un produit plus responsable et durable“. Le streetwear, et la mode en général, ne pourra se développer en passant outre les problématiques écologiques primordiales pour tous.

Plusieurs alternatives sont d’ores et déjà en train d’être mises en place. Le co-créateur d’Applecore évoque des techniques qui viseraient à créer des vêtements imperméables, sans avoir recours à des traitements chimiques. Les fabricants du Gore-Tex ont en outre déclaré leur volonté d’éliminer les polluants chimiques de la conception de la membrane d’ici 2023.

Enfin, une autre technologie qui semble prometteuse à l’avenir est l’impression 3D, une innovation qui pourrait radicalement changer notre façon de consommer la mode. Julien Lambea prédit : “On pourra acheter un design de chaussures ou d’accessoires auprès d’une marque connue et le faire imprimer près de chez soi, sans avoir besoin de se le faire livrer depuis une usine à l’autre bout de la planète“.

À l’avenir, la production de vêtements devra donc tendre vers un système local et qui ne fait pas appel à des produits nocifs pour l’environnement. La technologie, qui a toujours été un instigateur de développement dans le streetwear, et qui se trouve au cœur des considérations des marques et des consommateurs, pourrait être la clé pour penser la mode demain.