Girl Power : les femmes règnent sur la rentrée littéraire

Girl Power : les femmes règnent sur la rentrée littéraire

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

Girl just wanna write books.

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La place des femmes dans le monde littéraire est un sujet sensible. Elles sont moins publiées, moins mises en avant, moins facilement reconnues pour leur talent et les institutions ont depuis toujours du mal à les considérer vraiment comme des écrivains sérieux. En témoigne leur absence récurrente au palmarès des prestigieux prix que compte notre pays. Un simple exemple, lorsque Leïla Slimani obtient le Goncourt en 2106, elle n’est que la douzième femme couronnée alors même que le Prix existe depuis 1903. Des chiffres qui piquent.

Heureusement, on sent poindre depuis quelques années un vent de rébellion, la voix féminine se fait plus forte, plus violente. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’une réponse cinglante a été apportée à ce déséquilibre persistant dans cette rentrée littéraire. Sur les 567 romans parus, les plus imaginatifs, les plus beaux, les plus marquants, les plus féroces ont tous été écrits par des femmes. Voici notre sélection de livres à ne manquer sous aucun prétexte.

La plus freakshow : Emil Ferris, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres

Le parcours d’Emil Ferris est à lui seul un roman. Mère célibataire, dessinatrice de jouets et illustratrice pour des films d’animation, elle se fait piquer par un moustique lors de son 40e anniversaire. Rien de bien méchant sauf qu’elle se réveille trois semaines plus tard à l’hôpital totalement paralysée. Elle souffre d’une méningo-encéphalite, l’une des formes les plus graves du virus du Nil continental. L’écriture et le dessin deviennent alors son seul remède et elle décide de se lancer dans l’œuvre de sa vie.

Une plongée fascinante et effrayante dans le journal intime de Karen Reyes, une jeune artiste prodige de dix ans qui grandit dans le Chicago des années 1960 (exactement comme Emil Ferris). Elle passe le plus clair de son temps absorbée dans son imaginaire, à lutter contre des vampires, des fantômes ou des loups-garous mais une sombre affaire va la forcer à se frotter au monde réel. Son intrigante voisine juive, Anka Silverberg, est retrouvée morte d’une balle dans le cœur le jour de la Saint-Valentin. La police parle d’un suicide mais Karen ne veut pas y croire, elle décide donc de mener l’enquête.

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, publié chez Monsieur Toussaint Louverture, est de loin le projet le plus excitant de cette rentrée. Un conte graphique de 400 pages qui prend la forme d’un cahier à spirales dans lequel dessins immenses et textes au cordeau se mêlent dans un tourbillon d’imagination. On est littéralement happé dans ce monde de fous furieux. Le chef-d’œuvre qu’on n’avait pas vu venir.

La plus satirique : Emmanuelle Bayamack-Tam, Arcadie

Emmanuelle Bayamack-Tam occupe une place à part dans la littérature française d’aujourd’hui. Preuve en est la deuxième identité qu’elle s’est créée pour mener une carrière d’écrivain double. C’est en effet sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri qu’elle signe ses thrillers dont le dernier en date, le sublime Les Garçons de l’été paru l’année dernière. Pourtant, quel que soit son nom de plume ou les livres qu’elle écrit, elle reste toujours fidèle à la même ligne de conduite : mettre en scène les sauvages de notre temps dans des satires sociales drôles et féroces.

C’est tout l’objet d’Arcadie, son dernier roman paru chez P.O.L. Farah, 15 ans, vit avec ses parents et sa grand-mère dans le phalanstère Liberty House, une communauté en marge de la société qui se préserve des ondes et des ravages de l’industrie en appliquant à la lettre les préceptes d’un gourou obsédé sexuel bien flippant. Il règne une forme d’ordre dans le chaos et le lecteur partage leur quotidien loufoque à travers une galerie de personnages tous plus timbrés les uns que les autres. Mais tout va basculer lorsqu’un migrant appelé Argossom va faire irruption dans le groupe. Un simple grain de sable qui enraye la machine et réveille les vices parfaitement humains que la communauté cherchait tant à fuir.

Une satire hilarante autour des fantasmes du retour à la vie sauvage servie par une écriture d’une finesse rare aujourd’hui. Malgré une seconde partie un peu moralisatrice par moments, l’ironie avec laquelle Emmanuelle Bayamack-Tam dépeint la descente aux enfers de cette utopie est un régal.

La plus badass : Rachel Kushner, Le Mars Club 

Rachel Kuschner a grandi dans un des quartiers les plus délabrés de Los Angeles. Avec ce livre paru chez Stock, elle a voulu rendre un hommage puissant à ceux et celles qu’elle a fréquentés dans sa jeunesse, population précaire qui s’insurge mais se heurte à la violence de la société américaine et de son monstre le plus féroce, le système carcéral. On suit le destin tragique de Romy Hall, strip-teaseuse de 29 ans, qui doit purger deux peines consécutives de réclusion à perpétuité pour avoir défoncé le crâne de l’homme qui la harcelait. Ambiance.

L’histoire oscille entre une plongée en immersion dans le quotidien carcéral ultra-violent et les souvenirs d’enfance de Romy dans le San Francisco des années 1980. Un moyen pour la romancière américaine de montrer le cycle infernal auquel ces femmes sont condamnées, prises en étau entre un système social qui les rendra coupable un jour ou l’autre et un système carcéral qui les brisera à vie. Seule pensée qui réconforte Romy, son fils qui continue sa vie à l’extérieur. Mais ses droits parentaux ont disparu au moment même où elle a franchi le seuil de la prison et elle n’a aucune nouvelle de lui. Jusqu’au jour où…

Pas de ménagements ni de bons sentiments pour Rachel Kuschner, on est loin du fantasme soap opera d’Orange is The New Black. Le livre montre la violence dans son plus simple appareil. L’Amérique contemporaine en prend pour son grade et nous tremblons à chaque nouveau chapitre. Un très gros choc littéraire.

La plus street cred : Emmanuelle Richard, Désintégration

Alors qu’elle s’apprête à se lancer dans l’écriture de son dernier livre, Emmanuelle Richard, jeune romancière au caractère bien trempé, tombe sur l’album Perdu d’avance d’Orelsan. Elle ne connaît rien au rap mais elle est immédiatement fascinée par cette voix désabusée qui dénonce l’errance de la jeunesse. Pendant des mois, elle plonge dans cette culture pour saisir la violente poésie qui s’en dégage. Lunatic, le premier groupe de Booba, l’une des figures de proue du rap hardcore revendicatif des années 1990 fera office de révélation. Elle aussi veut libérer un cri de rage, celui d’une jeunesse précarisée qui se débat au quotidien pour s’en sortir sous le regard plein de dédain d’une jeunesse dorée à l’arrogance insupportable. Elle aussi a des choses à dire et elle compte bien y aller au lance-flammes.

Désintégration, c’est avant tout l’histoire d’une jeune femme qui cherche une place dans cette société. Une jeune écrivaine qui, de petits boulots en humiliations, accumule la honte avant d’exploser. Sa dignité, elle ira la chercher par la haine et la violence s’il le faut. Avec une écriture au vitriol, Emmanuelle Richard invente le concept du livre “bombe à retardement”. Le lecteur rit jaune puis bouillonne, jusqu’à l’explosion de colère qui le libère. Jouissif.

La plus rebelle : Mary MacLane, Que le diable m’emporte

Les Éditions du Sous-Sol ont décidément du flair pour dénicher les pépites enfouies de la littérature mondiale et ce n’est pas en lisant Que le Diable m’emporte qu’on affirmera le contraire. Nous sommes à la toute fin du XIXe siècle, Mary MacLane a 19 ans, vit dans une ville minière perdue du Montana et elle étouffe. Elle choisit alors l’écriture comme évasion et un flot de mots se déversent dans son journal. Elle a tellement de choses à dire sur sa condition d’adolescente, sur l’angoisse de la société qui l’entoure, sur ce désir qui l’envahit. Des pensées d’autant plus scandaleuses qu’elle y clame aussi vouloir confier son âme au Diable préférant “sept ans de mal judicieux avant de mourir” plutôt que ces 19 ans de néant.

Grâce au combat d’une éditrice qui tombe sur ses pages, c’est une déflagration, le livre rencontre un succès immense et lui fournit la porte de sortie qu’elle n’espérait plus. Elle peut désormais fuir sa région natale pour mener tambour battant une vie de féministe bisexuelle en avance sur son temps. On est hypnotisé par l’écriture tranchante et poétique de Mary MacLane. Plus encore, on hallucine devant la modernité de ses réflexions. Quand un journal intime se transforme en manifeste universel, le Diable a bien fait son œuvre.

La plus sensible : Nina Bouraoui, Tous les hommes désirent naturellement savoir

Il semblerait que notre temps ait érigé la sensibilité en défaut dangereux. Une bêtise que certains artistes s’évertuent à combattre au fil de leurs œuvres. La romancière Nina Bouraoui est de ceux-là. En 16 livres, elle a fait de son existence chahutée des histoires remplies de tendresse, des questionnements intimes aussi drôles qu’émouvants. Si auparavant elle s’était beaucoup penchée sur la question de ses origines et du rôle qu’a joué sa binationalité dans son parcours, il aura fallu plus de temps pour qu’elle décide d’explorer les origines de son homosexualité et pourquoi cela fut si long à apprivoiser.

Tous les hommes désirent naturellement savoir – dont le titre en jette et pour cause, il a été puisé chez Aristote – est le récit d’un moment enchanteur. La rencontre entre la fougue d’une adolescente et la folie du Paris des eighties. Nina est à la fac et se cherche. Une partie de la réponse, elle la trouve dans les nuits interdites du Katmandou, célèbre boîte de nuit lesbienne. C’est là-bas qu’elle observe la violence des relations entre femmes mais aussi la puissance du désir. Elle est rejetée, maltraitée parfois puis trouve enfin le bonheur dans l’assouvissement de plaisirs. Un livre qui fait du bien parce qu’il vous jette les sentiments à la figure et fait un bon gros fuck à la pudeur qui devrait prétendument guider nos vies.

La plus vindicative : Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes 

“Sorcière”, un mot qui traîne derrière lui un paquet d’histoires, de légendes et surtout de mauvaises connotations. Il n’y a qu’à voir comment il est utilisé aujourd’hui pour désigner avec mépris les femmes qui ne rentrent pas dans les carcans de nos sociétés. Qu’elles aient trop de caractère, trop de responsabilités, qu’elles soient sans enfant ou tout simplement vieillissantes, elles n’échapperont pas à une forme de persécution.

C’est à partir de ce constat que la journaliste au Monde Diplomatique, Mona Chollet, à qui l’on doit aussi l’essai coup de poing Beauté Fatale, a voulu revenir aux sources historiques de ces fameuses chasses aux sorcières du XVIe et du XVIIe siècle. Mona Chollet souhaite renverser l’image de la sorcière pour en faire un modèle inspirant pour les jeunes générations.

Un texte fort, engagé, vindicatif même par moments, qui ne plaira certainement pas à tout le monde mais qui a le mérite d’apporter un éclairage riche et nouveau sur l’un des grands débats de notre temps : la place de la femme dans la société. Le livre à apporter à ton prochain dîner de famille pour mettre un peu l’ambiance.