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Comment les collectifs ont révolutionné la mode

Comment les collectifs ont révolutionné la mode

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Par Manon Baeza

Publié le

Reflet d'une mode plus collaborative et engagée, ce phénomène annonce-t-il une nouvelle ère créative ?

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Mardi 19 février, l’icône de la mode et de l’emblématique maison de haute couture Chanel depuis 1983, Karl Lagerfeld, s’éteignait. La disparition du “Kaiser” a entraîné dans son sillage une réflexion profonde sur le fonctionnement de l’industrie de la mode. Et si Karl avait emporté dans la tombe une certaine forme de mode élitiste, ouvrant ainsi une nouvelle ère où la starification du designer serait révolue et où l’on sortirait de l’ombre toutes ces petites mains indispensables aux maisons de couture ?

Parce que “l’union fait la force”, les métiers d’arts privilégient de plus en plus le travail collaboratif, favorisant l’émergence de collectifs tels que Vetements, GmbH et Walk in Paris. Retour sur ce phénomène que Manon Renault, sociologue et journaliste de mode, décrypte à nos côtés.

Les collectifs, une façon de penser plus démocratique

Créée par sept créateurs et lancée en mars 2014, la griffe Vetements interpelle immédiatement le monde de la mode. Et pour cause, l’anonymat prôné par ce collectif contraste fortement avec la génération d’accros aux selfies. Une vision de la mode qui rappelle celle du très avant-gardiste Martin Margiela. Si leur discrétion sur les réseaux fascine, c’est leur approche collective de la conception du vêtement qui marque les esprits. Manon Renault nous explique :

“Avec les collectifs, on a une certaine idée de l’engagement. En cela, on donne à sa marque quelque chose de beaucoup plus politique que lorsque l’on crée une marque où l’on stratifie un seul créateur. Le collectif repose sur un principe plus démocratique.”

Un principe démocratique qui séduit de plus en plus la sphère mode et qui, par la même occasion, réfute l’idée du créateur star. Auparavant, une marque avait tendance à s’associer à une figure pour s’assurer une longévité, ce qui permettait au passage aux consommateurs de l’identifier facilement. L’image de la marque était donc intrinsèquement liée à son designer, à l’instar d’Yves Saint Laurent, Pierre Balmain ou encore Christian Dior. Manon Renault ajoute :

“Aujourd’hui, on est dans un cycle où il y a tellement de figures qui se renouvellent que nous n’avons plus le temps de créer cela, il y a trop de turn-over dans les créateurs.”

L’émergence des collectifs au sein de la mode

Après Vetements, c’est le collectif berlinois GmbH qui a fait parler de lui. Fondé par Serhat Isik et le photographe Benjamin Alexander Huseby, GmbH est la relève de la mode underground et collective proclamée par Vetements. Savoureux mélange de mode, de design et de techno, GmbH est le fruit de passions partagées et fusionnées.

En septembre dernier, nous découvrions le premier défilé du collectif GAMUT, à La Station – Gare des Mines, lieu associatif tenu par le collectif MU, à Aubervilliers. Portée par cinq jeunes diplômés de La Cambre – prestigieuse école d’arts visuels de Bruxelles –, la jeune marque explore les terrains d’une mode plus “participative” et plus “ouverte”. Pour Manon Renault :

“Nous vivons à une époque où l’on n’a plus envie d’entendre parler de hiérarchie. Il y a vraiment cette idée où tout le monde participe, celle d’une société civile. Emmanuel Macron est le président de la société civile : il a choisi de mettre plusieurs ministres anonymes, issus de cette même société. Et les collectifs, c’est cette idée où tout le monde participe”

En fin de compte, faire partie d’un collectif, c’est participer à sa manière, s’inspirer de son entourage, se servir de son réseau personnel et mettre en pratique son savoir-faire. Une organisation que le monde de l’art a toujours prônée. “Presque tous les mouvements d’avant-garde ont été créés par des collectifs, ils faisaient un manifeste à l’époque”, souligne Manon. Et d’ajouter :

“Internet a donné envie aux gens de se servir de leur propre réseau. Au final, Internet, c’était un autre moyen de faire de la culture ensemble et sans payer. Créer son collectif, ce n’est pas qu’une stratégie marketing, c’est aussi une question de facilité et de pratique. Aujourd’hui, le pouvoir est aux gens : on est sans arrêt convoqués pour participer. Par exemple, à la télé, on va beaucoup plus inviter le public à prendre part dans l’émission.”

Des collectifs qui invitent à penser collaboratif

L’idée d’un collectif, c’est également ce souhait de travailler de manière collaborative. Andrea Crews a été créé par Maroussia Rebecq en 2002. Le label, qui se définit comme un “collectif artistique multidisciplinaire”, organise à côté de ses collections mode des performances musicales, des expositions ou encore des workshops d’upcycling participatif.

La marque “Walk in Paris” a été fondée il y a 7 ans par Léo, danseur, et Gary, furtivement passé par le graff mais passionné depuis toujours par la griffe. Ensemble, ils ont créé cette marque de streetwear, inspirée par l’univers du hip-hop, où se mêlent leurs influences artistiques. Leur stratégie de com est principalement basée sur leur entourage et leur réseau. Et ça paye !

Effectivement, proches de Roméo Elvis, d’Angèle ou encore de Christine and the Queens – Léo faisait partie de sa troupe de danseurs –, aujourd’hui, des artistes comme Skepta, Vald, Dimeh ou encore Sopico ont intégré la team “walkers“. Récemment, le collectif explore de nouveaux terrains en collaborant avec Francis Essoua Kalu, artiste peintre plus connu sous le nom d’Enfant Précoce. D’ailleurs, c’est Gary qui s’est chargé de photographier le peintre – vêtu de la tête aux pieds en Walk In Paris – aux côtés de ses œuvres, en plein cœur de Paris.

Une nouvelle ère créative

Comme l’annonçait Lidewij Edelkoort, grande prêtresse de la mode connue pour son manifeste Anti_Fashion publié en 2015, il semblerait que nous assistions à une prise de conscience générale qui encourage vivement le travail collectif. Début 2018, la Casa 93, une école de mode gratuite fondée par Nadine Gonzalez, a ouvert ses portes à Saint-Ouen.

Ce projet social vise à donner une chance aux jeunes aspirants créateurs issus des milieux défavorisés, ceux qui ne peuvent pas dépenser plusieurs milliers d’euros pour étudier. Pendant leur cursus, les étudiants sont invités à imaginer une collection collaborative d’upcycling, explique le site.

Le processus créatif est donc intrinsèquement remis en cause, et de plus en plus de marques mettent un point d’honneur à collaborer avec des artistes. C’est également le cas du jeune duo créatif Études Studio, qui s’est autoproclamée “marque d’art”. À travers leurs collections de vêtements, les deux jeunes hommes multiplient les collaborations artistiques, mêlant la mode au design, à la peinture, à l’architecture, à la musique, au graphisme ou encore à la photographie.

Dans un autre esprit, Umaniwear, célèbre les cultures en travaillant avec des tissus directement importés des pays mis en avant. Pour appuyer ses propos, Salomé Martin-Darras, fondatrice de la marque, choisit de collaborer avec l’association parisienne de l’Atelier des artistes en exil qui, comme son nom l’indique, traite du thème de l’exil à travers l’art.