Rencontre avec Li Wei, artiste chinois qui nous envoie follement en l’air

Rencontre avec Li Wei, artiste chinois qui nous envoie follement en l’air

photo de profil

Par Anaïs Chatellier

Publié le

Jusqu’au 15 novembre prochain, le performer et artiste chinois Li Wei présente sa nouvelle série photo “Vision” au Grand Palais de Paris. Il commente pour Konbini certains de ses clichés.
Sans truquage ou presque, il exécute des performances toujours plus hautes et impressionnantes, et met les lois de la gravité à mal. Li Wei est un artiste qui donne le vertige. Ce quadra originaire de Beijing combine photographie et performance pour créer des images surréalistes, tantôt douces, tantôt survoltées. À l’honneur au Grand Palais, il entretient depuis longtemps des liens privilégiés avec la France, qui l’ont nourri dès ses études, époque où il devait cacher certains livres sous le manteau car ils étaient prohibés en Chine.

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L’enseignement à l’université chinoise est assez conservateur et fermé. À l’ambassade de France, il y avait une bibliothèque avec des livres sur des artistes plus actuels. J’ai pris ma carte d’abonnement, ce qui m’a permis de découvrir les nouveaux mouvements artistiques et des artistes étrangers comme Andy Warhol.

Il n’y avait pas non plus vraiment de lieu pour exposer les œuvres des artistes“, poursuit-il. C’est ainsi qu’avec un groupe d’amis, il commence à réaliser des performances en tout genre, vite remarquées dans le milieu de l’art contemporain. Li Wei se fait une renommée internationale avec ses photos atypiques où il met en scène son corps et celui d’autres figurants dans les airs, créant l’illusion de situations tout autant spectaculaires que comiques.
Voici une série de photos commentées par Li Wei lui-même pour Konbini.

La série “Mirror”

Cette image, c’est vraiment le début de mon travail dans les années 2000. La Chine était encore assez pauvre, les gens vivaient dans des conditions difficiles et ce qui m’intéressait c’était de questionner les gens par rapport à leur environnement, de les faire réagir. Beaucoup trouvaient ma performance amusante, d’autres étaient très intrigués, voire prenaient peur !
Ils avaient vraiment l’impression que j’étais un homme sans tête ou sans corps, ou bien une tête qui se promène détachée du corps. Le but c’était que chaque personne qui se retrouve face à l’œuvre se demande ce que cela représente pour lui.
Ce que je trouvais intéressant aussi dans cette photo, c’est son aspect contradictoire. On a cette impression que la tête est en liberté par rapport au corps alors qu’elle est emprisonnée dans le miroir. D’un point de vue technique, j’ai fait un trou avec une scie et j’ai bien évidemment poncé pour que ça ne soit pas coupant !

“Li Wei falls to the Earth”

Ça faisait un moment que j’avais cette idée en tête, mais je ne trouvais pas le lieu idéal. J’ai donc sillonné pas mal de routes en moto, quand j’ai enfin trouvé ce trou, pas très loin de mon travail. Un accident avait créé cette béance, mais personne ne s’occupait de la reboucher.
Pour l’anecdote, les passants que l’on voit sur l’image pensaient que nous étions des personnes officielles, ils nous disaient : “Ce serait bien que vous répariez la route”. Lorsque j’ai voulu revenir pour reprendre des photos, ils avaient rebouché le trou, ils se sont activés parce qu’ils pensaient que des gens importants étaient venus. L’art a parfois des conséquences étonnantes…
Je suis resté un peu plus de 10 minutes, j’avais déplacé de grosses pierres pour faire en sorte de caler mes épaules et pouvoir garder la position, ça faisait un peu mal quand même ! Je me suis intéressé à travers cette image aux problèmes environnementaux, l’idée c’est d’aller voir les problèmes en profondeur et ne pas les aborder à la surface.
Il y a aussi cette idée de faire l’autruche et de se cacher pour ne pas régler les problèmes. Après cette image, j’ai réalisé des performances similaires dans plusieurs environnements différents.

“29 Levels of Freedom”

J’ai pris cette photo en 2003. C’est fou comme tout a changé ! À cet endroit, il n’y a plus que des buildings. C’était une période où j’expérimentais différentes techniques pour m’envoler. J’étais dans une recherche artistique.
Je suis tenu par une corde qu’on ne voit pas. Elle part de mon dos et est accrochée à l’étage supérieur. Je l’ai supprimée ensuite de l’image. C’est avec cette façon que je travaille désormais. Les performances sont toujours réelles, mais j’enlève les cordes et les harnais ensuite pour donner cette impression de liberté.

“The Sky of Sète”

En 2012, quelque chose d’important s’est produit. J’étais en train de réaliser cette photo sur ce bateau tenu par une grue avec trois points d’attache. Un des câbles s’est scindé en deux, le bateau a basculé, j’ai perdu l’équilibre et suis tombé. J’ai été immobilisé pendant deux semaines. Ça m’a donné l’occasion de réfléchir sur ce que je voulais faire, ce qui me rendait heureux : c’était de m’envoler toujours plus haut et de faire partager cette expérience magique aux autres.
Sur cette image, je porte un habit de moine. Ce vêtement représente pour moi la religion, la culture de mon pays. Il y avait aussi ce sentiment d’être au-dessus des soucis de la vie quotidienne, de s’élever. C’est un symbole spirituel. Chaque religion, chaque croyance est faite pour aider l’homme à être heureux. Il y a donc toute une série d’images où je porte également l’habit de moine.

“Fly Over Amsterdam Prison”

Après mon accident, j’ai vraiment eu envie de communiquer cette expérience unique à d’autres. Je suis quelqu’un de très optimiste et je pense qu’il faut essayer de rendre les gens heureux.
Quand vous êtes en l’air, la force de gravité est différente. Vous n’avez plus les mêmes sensations, les même perspectives, vous voyez plus loin, c’est quelque chose qu’il faut vivre pour comprendre. Quand on est sur terre, on est parfois accablés par des contraintes, des choses qui nous pèsent. En l’air, on s’affranchit de toutes ces contraintes, on a une liberté d’esprit. Dans les différents lieux où je vais, j’essaie de partager cela. Certaines personnes ont peur mais une fois en l’air elles sont heureuses.
J’aime particulièrement cette photo. C’était aux Pays-Bas, la femme est une de mes amies, elle porte une robe blanche, symbole de la liberté, et en arrière plan il s’agit d’une prison. Cette image est très symbolique, elle montre la différence entre l’enfermement et la liberté.

 “Vision”, 40 collaborateurs de Pernod Ricard s’envolent

Ces images représentent mon dernier travail. J’ai photographié 40 collaborateurs de Pernod Ricard, qui fête ses 40 ans cette année. Ce qui est important dans ma manière de travailler c’est la confiance, j’ai donc d’abord soulevé chacune des personnes qui allaient participer au projet et une fois qu’elles étaient rassurées, on pouvait les soulever toutes ensemble. Le but était de faire quelque chose de collectif, qu’on ressente l’esprit d’équipe et la convivialité.
Chaque image était ainsi une sorte de chorégraphie dans les airs. Le groupe voulait également des images qui symbolisent le fait de voir toujours plus loin en choisissant des lieux emblématiques du groupe. Il me semble que c’est la sensation que provoquent ces images.
En tout cas, nous avons beaucoup ri. Certains se comportaient comme de vrais enfants, en imitant les super-héros par exemple. C’est vraiment ça que je recherche dans mon travail, que les personnes s’amusent, profitent du fait de s’envoler et laissent au sol les problèmes du quotidien, au moins pendant quelques minutes.

Pour plus d’informations sur l’exposition, c’est par ici