À la fondation Cartier, le bestiaire sonore de Bernie Krause

À la fondation Cartier, le bestiaire sonore de Bernie Krause

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Par Thibault Prévost

Publié le

Jusqu’à janvier prochain, l’exposition “Le Grand orchestre des animaux” rend hommage aux compilations du musicien et bioacousticien Bernie Krause, qui traque le son à l’état sauvage.

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Depuis juillet, les sous-sols de la fondation Cartier résonnent de vocalises animales, répercutées sur des murs mouvants aux teintes végétales. Hululements, croassement, rugissements… les haut-parleurs, astucieusement disséminés dans les salles, immergent le spectateur dans un océan sonore brut et sauvage, collecté directement à la source. Jusqu’à janvier 2017, “Le Grand orchestre des animaux” habille les enregistrements précieux d’un documentariste unique en son genre, l’Américain Bernie Krause, qui braconne sans relâche les bruits des animaux du globe.

Ancien compositeur pour Hollywood (il a notamment travaillé sur la BO d’Apocalypse Now), Bernie Krause a connu son épiphanie il y a un demi-siècle, en passant une nuit dans les bois pour enregistrer des bruits de nature. Transfiguré par l’expérience auditive, il abandonnera sa carrière pour se consacrer à la capture de “paysages sonores” du monde entier, fasciné par la communication animale. Comme il l’explique à New Scientist, ses travaux ont permis de découvrir que lorsque plusieurs espèces partagent un espace commun, elles font évoluer leurs fréquences sonores pour ne pas empiéter les unes sur les autres. Un véritable “orchestre”, bien loin de la cacophonie que nos oreilles ignorantes perçoivent lors de nos trop rares séjours dans le “silence” naturel.

Des sons qu’on n’entend plus sur la planète

L’exposition de la fondation Cartier nous entraîne donc dans les 5 000 heures d’enregistrements collectées par le documentariste en cinquante ans et confie au collectif londonien United Visual Artists le soin de confectionner sur mesure des environnements visuels adéquats à chaque type d’atmosphère. Tour à tour telluriques et aquatiques, les panneaux numériques mouvants entraînent le spectateur dans un voyage contemplatif, sans pour autant le divertir de l’œuvre sonore. Ce serait quand même dommage de passer à côté du son d’une baleine à bosse. Le parcours de l’exposition est aussi ponctué de travaux d’artistes de toutes disciplines faisant écho aux recherches de Bernie Krause. On note notamment la présence du photographe Raymond Depardon, de la cinéaste Agnès Varda, ou du peintre Moke, le tout dans une scénographie orchestrée par l’atelier TALLER Mauricio Rocha + Gabriela Carrillo.

Au-delà de l’expérience artistique unique en son genre (surtout pour les plus urbains d’entre vous, avouons-le), l’exposition de la fondation Cartier rappelle l’importance scientifique des collections sonores de Bernie Krause : selon New Scientist, 50 % des sons collectés par l’artiste depuis 1968 n’existent désormais plus, rendus muets par l’expansion des activités humaines. “Le Grand orchestre des animaux” n’est pas une symphonie, c’est une photo souvenir de la faune terrestre aujourd’hui en partie disparue.

“Le Grand orchestre des animaux”, à la fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris 14e) jusqu’au 8 janvier 2017.