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En Algérie, des femmes organisent des baignades en maillot de bain via un groupe Facebook secret

En Algérie, des femmes organisent des baignades en maillot de bain via un groupe Facebook secret

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Par Mélissa Perraudeau

Publié le

Face au harcèlement dont elles sont trop souvent victimes, des femmes algériennes organisent des baignades en maillots de bain via un groupe Facebook secret. Une façon d’“habituer les hommes à voir des femmes en maillot de bain” et de se réapproprier l’espace public.

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En Algérie, pendant le mois du ramadan, des jeunes ont mené une véritable croisade en ligne contre les femmes se baignant en maillots de bain. Comme le site Marianne le raconte, ils ont créé des pages sur les réseaux sociaux appelant à prendre en photo ces femmes pour les “afficher” sur Internet. En parallèle, une autre campagne ciblait les femmes ne portant pas le voile et/ou sortant seules le soir. Lilia, journaliste au quotidien algérien Le Provincial, a expliqué au site que comme “les autorités n’interviennent pas”, “les pages ne sont pas réglementées, pas surveillées et ça se répercute à l’extérieur”. Fin juin, deux agressions de femmes dont les tenues ont été jugées indécentes ont ainsi été commises. Le Provincial a ainsi rapporté une agression commise le 22 juin contre une jeune femme dans une ville à l’est du pays. Trois hommes l’ont insultée, avant de déchirer sa jupe jugée trop courte. Une semaine avant, un motard fouettait une jeune fille avec un câble électrique, également parce qu’il jugeait sa jupe indécente.

Une façon d’“inculquer la tolérance et l’acceptation de l’autre”

C’est dans ce contexte qu’au lendemain de la fin du ramadan, une jeune femme habitant à Annaba, une ville côtière du nord-est de l’Algérie, a créé un groupe secret sur Facebook pour inviter des membres de sa famille à se rassembler en maillots à la plage. Ce jour-là, elle était la seule femme présente au bord de la mer, et n’avait pas osé se mettre en maillot par peur d’être agressée physiquement ou verbalement. Une situation parlant à beaucoup d’autres Algériennes, puisqu’en une semaine, le groupe a fait mouche et dépassé le cadre de sa famille. Il comptait 1 500 femmes après une semaine, et elles sont désormais près de 3 200. Toutes habitantes d’Annaba, et unies vers le même objectif : se baigner dans la tenue qu’elles veulent porter, et sans être dérangées.

Marianne explique que le groupe s’organise en secret, de façon à se protéger au maximum de toutes représailles. L’administratrice propose des dates de baignade, et les membres votent pour celle qui les arrange. Elles se donnent ensuite rendez-vous sur une plage de la ville, toujours en secret. Trois sorties ont déjà eu lieu, les 5, 8 et 13 juillet. D’abord quarante, elles étaient deux cents participantes lors du deuxième rendez-vous, et plus encore au troisième. La fondatrice a expliqué à la journaliste, qui a elle-même joint le groupe et relayé l’initiative pour “habituer les hommes à voir des femmes en maillot de bain”, qu’elle voulait diffuser des valeurs essentielles :

“Le but n’est pas de faire du bruit et encore moins de faire le buzz, mais de changer la société profondément et en douceur. Ceci ne pourra se faire qu’en habituant des milliers de voyeurs à ce qu’ils considèrent encore comme étant interdit. Nous ne voulons pas changer leur vision des choses, mais simplement leur inculquer la tolérance et l’acceptation de l’autre.”

Et Lilia d’ajouter auprès de Marianne que “le but de l’article et de [leur] groupe est de dire ‘baignez-vous comme vous voulez, pas forcément en maillot de bain'”, pour “que la plage reflète la richesse et la diversité” de la société algérienne.

Se réapproprier l’espace public

Randa, une jeune habitante d’Annaba de 22 ans, s’est rendue à la première baignade. Elle a raconté à Marianne comment les femmes algériennes devaient “composer avec le harcèlement, que ça touche à [leurs] tenues vestimentaires ou aux lieux” qu’elles fréquentent, et qu’elle avait donc énormément apprécié la première sortie commune :

“C’était très agréable car on se sentait bien, à l’aise, épanouies au milieu de beaucoup de femmes. On se sentait supérieures numériquement donc c’était très rassurant.”

Le site souligne qu’il s’agit d’une question de réappropriation de l’espace public, dans un pays où les femmes sont déjà bannies de “certains cafés” et où “la rue est envahie par les hommes”, comme le raconte Randa.

Les pages “anti-maillots” créées pendant le ramadan ont vite déclaré leur opposition au groupe, lançant notamment le hashtag “je me baigne avec mon hijab, je laisse la nudité aux animaux”. Mais selon le Nouvel Observateur, des opérations similaires ont déjà eu lieu à Alger et à Oran, et pourraient naître également dans le centre d’Annaba et d’autres agglomérations. En attendant, le groupe Facebook secret a également décidé de se battre “pour imposer [ses] robes et [ses] jupes dans les rues de la ville pendant toutes les saisons de l’année”.