Daech en huit questions essentielles

Daech en huit questions essentielles

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Par Marion Olité

Publié le

Les terribles attentats qui ont coûté la vie à au moins 129 personnes vendredi à Paris ont été revendiqués par Daech. On sait tous ces types-là sont des enflures, mais il est temps de connaître un peu mieux l’ennemi. On s’est posés 8 questions pour y voir plus clair. 

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#1 Comment Daech est-il devenu “The place to be” pour les terroristes islamistes ?

Daech (acronyme arabe de “l’Etat Islamique en Irak et au Levant”) n’est pas devenu l’organisation terroriste islamiste number one en un jour, mais son expansion a été assez fulgurante. Créée en 2006, elle creuse son terreau pendant le bourbier irakien. Petit frère d’Al Qaïda, Daech prend son indépendance cette année-là. La nouveauté : il se considère comme un véritable État. Son but n’est pas seulement de terroriser les Occidentaux, mais d’établir un Califat qui interprète au pied de la lettre les préceptes de Mahomet, selon l’idéologie du salafisme jihadiste (mouvement sunnite qui revendique le retour à l’Islam des origines, à l’application de la Charia et à l’expansion territoriale par les armes).

Chassés de leur fief d’Al-Anbar en Irak, les combattants de l’Etat Islamique trouvent refuge en Syrie. L’EI s’étend à partir de la révolution de 2011. En plein Printemps arabe, alors que son peuple réclame sa démission, Bachar El-Assad s’accroche au pouvoir. Histoire de mettre de l’huile sur le feu, il fait relâcher une centaine de combattants salafistes détenus dans ses prisons, qui vont s’empresser de rejoindre Daech. En exploitant les divisions confessionnelles, le dictateur réussit à fédérer les plus grandes organisations terroristes du moment : en 2014, l’Etat Islamique annonce l’instauration d’un Califat. Plusieurs groupes djihadistes lui prêtent allégeance – dont Boko Haram (Nigeria), Ansar Bait al-Maqdis (Egypte) ou encore Jund al-Khalifa (Algérie) – tandis qu’une guerre fratricide débute avec Al-Qaïda.

En juillet 2014, la ville de Mossoul (Nord de l’Irak) tombe aux mains de Daech. Fidèle à son idéologie djihadiste, l’organisation ne cesse depuis de s’étendre par petits bouts, entre la Syrie et l’Irak. Si bien qu’aujourd’hui, elle contrôle un territoire grand comme la moitié de la France et prend en otage 10 millions d’habitants.

#2 Ils sont combien et qui les dirige ?

Les chiffres évoluent sans cesse, mais fin 2014, l’Organisme syrien des Droits de l’homme (OSDH) estimait le nombre de combattants de l’Etat islamique à environ 50 000. Parmi eux, il y aurait 20 000 Syriens. L’ONU évalue de son côté au moins 15 000 sympathisants issus de 80 pays aux quatre coins du globe. Leur chef est Abou Bakr al-Baghdadi. Auto-proclamé Calife, il fut détenu par les Américains en 2004, puis relâché. Selon ses dires, il serait descendant de l’imam Ali, le fils de l’oncle de Mahomet. Il ferait partie de la tribu des Quraych, les descendants du Prophète.

#3 C’est quoi le délire avec tous ces noms différents ?

Ils veulent tous dire, à peu de choses près, la même chose. Résumons :  il y a l’Etat Islamique, Daech (acronyme arabe, donc), Daesh (la même en anglais), ISIS (acronyme anglais pour “Islamic State of Irak and Syria”) et l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant). Pour ne pas leur faire le plaisir de les qualifier d’Etat dans la langue de Molière, la France a pris le parti de nommer l’organisation Daech.

#4 Les jihadistes sont-ils tous des cinglés bons à enfermer ?

Dans le sens psychiatrique du terme, on ne peut pas dire qu’ils soient “fous”, car cela reviendrait à affirmer qu’ils ne sont pas responsables de leurs actes. Si la notion de lavage de cerveau peut intervenir, les profils des membres de Daech s’avèrent beaucoup plus variés que l’on pourrait croire au premier abord : anciens officiers de Saddam Hussein, mercenaires, combattants venus de Tchétchénie, laissés-pour-compte européens, émirs saoudiens influents, soldats turcs, tunisiens, jordaniens…

Impossible d’être exhaustif sur ceux qui composent ISIS. Il en va de même sur leurs motivations : au milieu de quelques illuminés qui attendent l’Apocalypse, les opportunistes politiques et économiques, prêts à retourner leur veste dès que le vent tournera, ne sont pas rares.

#5 À part tuer tous ces “chiens d’infidèles”, c’est quoi leur but ?

Là, on en vient à la partie vraiment flippante. Par rapport à Al-Qaïda, la logique islamiste de Daech monte un cran dans le délire. Leur but est d’éliminer tous les “Croisés”, de soumettre à leur idéologie les juifs, les Yézidis, les chrétiens et les autres musulmans (s’ils refusent, c’est la mort) et de préparer une belle Apocalypse. Millénariste (ils attendent le Messie sur Terre) et nihiliste, l’organisation a pour but de consolider son expansion territoriale et de poursuivre le jihad dans les territoires ennemis.

Tout ça, en attendant “la bataille de Dabiq” (Nord de la Syrie). Selon les paroles du Prophète, cette ville sera le théâtre d’une grande bataille finale entre les armées de l’islam et les “infidèles”. Cet affrontement déclenchera alors le compte à rebours vers l’Apocalypse. Et là, oh joie, on crèvera tous. Eux aussi, mais comme ils s’en fichent…

#6 Les musulmans modérés sont-ils safe ?

Absolument pas. Le Califat auto-proclamé souhaite que tous les musulmans du monde lui prêtent allégeance. Ceux qui refusent de suivre l’interprétation ultra-violente du Coran par ces salafistes djihadistes sont considérés comme des apostats (abandon d’une religion) et punis de morts. D’ailleurs, si les attentats parisiens ont tragiquement rappelé la haine que voue l’EI à l’Occident, la priorité d’Abou Bakr Al-Baghdadi reste de régler son compte aux chiites (une autre branche de l’Islam) et aux sympathisants sunnites de la monarchie saoudienne.

Les musulmans français risquent donc autant la mort que nous. Concernant les chrétiens et les juifs qui ont le malheur de se retrouver sous le joug de Daech, s’ils reconnaissent le calife et paient une taxe, ils sont à priori autorisés de vivre.

#7 Qui finance ces ordures ?

Une fois de plus, c’est compliqué. Daech est en grande partie auto-financé, à 80% selon Jean-Charles Brisard, expert en financement du terrorisme qui a rendu un rapport sur la question (en passe d’être mis à jour). Ce qui pose problème pour établir des sanctions commerciales. Ses sources de revenus sont diverses : elles vont de l’agriculture (cultures de blé, d’orge, de coton) aux banques de dépôt (140 succursales contrôlées en Syrie et en Irak) en passant par une vingtaine de champs pétroliers (gain de 600 millions de dollars/an), de la contrebande de pièces d’antiquité et des taxes en tous genres. Les sources de revenus criminelles (rançons des otages occidentaux, pillages) représenteraient 40% de sa richesse.

Evidemment, aucun Etat n’achète ouvertement du pétrole à Daech. Il passe d’intermédiaires en intermédiaires, par des réseaux de distribution de contrebande qui rendent sa traçabilité difficile à établir. Tant et si bien que le pétrole terroriste peut potentiellement se retrouver dans votre voiture sans que vous ou le gouvernement français ne le sachent. Le prix attractif de leur pétrole par rapport au marché assure de trouver preneur. Un dernier chiffre : le rapport estimait les richesses de l’EI (c’est-à-dire les ressources naturelles sur les territoires qu’il contrôle) à 2 200 milliards de dollars. Oui oui.

#8 Et donc, on les combat comment ?

Plusieurs axes doivent être déployés. Déclarer un embargo commercial envers tous les pays (Turquie etc…) par lesquels transitent l’argent meurtrier de Daesh peut porter ses fruits, mais revient à sanctionner des pays – et surtout des habitants – qui n’ont rien demandé. Il ne faudrait pas non plus oublier de revoir, en France notamment, la façon dont on intègre les jeunes issus de l’immigration, histoire que leur seul espoir de bonheur ne se résume pas à se faire exploser pour une cause médiévale, en espérant le Paradis au bout du tunnel.

Reste bien entendu le combat militaire dans la région contrôlée par l’Etat islamique. C’est en grande partie pour cette raison que Daech s’en est pris aux Français. En plus de représenter tout ce que ces fondamentalistes religieux exècrent – la liberté, la culture, la jouissance des plaisirs terrestres – la France est engagée contre le terrorisme sur plusieurs fronts : au Sahel en Afrique, mais aussi en Syrie et en Irak, où Paris a été l’un des premiers à rejoindre l’armée américaine.

Formée depuis 2014, la Coalition internationale en Irak et en Syrie contre Daech pédalait quelque peu dans la semoule tant que la Russie, trop en affaires avec Bachar El Assad, refusait de s’impliquer. Ces derniers mois, l’organisation terroriste a connu quelques revers encourageants dans ses fiefs en Syrie. Depuis le crash d’un avion russe en Egypte le 31 octobre dernier, revendiqué par l’EI et ayant coûté la mort à 224 personnes, Poutine est prêt à former une nouvelle alliance avec les Américains, les Français et toutes les forces déjà à l’œuvre (rebelles modérés, Kurdes, milices chiites entraînées par l’Iran, Hezbollah, voire armée syrienne…). Les frappes aériennes vont donc s’intensifier. Pour le moment, pas de troupes sur le terrain mais cela peut changer.

La transition vers un nouveau pouvoir syrien sera longue et compliquée. Et les civils innocents n’ont pas fini de trinquer. La chute de Daech, dont l’idéologie ultra-radicale la prive de tout allié, sera-t-elle une simple question de temps ? Il faudra en tout cas être patient.

– À lire aussi sur le sujet : l’excellente enquête du Courrrier International et le documentaire de Arte, Daech, naissance d’un Etat terroriste dispo sur YouTube.