Un ancien camp de concentration pourrait être transformé en hôtel de luxe

Un ancien camp de concentration pourrait être transformé en hôtel de luxe

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Par Olivia Cassano

Publié le

Le gouvernement du Monténégro a approuvé un plan de redéveloppement qui prévoit de transformer un ancien camp de concentration en station balnéaire de luxe. Forcément, cette décision passe mal. 

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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de touristes viennent visiter solennellement des anciens camps de concentration, préservés en mémoire des victimes. Mais, l’un de ces lieux tristement historiques risque d’être transformé en destination touristique glamour : une station balnéaire de luxe… Non, ce n’est pas une blague.

Cette semaine, le gouvernement du Monténégro a donné son feu vert pour qu’une forteresse utilisée comme camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale soit transformée en hôtel de luxe. Sans surprise, cette décision a déclenché une avalanche de critiques, notamment de la part des locaux.

La forteresse austro-hongroise de Mamula, érigée sur une  petite île, a été utilisée comme prison de guerre quand les troupes italiennes, sous le commandement du dictateur fasciste Benito Mussolini, ont occupé cette zone. Entre le printemps 1942 et l’automne 1943, 2 300 personnes ont été emprisonnées au Campo Mamula et 130 d’entre elles ont été assassinées ou sont mortes de faim. La sinistre réputation de l’endroit a inspiré un film, intitulé Campo Mamula, sorti à la fin des années 1950.

Les projets futurs qui attendent l’île contrastent fortement avec son sombre passé. Le projet actuel prévoit de renommer ce bâtiment historique le “Lustica Bay Resort” pour en faire un complexe hôtelier qui renfermera 23 chambres, deux restaurants, un spa, un club de plage et une petite marina pour les yachts.

Mamula Island ex concentration camp to become luxury resort
La forteresse de Mamula, qui servit de camp de concentration pendant la guerre. (© Wikimedia Commons)

Même si la forteresse semble bien préservée, Olivera Brajovic, la directrice de l’organisme qui s’occupe du développement du tourisme au Monténégro – dont le père, l’oncle et le grand-père ont été emprisonnés au Campo Mamula – a expliqué à l’AFP que la seule manière de préserver le site sur le long terme était de louer l’île à une tierce personne.

“Nous sommes confrontés à deux options : laisser le site tomber en ruines ou trouver des investisseurs qui seront prêts à le restaurer et à le rendre accessible aux visiteurs”, a-t-elle expliqué.

Mais Olivera Brajovic n’approuve pas complètement les plans de redéveloppement actuels, bien au contraire. Elle a confié :

“Construire un hôtel de luxe dédié au divertissement à cet endroit où tant de personnes ont péri et souffert est un exemple flagrant de manque de sérieux.”

Orascom Development, l’entreprise chargée de développer ce nouveau complexe touristique, a signé pour un bail de quarante-neuf années et investit plus de 14 millions d’euros dans les travaux et les installations.

Salt & Water, l’agence d’architecture et design qui a imaginé ce concept, a écrit sur son site que son but était de préserver “l’un des monuments les plus impressionnants du Monténégro” et ne peut s’empêcher de se vanter, au passage, de “l’ambiance festive” de son futur centre de villégiatures. Sur le site de l’île de Mamula, conçu tout spécialement à l’occasion de ce plan de redéveloppement, on peut trouver des représentations numériques d’une piscine entourée de palmiers, d’une piste de danse en plein air, d’un club de plage et d’un centre nautique, le tout en étant assailli par une musique électronique absolument agaçante.

Malgré ces plans extravagants et son côté VIP, les développeurs ont promis de préserver le caractère historique de l’île. “Nous allons créer un musée avec le meilleur restaurant et le meilleur hôtel de la Méditerranée”, a expliqué Samih Sawiris, le président d’Orascom Development. Parce qu’il n’existe rien de mieux que des plats aux prix exorbitants et de la nourriture gastronomique pour rendre hommage aux anciens prisonniers et aux victimes de la Seconde Guerre mondiale.

Mamula Island concentration camp to become a luxury resort
(© Mamulaisland.com)

L’investisseur et le gouvernement affirment que non seulement le projet d’Orascom stimulera l’économie locale et nationale, mais qu’en plus il respectera l’histoire de l’île et qu’une salle commémorative pour les victimes sera créée…même si rien de tel n’est indiqué dans la présentation officielle.

Beaucoup pensent que le développement du site devrait mettre en avant la commémoration et le souvenir et que le transformer en hôtel de luxe n’est pas la seule solution. Non, ce n’est clairement pas la bonne solution.

Mise à part cette considération morale, les opposants au projets estiment que la période de location est bien trop longue et le loyer annuel bien trop faible. En toute honnêteté, la forteresse est une très bonne affaire : le prix de location annuel pour un étalage de légumes sur un marché à Podgorica est deux fois plus élevé que le loyer annuel de l’île toute entière.

Les experts du patrimoine ont aussi exprimé leurs inquiétudes : selon les plans de développement présentés au public, des éléments architecturaux importants, qui ont une importance historique considérable (notamment des postes d’observation et des citernes) seront peut-être déplacés ou enlevés.

Ce projet n’est que la partie immergée de l’iceberg, car depuis quelques années, le Monténégro a tendance à donner la priorité aux investissements étrangers dans le tourisme haut de gamme au détriment de la conservation du patrimoine. En effet, depuis qu’il est devenu un État indépendant en 2006, son développement économique s’est principalement concentré sur le tourisme et, par conséquent, sur la construction d’énormes complexes. Le projet d’Orascom est déjà moins  aberrant qu’un plan présenté en 1990, qui prévoyait de construire un casino et un gratte-ciel à cet endroit.

Concentration camp on Mamula Island set to become a luxury resort
(© Wikimedia Commons)

L’ancien secrétaire général des Nations unies, Boutros Boutros-Ghali, a également exprimé son mécontentement. Dans une lettre envoyée au président du Parlement monténégrin, Ranko Krivokapic, Boutros Boutros-Ghali a écrit qu’il était “surprenant que la seule solution pour mettre en valeur une forteresse soit un simple accord économique”. La lettre a aussi été signée par Federico Mayor Zaragoza, l’ancien directeur général de l’Unesco, et d’autres éminentes figures internationales. En guise d’alternative, ils ont proposé d’accueillir au sein de cette forteresse des discussions importantes sur la paix et des réunions entre les dirigeants du monde entier.

Le plus inquiétant dans cette décision, c’est que non seulement elle blesse les familles qui ont perdu des proches au Campo Mamula, mais en plus, le gouvernement n’hésite pas à vendre des symboles de son histoire au plus offrant… Enfin, dans ce cas là, le plus offrant n’est pas si généreux.

Avec la gentrification, la rénovation de vieux bâtiments en hôtels tendance est devenue une mode. À Brooklyn, les entrepôts sont transformés en magasins pour hipsters et l’Ace Hotel de Portland avait jadis servi d’école. Mais transformer un camp de concentration en hôtel ? C’est une première et, on l’espère, une dernière. Cette décision nous rappelle trop bien que le capitalisme triomphe toujours sur l’éthique.

Traduit de l’anglais par Hélaine Lefrançois.