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Interview : à l’E3, le patron de Xbox France nous parle de l’avenir du jeu vidéo

Interview : à l’E3, le patron de Xbox France nous parle de l’avenir du jeu vidéo

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Par Arthur Cios

Publié le

Du cloud gaming à l'arrivée de Google dans le marché en passant par la nouvelle console.

Déjà à l’E3 2018, Microsoft avait tapé fort avec une conférence plus consistante que celles des autres. À coups de trailers à foison, frôlant l’overdose, la firme américaine avait fait mal – notamment en dévoilant les premières images de Cyberpunk 2077. Sachant que Sony répondait aux abonnés absents pour l’édition 2019, la voie était libre pour le constructeur concurrent. Et il en a profité.

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Bien que près de 60 jeux (!) aient été abordés sur la scène du Microsoft Theater à Los Angeles ce 9 juin, et que Keanu Reeves soit venu lors d’un passage plus que remarqué pour annoncer sa présence dans le prochain jeu de CD Projekt, l’accent a été mis sur l’avenir, et notamment sur les avancées technologiques.

D’abord avec les nouvelles formules du Game Pass (abonnement à la Netflix qui permet de jouer à des centaines de titres du catalogue Xbox), qui s’ouvre pour la première fois au PC, mais aussi avec le cloud gaming, qui permet de streamer ses jeux sur n’importe quel écran, ou encore la nouvelle console, pour l’instant prénommée Project Scarlett. Une 5e génération qui s’annonce particulièrement puissante.

On a eu l’occasion de discuter avec Hugues Ouvrard, le directeur de Xbox France, des points évoqués ci-dessus, de ce que ces derniers signifient de l’industrie du jeu vidéo, de l’avenir de celle-ci, mais aussi de Google ou encore de Keanu Reeves.

Konbini | Vous avez ouvert les festivités avec une conférence assez folle. L’année dernière, c’était déjà le cas, mais différemment…

Hugues Ouvrard | Elle était un peu différente, oui. L’année dernière, on avait présenté beaucoup de jeux, et puis on avait acquis sept studios. On était sur un contenu habituel de gaming. Mais le marché du jeu vidéo évolue, et ça ne suffit plus de juste présenter des jeux. Il faut aussi partager ta vision de l’évolution du secteur. Là, en l’occurrence, avec le cloud gaming et l’abonnement.

Cette année, on avait quatre grands thèmes : les jeux, l’abonnement, le cloud gaming et la console. Il y en a deux qui sont relativement habituels, mais on a alloué une grande partie à ces deux autres secteurs.

Mais le Game Pass est quelque chose dont vous parlez depuis plusieurs années déjà !

Certes, mais on a annoncé qu’il serait désormais aussi sur PC ainsi que la sortie de l’ultimate, qui rassemble tout, qu’on brade avec 100 jeux PC et 200 jeux consoles. C’est aujourd’hui la colonne vertébrale de notre offre.

Même si le Game Pass prend une place importante, il semble y avoir toujours un attachement des joueurs et des constructeurs pour le format physique. C’est votre cas ?

C’est une bonne question. Nous, ce qu’on veut, c’est laisser le choix aux gamers. Depuis qu’on a le Game Pass et qu’on met des jeux en Day One, on continue à avoir des versions physiques pour les collectionneurs, et pour ceux qui ont une connexion moins bonne. Il faut continuer à faire les deux.

D’ailleurs, il y a un lecteur de disque optique dans la nouvelle console Project Scarlett. On veut envoyer un signal très fort aux joueurs : oui, on pense que l’avenir, c’est l’abonnement, mais s’ils préfèrent une consommation plus traditionnelle, on sera avec eux là-dessus aussi.

C’est effectivement une des limites du cloud gaming : avec le réseau actuel, en France, mais pas que, ça semble compliqué…

J’ai utilisé un néologisme hier, qui illustre assez bien la situation : je pense que le cloud gaming, c’est l’avenir du futur. Ou le futur de l’avenir, je ne sais plus [rires]. Je pense qu’il va falloir plusieurs années pour que le cloud gaming prenne une place plus prépondérante sur le marché du jeu vidéo.

La meilleure expérience reste encore la console, pour des raisons d’infrastructures. Aujourd’hui, quels sont les pays qui ont la 5G ? La Corée du Sud, certaines régions des États-Unis, certains endroits en Nouvelle-Zélande. Et le cloud gaming dépend beaucoup de la 5G, voire de la 6G !

À ce sujet, comment voyez-vous l’arrivée de Google chez Microsoft ?

Eh bien, c’est toujours intéressant qu’il y ait un nouvel acteur dans le marché, surtout quand il est puissant. On l’a fait, nous, il y a 18 ans avec la première console et on a amené des choses : le mode multijoueur, la stabilité du live… Donc ils vont amener des choses, ils vont nous challenger.

Ils lancent du cloud gaming, on lance du cloud gaming – même si on a une approche un peu différente avec notre console streaming. Il y aura deux méthodes de streaming : soit tu as une console Xbox One et tu peux t’en servir comme serveur pour streamer ton contenu vers ton portable, ta tablette, ton PC, en mobilité — dans ton jardin, dans le bus (sous réserve que tu aies toujours une bonne connexion).

La deuxième possibilité, c’est que tu peux profiter de l’expérience Xbox sans console, avec des serveurs qui te délivrent directement ton contenu, avec notamment le Game Pass. C’est le même procédé que Stadia, si tu veux. C’est particulièrement intéressant parce qu’il y a 2 milliards de joueurs dans le monde, et 1,3 milliard qui n’ont pas de console ni de PC, uniquement un mobile.

Les serveurs qu’on a partout dans le monde sont une force pour permettre la mise en place de ce procédé. Pour réussir à l’avenir dans le jeu vidéo, il faut trois choses : maîtriser le cloud (la preuve, Sony va utiliser notre cloud pour ses jeux), le contenu (ça fait 30 ans qu’on fait des jeux, on a 18 studios, on vient d’annoncer 60 jeux), et la communauté. Ce qui est très important pour avoir un écosystème sain. Il n’y a rien de pire en tant que joueur que d’arriver et de devoir attendre 15 minutes pour jouer parce que personne ne se pointe…

Quoi qu’il en soit, l’arrivée de Google permet aussi que des médias plus généralistes en parlent, que des personnes pas spécialement touchées par cette industrie en entendent parler, et que ça puisse faire venir de nouveaux joueurs. Et ça, c’est toujours super !

Dans la présentation, vous parlez de 8K, de 120 FPS. Ce sont des technologies qu’on n’a pas encore, tout le monde n’est même pas encore équipé en 4K…

Tu pointes quelque chose d’intéressant. Quand on a lancé la Xbox One, il n’y avait pas d’écran 4K, donc la console ne pouvait pas le faire. Puis les téléviseurs 4K sont arrivés : on savait qu’on pouvait faire le One X en 4K, alors on l’a fait. Le progrès technologique va très vite, alors on anticipe le coup. On vise haut pour être sûr qu’elle vive longtemps. Qui peut le plus peut le moins.

J’ai une question un peu candide : à partir de quand les équipes d’ingénieurs ont commencé à plancher sur Project Scarlett ?

On a lancé la Xbox One en 2013 et, la même année, on bossait déjà sur la One X qui est sortie en 2017. Le temps de gestation d’une console est d’à peu près 4 ans. Donc là, je ne sais pas précisément, mais tu peux te faire une idée.

Ça prend autant de temps parce que c’est complexe de bosser à l’aveugle. Tu dois anticiper, au début de la conception de ta console, ce que permettront de faire les composants et les cartes graphiques dans 3/4 ans. C’est pour ça qu’on travaille étroitement avec AMD, pour pousser au maximum la machine. On se pose aussi la question du prix des composants, des possibilités de miniaturisation.

Je sais que sur la Xbox One X, qui est plus petite, on a un ingénieur qui a inventé un système de refroidissement qui permet d’avoir une console plus puissante dans une boîte plus petite. Sauf que c’est arrivé très tardivement dans le processus, donc tout peut changer jusqu’à la fin…

Autre gros point de la conférence : l’apparition de Keanu Reeves. Les acteurs dans le jeu vidéo, c’est quelque chose qu’on voit depuis plusieurs années déjà. Il semble que ce n’est plus les studios qui courent après eux, mais l’inverse. On tend vers quelque chose qui peut devenir une norme ? Qu’est-ce que ça dit de l’industrie ?

Bonne question. Je me souviens, au début des jeux vidéo, on faisait des jeux basés sur des films. Tu te souviens de l’histoire du jeu ET ? C’est le meilleur exemple. Les mecs d’Atari se sont dit : “On fait un jeu sur ce film, il a cartonné, on va tout péter.” Non seulement ça a ruiné la boîte, mais ça a failli faire couler toute l’industrie du jeu vidéo. Le jeu était tellement pourri qu’ils ont enterré le stock invendu.

On faisait des jeux basés sur des films et, progressivement, on a commencé à faire des films basés sur des jeux, à commencer par les Tomb Raider. Et les acteurs veulent participer à l’aventure. Pourquoi ? Le business du jeu vidéo est plus gros que celui du cinéma. Je pense aussi qu’on est face à une génération d’acteurs qui ont été des gamers et qui veulent tenter le truc ! J’imagine qu’ils veulent vivre des expériences narratives différentes.

Un Keanu Reeves, qui est quand même très marqué action punk avec Matrix et autres, apporte vraiment quelque chose à un jeu. Je me souviens de Command and Conquer, un des premiers jeux où on faisait de la motion capture pour avoir des persos animés. À l’époque, on prenait des inconnus, pas des acteurs. Ils ne jouaient pas très bien, mais on n’avait pas le choix car aucun acteur ne voulait faire ça.

J’ai une dernière question, qu’on évoque à chaque fois qu’on se rencontre : les manettes adaptatives pour les joueurs en situation de handicap sont sorties il y a plus de six mois. C’est quoi le premier bilan ? Quels sont les retours ?

C’est hyper positif ! Les gens se la sont appropriée. C’était exactement ce qu’on voulait, et les institutions aussi l’utilisent. Plusieurs hôpitaux notamment, mais aussi des associations, et même des écoles d’ingénieurs, qui utilisent cet outil pour sensibiliser les futurs développeurs en jeu vidéo à ces questions-là. Ça va au-delà de ce qu’on imaginait.

On a aussi plusieurs autres bonnes nouvelles : on n’a plus à importer les boutons depuis les États-Unis, donc c’est moins cher. On collabore désormais avec une entreprise qui les imprime en 3D, donc ça baisse les coûts encore une fois. On est contents et ce n’est que le début !