“Le cinéma doit aussi faire réfléchir” : on a refait le monde avec Vincent Rottiers 

“Le cinéma doit aussi faire réfléchir” : on a refait le monde avec Vincent Rottiers 

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( © Jordan Beline )

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Par Lucille Bion

Publié le

À l’occasion de la sortie de Toril, premier long métrage de Laurent Teyssier, on a rencontré l’insaisissable et révolté Vincent Rottiers.

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De nature assez discrète, Vincent Rottiers vient d’avoir 30 ans et est en train de devenir une valeur sûre du cinéma français. Nommé aux César cette année pour son rôle dans Dheepan, sa carrière a démarré en 2002 avec Les Diables de Christophe Ruggia, un réalisateur réputé pour être engagé.

Si Vincent Rottiers a passé la moitié de sa vie à faire du cinéma, il reste lui aussi une personnalité très engagée. À l’occasion de la sortie du film Toril, il a accepté une interview pour évoquer des sujets d’actualité brûlants, notamment ceux abordés par le film. On a parlé de politique, de drogue, des réfugiés, des attentats et de la société de consommation.

Konbini | Toril est un film qui défend les terres agricoles. Comment te positionnes-tu dans notre société de consommation ? 

Vincent Rottiers | J’essaye de consommer de bons produits, je me renseigne sur ce que je mange en regardant les étiquettes, j’évite le McDo, le Coca-Cola... Mais ce sont quand même des  “problèmes de riches” tout ça, parce que quand tu as faim tu ne perds pas ton temps avec ça.

Tu es sensible aux problèmes environnementaux ?

Même si je ne suis pas écolo, il y a des choses qui m’agacent. Jeter son mégot n’importe où, par exemple. Je ne comprends pas que les adultes salissent des plages ou des paysages magnifiques. C’est L’Hiver Dernier (2011) de John Shank qui a éveillé cette conscience en moi.

J’y jouais déjà un fils de fermier. Quand tu te retrouves au milieu de la nature, tu te dis que c’est quand même ça, l’essentiel. J’ai appris pendant le tournage de Toril que tous les sept ans on a l’équivalent d’un département qui disparaît de la carte. Nous on est là, dans la ville, à se demander ce qu’on fait entassés les uns sur les autres… J’ai remarqué que les gens ont de plus en plus envie de partir et de s’occuper de leur terrain.

Toril parle aussi de drogues. Que penses-tu de la légalisation actuelle ?

Je suis pour. Aux États-Unis, il y avait une loi qui permettait de faire pousser du chanvre chez soi, dans son jardin. Et puis ça a été interdit. C’est sûrement encore une question de monopole. Le chanvre peut être utilisé pour d’autres raisons que la défonce. Au lieu de faire son business dans les halls d’immeubles, on pourrait se rendre dans des coffee shop et ça créerait de l’emploi. Légaliser, ça pourrait clairement développer une autre économie : il y a du bien là-dedans.

Pour revenir à ton actu ciné, tu joues dans Nocturama, actuellement en salles. Quelle est ton point de vue sur la jeunesse ?

 Je suis avec les jeunes, bien sûr. Mais j’ai du mal quand je vois des voitures ou des crèches brûler. Je comprends leur colère mais il faut mieux s’organiser et viser plus haut : pas les écoles, ni la voiture du voisin.

Dans Nocturama, le sujet a très bien été traité. C’est l’histoire de jeunes en colère, mais ils sont dépassés par leur volonté de changer les choses. C’est complexe, même moi franchement je me sens dépassé. Mais il y a quelque chose qui me dépasse encore plus : je ne comprends pas que les jeunes passent leur temps devant Secret Story plutôt que devant des docus ou des émissions intelligentes comme Notre pain quotidien, La Guerre des graines ou Nestlé, le business de l’eau. On est un peu trop lobotomisés.

L’année dernière, tu as joué dans Dheepan, qui traite notamment des thématiques du mal logement et de la misère sociale… C’est un sujet toujours d’actualité !

Oui, ce qu’il se passe avec les réfugiés, en ce moment, ce n’est pas normal. Quand je passe devant le canal ou que je traîne sous le métro aérien je me dis qu’ils sont sûrement mieux ici que dans un pays où il y a des bombes mais est-ce que c’est normal que la France les accueille comme ça ? On parle des réfugiés comme s’ils étaient des monstres mais Victor Hugo, [lors de son exil sous le Second Empire, ndlr], c’était aussi un réfugié ! Et on en parle dans la littérature française. Plus sérieusement, quand tu vois tous ces bureaux et ces locaux vides à Paris, je me demande comment c’est possible. On les met dans des tentes, on les prive de chiottes : ils doivent se démerder ! Je ne sais pas ce que fais le gouvernement.

Tu trouves que le gouvernement ne se penche pas sérieusement sur le problème ?

Je suis déçu que les politiques ne s’en préoccupent pas davantage, oui. Heureusement qu’il existe des assos et des personnes engagées. Mais c’est le gouvernement qui devrait prendre ça en charge. Ça fait 16 ans que je vis à Stalingrad [une station de métro dans le Nord-Est de Paris]. Je vois donc la situation évoluer. Ebay s’est installé puis le Centquatre a ouvert. C’est presque comme si on avait déplacé les Champs-Elysées : c’est devenu bobo. Donc c’est vrai que c’est bizarre de voir tous ces petits cafés sympas sur la place de la Rotonde et juste à côté de tous les réfugiés. J’ose même plus y aller parce que ça me dérange de boire un truc devant eux, de leur donner envie.

Est-ce pour cela que tu as signé l’appel des 800 de la “jungle” de Calais ?

Oui, j’ai aussi signé une pétition pour des Roumains qui ont été évacués d’un squat à Montreuil. Même si une signature ne fait pas changer le monde, ça fait parler du sujet.

Comment as-tu pris connaissance de cette pétition ?

C’est Christophe Ruggia qui m’a informé. C’est le premier réalisateur avec lequel j’ai tourné (Les Diables, 2002).

Il est très engagé et pas seul heureusement : il y a des assos comme France terre d’asile, Secours Populaire ou Un cœur pour la Syrie, et d’autres artistes. La comédienne Donia Eden, par exemple, qui a créé le Récho : elle a fait du crowdfunding pour mettre un food-truck à disposition des réfugiés.

Tu as aussi joué dans La Marche, qui raconte l’histoire d’une grande marche antiraciste en 1983. Tu te sens légitime pour combattre toutes les formes d’injustice sociale à travers tes rôles ?

Sur le tournage il y avait des marcheurs qui nous ont raconté leur histoire. Leurs témoignages, en plus de nous avoir touchés, nous ont nourris. Donc une fois qu’on a conscience de tous ces problèmes, si on peut faire quelque chose pour aider, on est là. Mais encore une fois, on fait avec ce qu’on peut.

C’est important pour toi d’utiliser ton métier d’acteur pour t’engager et montrer les sujets qui te touchent ?  

 Je trouve que ce n’est pas aux acteurs de faire ça : ce n’est pas notre rôle. Mais si je peux dire un petit mot, pour éveiller certaines consciences, je le ferai. Mais on est acteurs, on est là pour faire des films, pas de la politique. On doit être discrets pour ne pas avoir de problèmes. Regarde Leonardo DiCaprio, qui essaye de sauver la planète : il se retrouve bizarrement empêtré dans un scandale financier. Est-ce que c’est vrai ? On verra. Mais ça illustre bien ce que je t’explique : on te remet à ta place. Après, je suis content qu’il existe des films comme Demain de Mélanie Laurent [et Cyril Dion].

Comment est-ce que tu choisis tes films alors ?

Je choisis d’abord mes films pour le scénario. Ensuite je rencontre le réalisateur. Il faut que je sente que c’est une belle personne parce qu’après, quand tu es sur un tournage, tu as rarement ton mot à dire. On nous met souvent en garde quand on s’oriente vers des sujets aussi engagés. Il y a des termes spécifiques à utiliser, on n’est jamais totalement libres de faire ce que l’on veut parce qu’on est là pour incarner des personnages, pas pour faire passer nos idées. 

Parlons politique maintenant : comment t’as vécu l’année qui vient de se passer ?

Un peu comme tous les Français j’imagine. J’ai jamais voté de ma vie. Je voterais blanc mais comme ce n’est pas comptabilisé, je n’y vais pas. En plus, pour moi, le président est une marionnette : c’est de la rigolade la politique. Entre ceux qui démissionnent pour être plus crédibles et les autres qui viennent à l’Assemblée pour se tourner les pouces… Je me demande ce qu’ils font de leurs journées. Par contre, François Hollande sort du lot. Tout le monde l’a pris pour le “Flanby” mais il fait les choses simplement. Je préfère un mec comme ça à la tête du pays, avec un cœur.

Comment pressens-tu les prochaines élections ?

J’espère que ça ne va pas trop être la cata ! Quand j’en parle autour de moi, les gens qui ne sont pas partisans du Front national ont quand même envie de voter pour Marine Le Pen pour que les choses changent.

Du coup, tu vas aller voter ?

Même si j’ai une grande méfiance envers la politique, oui. J’ai l’impression qu’ils ont tous un double discours. J’espère que François Hollande va se représenter : il est là, il est présent, il est proche du peuple. Les médias en font des tonnes et le ridiculisent, c’est dommage.

Qu’est-ce que représente la France pour toi maintenant ?

Je suis pour le fait qu’il y ait des cultures différentes, que chacun aille où il veut : la Terre n’appartient à personne. Depuis les attentats, il y a trop d’oppression et de fantasmes. C’est normal qu’il y ait des contrôles aux frontières mais pour moi, le monde entier est un pays. Qui a le pouvoir de décider qui rentre et qui ne rentre pas ? On est inconsciemment beaucoup moins libres qu’avant. Il y a des caméras partout, on est toujours surveillés, avec les réseaux sociaux notamment. J’exagère, mais avec l’état d’urgence c’est à peine si on te demande de rentrer chez toi à 22 heures. Plus sérieusement, prenons l’exemple de Nuit Debout : d’où on interdit de pouvoir s’installer où on veut ? Pourquoi faut-il demander la permission de manifester ?

Nicolas Sarkozy a affirmé que Nuit Debout était un “mouvement de pagaille”. T’as pensé quoi de ces manifestations ?

Je ne te cache pas que je ne suis pas un partisan de Sarko, mais il faut reconnaître que c’est un peu parti dans tous les sens. Mais c’est une bonne chose, au fond. Le peuple se réveille mais on est loin de Mai 68.

Si tu avais le pouvoir de changer quelque chose dans le monde, que ferais-tu ?

Je donnerais de l’eau potable à tout le monde ! Il y a des initiatives qui me plaisent beaucoup. Par exemple, on vient d’inventer des pailles qui filtrent l’eau usée. Maintenant, tu vas pouvoir être n’importe où et boire de l’eau potable, c’est hyper positif ! Il y a aussi un architecte italien, Arturo Vittori, qui a inventé une tour en bambou pour collecter l’humidité et redistribuer l’eau aux paysans. Même dans les villes, tu peux innover. Moi j’ai fabriqué mes bières locales cette année, et c’était super bon !

Qu’est ce qui te met en colère dans notre société ?

 Il y a tellement de choses : les réfugiés, les frontières… Le fait que tout le monde soit de mèche, que certains créent la maladie, pour que d’autres la soignent.

Qu’est-ce qu’on fait de ce monde ? Est-ce qu’on est vraiment obligés de se taper tous les uns sur les autres ? Il faudrait enlever les armes et arrêter de faire de la religion un business. Il faut que les gens se posent des questions et reviennent à l’essentiel. On est tous des êtres humains. La politesse se perd. Dire merci quand on traverse, c’est pas compliqué. On dirait que tout le monde se déteste : il y a trop de tensions.

Est-ce qu’il y a des gens qui t’inspirent ?

Gandhi. Mais je suis aussi très admiratif de Nelson Mandela, Coluche et Balavoine. Même Leonardo DiCaprio.

 Tu viens d’avoir 30 ans, tu as presque passé la moitié de ta vie à faire du cinéma. Tu prévois de passer derrière la caméra ?

Depuis mon premier film j’y pense. Et je ferai forcément un film engagé. C’est un projet. Le cinéma pour moi c’est divertissant, mais ça doit aussi faire réfléchir.