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Six artistes des Trans Musicales de Rennes à la loupe de leur programmateur

Six artistes des Trans Musicales de Rennes à la loupe de leur programmateur

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Par Théo Chapuis

Publié le

Jean-Louis Brossard : du funk de Daptone à la furie des Stooges

Cheveux en bataille, sourire facile et t-shirt Daptone Records, Jean-Louis Brossard arriverait presque à faire oublier qu’il est celui qui, depuis près de quatre décennies désormais, choisit les musiciens qui fouleront les planches des Trans Musicales. Une sacrée responsabilité, que le festival a acquise au fil des ans, preuve que ce sacré défricheur de talents a souvent tapé juste.
Pourquoi ? Peut-être parce que même si les Trans’ souffrent un peu de leur image de festival de musiques de marge, l’amour pour le son pur reste avant tout le principal. Quoi de plus normal pour un type qui décrit Fun House des Stooges comme son album préféré ?
C’est dans l’ambiance feutrée d’un pub proche des Grands Boulevards à Paris où il a ses habitudes que ce véritable puit de culture musicale nous accueille. Dans la jungle de la découverte musicale, Jean-Louis Brossard chausse son stetson d’Indiana Jones et nous guide à travers l’inconnu.

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Raury, le coup de cœur

“Raury, j’ai tout adoré tout de suite”, coupe-t-il à l’instant où on lui soumet le blase du rappeur. Puis il ne s’est plus vraiment arrêté :

Tu vois le clip [ci-dessous, ndlr], bah j’ai tout aimé : l’esthétique, sa voix, son chapeau est vachement joli, sa veste aussi (d’ailleurs, j’aimerais bien acheter la même ! enfin pas exactement la même…), et puis je trouve que la chanson est un tube en puissance, quoi. Je pense que c’est le tube de cette année. Je me suis dit : lui je le veux.

Pas besoin d’en faire des litres : Jean-Louis Brossard adore Raury. Le programmateur n’hésite d’ailleurs pas à parler “d’avenir de la musique” lorsqu’il s’agit d’évoquer le gamin de Stone Mountain, petite banlieue sur la côte est d’Atlanta dont est également issu l’autrement plus illustre Childish Gambino. Il poursuit :

D’une certaine façon, c’est un fonctionnement que j’applique à toute la programmation. Je ne fonctionne que par coup de cœur. Et Raury est indéniablement l’un de mes coups de cœur.

Le set de Raury se goûtera jeudi 4 décembre à 00h05 au Parc Expo, Hall 8

Forever Pavot, réminiscences psyché

Groupe (un peu) pop (mais surtout) psyché de l’écurie Born Bad, Forever Pavot fait partie des quelques Français à venir croiser le fer sur les plateaux des Trans Musicales. Pour Jean-Louis Brossard, “ils incarnent un peu cette génération qui re-découvre la songwriting à la Syd Barrett, mais aussi le Floyd, Quicksilver Messenger Service…”Le psyché, les jams enfumés, la musique dite “prog”… tout ça n’est pas tout jeune. Pense-t-il, comme certains, que s’opère un revival psyché ? Non, pas vraiment :

Avec Internet tout le monde peut revenir se plonger dans ces artistes, dans ces styles musicaux… Mais il y’en a toujours eu ! J’ai par exemple programmé deux fois un petit groupe du genre aux Trans’, Lady Jane – eux ils sont de Rennes. C’est juste qu’à un moment ça intéressait moins les gens d’écouter ce son-là…

Bonne nouvelle pour Emile Sornin et sa bande : Jean-Louis les a découverts en live : Ca fait partie de ces deux ou trois groupes que j’ai repérés à Rock en Seine, avec Jeanne Added – programmée cette année aussi. Après ça s’est fait naturellement, c’est un groupe que m’avait soufflé JB, le boss du label Born Bad.” Bonne pioche.
La pop psyché de Forever Pavot bouclera la soirée du mercredi 5 décembre, à l’Ubu, à 00h25.

Awesome Tapes From Africa, ultime digger

Puisqu’Awesome Tapes From Africa n’est pas un musicien comme les autres, une petite présentation s’impose. De son vrai nom Brian Shimkovitz, cet ethnomusicologue s’est fait une spécialité de dénicher des enregistrements, très souvent sous forme de cassettes audio, de musiciens d’Afrique de l’Ouest inconnus chez nous. Grâce à ce digger qui a vraiment pris l’expression au pied de la lettre, ces enregistrements reprennent vie lors de ses DJ sets.
D’un digger à l’autre, lorsqu’on aborde le sujet Shimkovitz avec Jean-Louis Brossard, il y a du respect dans le ton du programmateur :

C’est un mec qui joue sur des cassettes – ce qui a fini de m’intriguer – et puis c’est un archiviste qui rend à la musique africaine sa diversité. C’est lui qui ferme le festival à partir de 5h15 le dimanche. Je trouve que c’est un joli clin d’œil par rapport à l’an dernier où Acid Arab avait joué en dernier. Ça indique une sorte de continuité, ça marque l’ouverture du festival et en même temps, ça signale le changement.

Les couche-tard se régaleront du set bigarré d’Awesome Tapes From Africa au Parc Expo Hall 8 dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7, à partir de 5h15.

Shamir, prodige dancefloor

Une tout autre pépite, ce Shamir. Originaire de Northtown, un bled tout proche de Las Vegas, le jeune chanteur de 19 ans n’a encore sorti qu’un premier maxi house cet été du nom de sa ville natale, mais a déjà marqué des points chez nous (son portrait est à lire ici). Jean-Louis Brossard ne nous le cache pas : c’est un coup de cœur, qu’il rapproche à celui qu’il a eu pour Raury :

Je l’ai découvert par son label Godmode et j’ai tout de suite accroché à son esthétique. Ce que je trouve fort avec Shamir, et qu’on retrouve chez Raury, c’est sa capacité à parler à un très large public sans être mainstream. C’est le futur de la musique pour moi ces deux jeunes.

Le programmateur n’hésite pas à comparer les deux jeunes pousses au l’un des plus grands :

Ils poussent tous deux le métissage assez loin, avec ce groove que le premier mêle de musique électronique, le second de rock et de hip hop. Et puis quand tu y penses Shamir pioche aussi dans plusieurs registres : il chante, il parle… J’aime aussi beaucoup ses arrangements. C’est vraiment la voix de Shamir qui m’a scotché. Cette voix si aigüe, qui me rappelle vraiment le Michael Jackson des débuts.

Shamir ne sera pas tout seul aux Trans’ : “on a décidé de programmer toute une soirée autour de son label. On a invité 7 groupes, et ils ne sont que neufs en tout. Ce qui est génial avec Godmode, c’est qu’ils jouent tous entre eux, qu’ils participent tous aux projets des autres.”
Pour le découvrir lui et ses label mates, il faudra se rendre devant la scène de l’Ubu pour France Enter Godsmode, dimanche 7 décembre. Horaire secret pour le moment…

Vaudou Game, voodoo funk

Vient le tour de Vaudou Game, groupe de funk aux rythmes imparables. Si ses musiciens sont Français, son charismatique leader Peter Solo, bête de scène en puissance, est Togolais. “Il fait une musique funk, vraiment puissante, avec des influences plus locales”. On effleure le terme “afrobeat”, devenu presque un fourre-tout comme l’était autrefois le mot “world music”, mais Jean-Louis le rejette :

Non non, c’est pas de l’afrobeat, c’est de la funk africaine, y’a pas de highlife [genre musical africain à la base de l’afrobeat, ndlr] là-dedans ! C’est surtout très inspiré de la musique de James Brown.

C’est ça. Aller et retour, de l’Afrique de l’ouest aux Etats-Unis, pour retourner au Togo. Et Jean-Louis de rappeler que le Godfather of Soul, qui était aussi un peu le papa de la funk, est une grande source d’inspiration pour des musiciens ghanéens et nigérians du cultissime Fela Anikulapo Kuti au voodoo funk de Peter Solo et de son Jeu Vaudou.
Rendez-vous samedi 6 décembre à 23h15, au Parc Expo, Hall 8, pour vous laisser pénétrer par la transe provoquée par la funk de Vaudou Game.

Jambinai, rock coréen post-traditionnel

Quittons le Togo pour des terres encore plus exotiques : la Corée du Sud. Là-bas, Jambinai déploie de longues structures élastiques, où se nichent tant sonorités d’instruments traditionnels que pulsations rock. Jean-Louis Brossard ajoute que le groupe, formé par une poignée d’étudiants coréens, ne limite pas son spectre sonore à un “se mélange aussi avec des éléments électroniques : ça parlera carrément aux amateurs de post rock, Jambinai sonne parfois à la Tortoise ou Godspeed You ! Black Emperor”.

Au début, je les avais placés dans le début de la compilation découverte des Trans, puis finalement je les ai plutôt mis à la fin, par crainte que ça ne dissuade les auditeurs d’écouter plus loin la compil.


Entretien réalisé par Tomas Statius et Theo Chapuis