Au tournoi Epsilan de Counter Strike, les filles ne sont pas toujours les bienvenues

Au tournoi Epsilan de Counter Strike, les filles ne sont pas toujours les bienvenues

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Par Coline Vazquez

Publié le

Le week-end du 4 mars avait lieu la 14e édition du tournoi Epsilan à l’espace Mont d’Or près de Lyon. 300 joueurs réunis en 48 équipes s’affrontaient sur le jeu vidéo Counter Strike. Parmi eux peu de filles, victimes d’un sexisme persistant. 

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L’amphithéâtre de l’espace Mont d’or près de Lyon est plongé dans une obscurité étouffante. Les trois cent ordinateurs contribuent à la chaleur pesante malgré la pluie qui se déchaîne à l’extérieur. Les joueurs, qui ne répondent plus qu’à leur pseudo, finissent consciencieusement d’installer leurs souris, tours et claviers lumineux.

Depuis quelques minutes, une course effrénée s’est orchestrée entre les membres du staff qui tentent de venir à bout des quelques problèmes techniques, alors qu’il y a déjà plus d’une heure de retard sur le début de la compétition.

Certains gamers testent leurs réflexes sur des jeux d’échauffement. Nerveusement, ils tirent avec leurs souris en guise de gâchette sur les ennemis qui s’affichent à l’écran.

Tous réunis pour la 14e édition du tournoi Epsilan, organisé par l’association du même nom, samedi 4 et dimanche 5 mars, les 48 équipes vont s’affronter sur le mythique jeu de guerre “Counter Strike : Global Offensive”. Créé il y a plus de 20 ans, il plonge les joueurs dans la peau de terroristes devant poser une bombe puis dans celle d’antiterroristes chargés de déjouer les plans des premiers. Un jeu au visuel peu réaliste et peu graphique mais dont l’intérêt consiste surtout à tuer l’ennemi.

Ce qui frappe au premier regard, désormais habitué à l’obscurité ambiante, c’est la faible présence féminine. Pourtant on peut apercevoir devant les écrans 24 pouces qui peuplent la salle, quelques représentantes du genre. S’il n’y a aucune équipe exclusivement féminine, certaines mixtes, comptent jusqu’à trois filles.

Du côté des joueurs, leur présence ne fait pas l’unanimité. “C’est un jeu de mec”, affirment certains. “Les filles préfèrent jouer à des jeux comme les Sims”, plaisante l’un deux expliquant avec un ton magistral que “Counter-Strike” est un jeu de combat et que ces dernières, réfléchissant plus, ne peuvent y trouver leur compte. Pourtant, il ne s’agit pas seulement de tirer mais bien d’élaborer des stratégies pour prendre l’adversaire au dépourvu. À en croire le syllogisme bancal de ce joueur, les gameuses devraient donc être avantagées. “C’est parce qu’on réfléchit trop, on veut trop bien faire pour être au même niveau que les garçons”, expliquent Shiwle et Emyyy (pseudos), deux joueuses de la team “Marie-Thérèse et les cocottes compagnie”.

Malgré leur passion pour ce jeu qu’elles pratiquent depuis qu’elles sont “en âge d’utiliser un ordinateur”, elles regrettent le sexisme qui émerge souvent des commentaires. “Counter Strike” se joue la plupart du temps en réseau et les joueurs peuvent communiquer entre eux. “Dès que les mecs se rendent comptent qu’on est une fille, on a le droit à des réflexions comme ‘retourne à la cuisine'”, dénoncent-elles. Elles ont beau ne pas y prêter attention, les remarques ont de quoi agacer. Lassées, les joueuses se résignent : “on sait qu’on joue moins bien. Ça fait tellement longtemps qu’on essaye de se battre pour être au même niveau…”, soupire Shiwle.

“Le jeu, c’est le reflet de la réalité”

C’est la deuxième année que Louise Marty participe à l’organisation du tournoi et cette amatrice de jeux vidéo qui customise aussi “des sous-vêtements girly” se réjouit d’avance de la prochaine édition.

Pour cette joueuse assidue, les réflexions sexistes sont monnaie courante. “Les geeks vont t’attaquer sur ce qu’ils peuvent”, explique-t-elle, “mais mieux vaut en rire”.

“C’est vrai qu’il y a moins de filles sur des jeux comme Counter Strike, parce que c’est plus violent et l’ambiance est plus dure. Les filles prennent plus les remarques au sérieux que les garçons.”

Selon elle, ces “vannes” font partie du “folklore” du jeu.

“Je pense que le monde du jeu vidéo n’est pas plus sexiste que le reste de la société. On est tellement confrontées à ça qu’on préfère en rire”, conclue-t-elle, le sourire scotché aux lèvres. Ce qui l’énerve, ce sont les clichés du genre “les filles qui jouent aux jeux vidéo, ça n’existe pas ou alors elles sont moches”. Thomas Vellard, photographe de l’événement abonde dans son sens, un sourire au coin des lèvres : “c’est même plutôt l’inverse !”

Mais la jeune brune de 25 ans ne reste pas en colère bien longtemps, préférant insister sur l’aspect convivial : “Grâce à ces jeux qui se jouent en ligne, tu peux t’ouvrir à des gens à qui tu n’aurais jamais parlé. Ça crée du lien.” C’est le cas par exemple de l’équipe Burning Heads, croisée au détour d’une allée. Ces cinq joueurs qui ne s’étaient jamais rencontrés avant le tournoi filent, depuis vendredi, la parfaite entente.

Pour Victoire, Jade et Géraldine, alias, Bronson, KiaRa et Killeuzeunderscoreskirel de la team DizLown, le jeu est également un moyen de se retrouver. Si elles participent au tournoi Epsilan avec une équipe mixte, elles se préparent de manière intensive, à raison de trente-cinq heures par semaine, pour une compétition uniquement féminine qui aura lieu au Danemark mi-avril.

Participer à une compétition féminine, c’est peut-être la solution pour ces filles lassées d’un e-sport qui peine à leur donner une légitimité. “Les équipes féminines ont plus de communication autour d’elles et plus de sponsors que celles masculines”, explique Victoire. Elles font l’objet d’un intérêt tout particulier des marques qui sponsorisent ces e-joueuses et qui espèrent remporter gros en misant sur leur image. En contrepartie, elles doivent faire attention à leur apparence physique et souvent entretenir le mythe de la joueuse sexy telle une Lara Croft indémodable, “ce qu’on ne demanderait pas à une équipe masculine”, conclue la joueuse de 29 ans dont le sweat rose tranche avec la noirceur qui règne dans l’amphithéâtre.

“C’est une question de génération” 

À mesure que les heures passent, la tension monte. Le premier jour du tournoi a pour but de scinder les participants en deux. Les moins bons participeront le lendemain au tournoi amateur tandis que les meilleurs s’affronteront dans un tournoi dit “élite”. Même si le nombre de filles s’est encore réduit, certaines semi-professionnelles se maintiennent dans la compétition. Un joueur dont l’équipe a été reléguée au rang “amateur” confie sa douleur après avoir serré la main d’une gameuse qui venait de le battre.

Pour la joueuse professionnelle Deborah Teissonnière, alias Torka, c’est dû à l’âge des participants à ce genre de tournoi. “Quand on pratique la compétition à un haut niveau, les joueurs sont plus vieux et on est moins confrontées à ce genre de réflexions.” 

Elle aussi a déjà entendu la fameuse sentence : “Retourne à la cuisine” mais avec l’âge, les réflexions se sont atténuées. Aujourd’hui, à 27 ans, bien qu’elle ait arrêté la compétition depuis 3 mois, elle fait figure de modèle dans le milieu de l’e-sport féminin. Avec son équipe, elles se sont classées dans le top 3 européen de CS : GO et sont arrivées vice-championnes du monde en 2011. Selon elle, ce qui diffère “c’est le nombre d’heures passées à s’entraîner. Les garçons peuvent passer huit heures d’affilée à enchaîner les parties contrairement aux filles. D’autant que les joueurs sont plus nombreux à faire de la compétition leur activité principale, tandis que les filles garderont un travail à côté. Ça crée une vraie différence de niveau”. C’est principalement cette raison qui l’a poussée à jouer uniquement dans des compétitions féminines. “Et le cash prize y est plus accessible.” Les prix accordés aux vainqueurs sont plus accessibles que dans une compétition mixte où les joueuses savent dès le début qu’elles n’iront pas aussi loin que leurs adversaires masculins.

Si Torka reconnaît que le nombre de joueuses baisse, elle tente de rester optimiste. Selon elle, les compétitions féminines sont une réelle porte d’entrée pour qu’elles puissent s’imposer dans le milieu. Un choix compréhensible mais qui ne participe pas à ouvrir les mentalités de ce sport.

Droits images : Coline Vazquez