Test : Cuphead est aussi beau que redoutable

Test : Cuphead est aussi beau que redoutable

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Par Benjamin Benoit

Publié le

Un jeu très beau et très dur… mais d’une difficulté satisfaisante à surmonter.

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En matière de jeux vidéo, ces douze derniers mois ont définitivement été placés sous le signe des titres attendus de longue date (dans certains cas, on pourrait presque parler de serpent de mer). Persona 5 est enfin sorti, Final Fantasy XV a pointé le bout de son nez (tout cassé, au demeurant), et The Last Guardian s’est arraché du “development hell”– sans oublier les inquiétantes premières nouvelles de Shenmue III

Dans la même catégorie, Cuphead est enfin là. Annoncé à l’Electronic Entertainment Expo 2013 pour 2014, on l’a aperçu dans les quatre éditions suivantes. Depuis le 29 septembre, le jeu est disponible sur Xbox One et PC. Cependant, comme c’est une licence Microsoft, ne vous attendez pas à voir le jeu sur Switch.

Pour être autant attendu, il est clair que Cuphead a généré une grande ferveur populaire. Le secret de cette sorte de succès anticipé réside dans sa direction artistique, qui avait frappé le public dès 2013 : son esthétique reprend celle des dessins animés des années 1930, à la Steamboat Willie ou n’importe quel autre cartoon à l’ancienne. Le personnage éponyme de Cuphead – avec son corps noir, son pantalon rouge et ses gants blancs – est un Mickey Mouse qui ne dit son nom qui évolue dans un univers aussi impitoyable et faussement enfantin que les premiers grands chefs-d’œuvre de l’animation.

♫ Don’t deal with the Devil ♫

Le scénario tourne autour d’un pacte faustien : Cuphead et son pote Mugman sont atteints du démon du jeu, ce qui les pousse à se rendre dans un casino tenu par le Diable en personne. Après un jet de dés en trop (vraiment, que pouvait-il mal se passer ?), leurs deux âmes sont vendues au Malin qui, pour leur éviter provisoirement le pire, les force à jouer aux huissiers des Enfers, et donc à collecter les âmes de ceux qui lui doivent de la thune. Tous ces personnages sont d’improbables (mais sublimes) archétypes de toons qu’on ne listera pas, tant le plaisir de la découverte est grand. Il s’agit d’un excellent prétexte pour lancer ce jeu dont l’ADN de base était celui d’un boss rush : une succession de combats épiques sans réelle transition. Au fil des ans, le jeu s’est progressivement transformé, pour garder cette idée de base et ajouter quelques situations supplémentaires et niveaux de plateforme dans le lot. Le tout donne trois mondes, une vingtaine de niveaux et une petite quinzaine d’heures de jeu. Ce titre rigoureux demande de tout boucler en difficulté normale pour en voir le bout.

Mais en quoi consiste l’un de ces combats de boss ? Tout simplement à faire survivre votre personnage (qui envoie des projectiles avec le doigt) face à un ennemi qui occupe un tiers de l’écran, dans une séquence qui avoisine les deux minutes. Pour y parvenir, il vous faut tirer sans relâche, tout en apprenant les séquences qu’on vous impose – les “patterns” hérités de jeux de tirs bullet hell, où il faut éviter tout ce qui bouge. En tout et pour tout, vous n’avez que trois points de vie par niveau. En perdre un, c’est déjà une catastrophe. Ces combats sont séquencés et sans checkpoints : il faut donc mourir, re-mourir et bien comprendre ce qu’on vous demande de faire. Le reste n’est qu’un intense travail d’exécution et de concentration. On recommandera donc d’éviter les longues sessions, qui finiront pas provoquer asthme et ulcères… mais finir un combat et entendre le “Knockout !” du commentateur provoque une satisfaction à la hauteur de la peine éprouvée. Jusqu’au combat contre le Diable himself, la route sera longue et la pente sera forte.

Avant d’énumérer les bons côtés, commençons par les mauvais. Entendons-nous : Cuphead est difficile et impose un sacré défi au joueur. Cette difficulté est maîtrisée, dans le sens où le jeu est transparent dans sa démarche. La question n’est pas comment survivre, mais comment s’y tenir. Cependant, quelques défauts viennent miner une expérience intense : le choix de base des boutons n’est franchement pas top – il faut fréquemment en maintenir plusieurs à la fois et on a vite fait de se tromper… et de se précipiter sur l’ennemi, de mourir et de vouloir tout plaquer pour quelque chose de moins intense. En outre, le jeu peut être injuste : on peut prendre un coup inutilement après l’utilisation d’un superpouvoir, et les niveaux à défilement automatique générés aléatoirement (dont celui dans les nuages) peuvent vous piéger sans qu’on puisse y trouver à redire. Ce n’est pas glop, dans un contexte où trois erreurs seulement sont permises – en faire une n’a jamais été aussi stressant que depuis le chef-d’œuvre Papers, Please.

Ensuite, les niveaux de plateforme classiques sont frustrants. Quand les combats de boss font preuve d’une difficulté calibrée, où seule l’attention est mise à l’épreuve, ces passages plus traditionnels peuvent énerver, tant ils vous bombardent d’ennemis sans vergogne et créent un sentiment de vigilance constante désagréable. Ils incorporent aussi des mini combats de boss régis par la même logique que les principaux – sauf que le sentiment de répétition sera plus pénible. Cependant, les “sanctuaires” vous apprendront à faire des parades – cruciales pour avoir de bonnes notes en fin de niveau et parfois obligatoires pour progresser – et une boutique vous permet d’acheter des améliorations qui modifieront votre manière de jouer. Plusieurs questions se posent alors. Faut-il sacrifier de la puissance pour avoir un point de vie en plus ? Sacrifier votre portée au profit de la cadence ? Il serait très sage d’explorer toutes les possibilités, d’autant que certaines sont bien plus préférables dans certains combats.

La meilleure direction artistique de l’année

La bonne nouvelle, c’est que l’enrobage du jeu est sublime. On n’a pas peur d’exagérer en prêtant à Cuphead la plus belle direction artistique de l’année, à égalité avec le flamboyant Persona 5 et ses menus fous. Le décor (dessiné à la main) aux couleurs pastel, les personnages aux membres bringuebalants, l’effet “pellicule” qui apparaît à l’écran, l’animation et le moindre élément de décor ou de chara-design respirent l’hommage sincère aux cartoons d’antan. Même si on s’y habitue vite, le jeu se tient à cette esthétique tout du long, tout en offrant une grande palette de personnages à vaincre, variés et amusants à souhait. Si on devait ne citer qu’un dernier détail de cette direction artistique aux petits oignons, ce serait la délicieuse voix du commentateur –comme tout le reste du jeu, celle-ci n’existe qu’en anglais, mais ce ne sera pas vraiment un problème ici.

La bande-son du jeu est savoureuse en diable. En faisant appel à une multitude de genres, ses morceaux instrumentaux retranscrivent à la perfection l’ambiance des cartoons (la seule partie chantée, fort relaxante, se trouve dans l’introduction). Jazz, bossa-nova, ou accompagnement musical à l’ancienne avec claquettes, guimbardes et piano de saloon : c’est un délice de bout en bout, malgré les très nombreuses répétitions que les morts en boucle finissent par créer. Elle est disponible à l’écoute et à l’achat sur Bandcamp.

Enfin, parlons de l’expérience à deux, qui propose à une seconde personne d’incarner le personnage de Mugman. La principale conséquence sera d’avoir des ennemis plus coriaces. En outre, l’arrivée d’un second personnage peut rendre l’action encore plus confuse et surcharger l’écran d’éléments – déjà fort nombreux et pas toujours lisibles en solo. Les deux joueurs ont donc intérêt à avoir le même niveau et la même connaissance du jeu, sous peine de créer des disparités qui, rapidement, freineront la partie.

En bref, Cuphead est une réussite qui, sous ses atours élitistes, se fonde sur un concept simple : imposer un défi au joueur, lui donner toutes les clefs pour réussir et lui laisser savourer la satisfaction d’une victoire – le tout avec une direction artistique irréprochable. Cuphead est comme un plat très épicé, un film de Haneke, ou encore un anime mignon et guro à la fois. On accueille ses dissonances avec grand plaisir.

Test réalisé avec une copie fournie par l’éditeur. Attention, pour le moment, évitez la version Windows 10, qui ne sauvegarde pas toujours votre progression !