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Pourquoi Starship Troopers est un chef-d’œuvre intersidéral

Pourquoi Starship Troopers est un chef-d’œuvre intersidéral

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Par Chris Beney

Publié le

Il fut un temps où cette grosse pomme qu’est Hollywood laissa entrer un ver génial venu des Pays-Bas, Paul Verhoeven, actuellement invité d’honneur de la Cinémathèque française. De cette époque, il reste un film précieux qu’il nous appartient de défendre, plus que jamais, Starship Troopers

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Starship Troopers, je l’ai vu deux fois, je l’aime beaucoup, mais je préfère Showgirls“. À la mort de Jacques Rivette, fin janvier, les empêcheurs de pleurer en rond ont ressorti les avis très tranchés sur certains films de cette grande figure de la Nouvelle Vague, d’abord critique aux Cahiers du Cinéma. Entre deux ou trois déclarations discutables (Titanic serait “nul”, Volte/Face est jugé “bête, moche et déplaisant”), s’est glissée celle-ci sur Paul Verhoeven, génial réalisateur trop souvent sous-estimé dans notre contrée.

Rivette a raison de revendiquer son attachement à Starship Troopers (1997) – c’est déjà remarquable compte tenu de la défiance de la critique mondiale à l’égard du film – mais pas de lui préférer Showgirls (1995). Ce dernier n’est pas mauvais, mais Starship Troopers lui est en tout point supérieur, y compris dans sa représentation de ce que le spectacle peut recouvrir de plus vil, sous des atours sains, à savoir la guerre plutôt que le sexe.

Ken et Barbie pour héros

Showgirls revendique la vulgarité et la recherche coûte que coûte, même s’il faut pour cela aller glisser un doigt dans une culotte pour vérifier qu’une femme dit vrai quand elle prétend avoir ses règles. Starship Troopers n’a pas à le faire, parce qu’il prolonge l’hygiénisme incroyablement prononcé de la télévision et des blockbusters pour mieux le défier. C’est cet hygiénisme qui est considéré comme authentiquement vulgaire.

Ses héros ne sont pas beaux, ils sont pires, ils sont Ken et Barbie. C’est pour ça que ce sera un plaisir sadique, jaloux que nous sommes, de les voir vomir, se faire amputer ou éviscérer. Mais c’est aussi pour ça que, en spectateurs bien conditionnés que nous sommes, nous restons enclins à penser que le beau est bon. Nous nous entêtons à rester de son côté, même quand le trop beau est suspect, même quand les signaux d’alerte clignotent :

  • les spots de propagande, dérivés des extraits de JT de Robocop
  • une partie de jambes en l’air pour le puceau qui s’engage militairement contre les insectes (Carmen s’offre en récompense à Johnny, comme dans une série Z)
  • des aliens qu’on nous désigne comme méchants parce qu’ils sont différents (avec ce beau moment d’empathie maximale pour ces bêtes, où l’on découvre l’œil d’un arachnide, alors que celui-ci périt sous les balles), de la même manière qu’on croyait à tort que les Indiens en voulaient toujours aux cowboys.

La part la plus crétine de la critique américaine continue à voir en Starship Troopers un film fasciste. En témoigne le Metascore du film, encore plus faible que celui de Robocop, dépassant péniblement les 50 % (moins que Princesse malgré elle, mais plus qu’Un mariage de princesse, tout de même).

Pour un certain nombre d’exégètes outre-Atlantique, Starship Troopers demeure cette sale bête qui promeut l’innommable parce que ses militaires sont habillés en Hugo Boss des années 1940. D’où l’effacement progressif de l’œuvre américaine de Verhoeven là-bas, comme si on se disait que ses films auraient pu être bons mais étaient en fait des erreurs à corriger à coup de remakes… Remakes qui prendront définitivement la place, avec le temps, de leurs brouillons pourtant géniaux.

Robocop a ainsi été refait, Total Recall itou – et si vous trouvez ces versions meilleures que les originales, vous pouvez arrêter là votre lecture – jusqu’à trahir de la plus dégueulasse des manières leurs modèles, quand fut confié le remake de Robocop à José Padilha, réalisateur de Troupe d’élite 1 et surtout Troupe d’élite 2, qui faisait dire à un prof gauchiste, au calme, que 90 % des Brésiliens méritaient d’être en prison.

L’ironie à son comble

Ce choix d’un metteur en scène ultra-premier degré prouve bien d’ailleurs l’incapacité crasse des décideurs à cerner l’ironie de Verhoeven. Et le remake de Starship Troopers ? Inquiétez-vous, il arrive. Dans les tuyaux depuis 2013, il est au point mort et pour qu’il le reste, il faut, à notre toute petite échelle, plus que jamais revendiquer notre passion pour le film originel parce qu’on n’en verra probablement plus jamais des comme lui.

Tout simplement parce qu’il s’agit d’un coup de génie dont la formule est de faire un pastiche de blockbuster avec les moyens pharaoniques du blockbuster. Impossible à reproduire, maintenant que l’audace se limite au fan service et au second degré métafilmique.

Attention, on parle bien de pastiche, non de parodie. Starship Troopers ne se moque pas des blockbusters, ni des space operas, ni des films de guerre. Surtout pas de ces derniers, d’ailleurs, puisque c’est à l’armée néerlandaise, en particulier à la marine, pour laquelle il a réalisé des films de propagande, que Paul Verhoeven doit sa vocation de cinéaste (et cela participe à l’ambiguïté de ses films).

Starship Troopers se revendique comme blockbuster, space opera et film de guerre, de la même manière que les OSS 117 de Michel Hazanavicius se revendiquent comme des OSS 117 du temps pas du tout béni des colonies. Ces films sont même plus royalistes que le roi. Hazanavicius reprend à la lettre ou presque l’ignorance crasse des films originels à l’égard de l’étranger, propre à leur époque. Verhoeven et son scénariste Edward Neumeier ne font rien d’autre avec le roman de Robert Heinlein dont le titre français, Étoiles, garde-à-vous !, donne une idée fidèle du contenu pro-militariste.

Ils pointent l’idéologie plus que suspecte de cette source d’inspiration en retranscrivant fidèlement son propos et en le mettant en image avec toute l’emphase musicale (les symphonies de Basil “Conan le Barbare” Poledouris sont des réussites) et le grandiose des meilleurs blockbusters (même la scène d’ouverture de Star Wars 7 a repris le débarquement sur Klendathu), et l’euphorie que cela implique.

Deux formes de propagande mélangées

Mais alors, ventre-saint-gris, ils font un film tout aussi fasciste ? Non, c’est nettement plus affreux ! “Pour Hollywood, l’ombre d’un doute, c’est l’ombre de la mort”, a coutume de dire Verhoeven. Neumeier et lui font planer l’ombre de cette mort sur Starship Troopers.

Ils font confiance à leur public pour séparer le bon grain de l’ivraie, et savoir si les héros poursuivent une noble cause (ce qui n’est pas le cas des humains de Starship Troopers), pour juger en son âme et conscience ce qu’il a devant les yeux, pour exercer son esprit critique dans un domaine où tout le monde nous incite à mettre notre cerveau sur pause et à penser qu’il n’y a aucun intérêt à réfléchir devant un blockbuster. Ce qui est d’une connerie sans nom parce que s’il y a bien des films face auxquels il faut être un spectateur vigilant, ce sont bien ceux qui sont vus par des milliards de personnes.

Verhoeven et Neumeier (qui réalisera l’une des suites oubliables du film) font cela avec une intelligence folle, notamment dans les interludes de propagande pure, qui ne se contentent pas d’évoquer le grand-œuvre de Leni Riefenstahl, mais le mélangent aussi aux “Why We Fight” américains, ces films faisant la promotion de l’engagement contre les Allemands et les Japonais au début des années 1940.

Et en mélangeant deux formes de propagande, l’une au service du mal absolu, l’autre au service des Alliés, ils disent tout simplement que la propagande, d’où qu’elle vienne, n’est jamais bénéfique au peuple. Et en plus, ils le font en faisant exploser des têtes, en balançant des centaines de bestioles géantes sur un nouveau Fort Alamo, et avec des vaisseaux spatiaux ! Chérir Starship Troopers devrait être un devoir.