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Pourquoi Star Wars émerveille tant les enfants (même ceux qui ne l’ont pas vu)

Pourquoi Star Wars émerveille tant les enfants (même ceux qui ne l’ont pas vu)

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Par Chris Beney

Publié le

Ils sont trop jeunes pour regarder en entier un épisode de la saga et pourtant, ils en sont déjà fans. Merci papa ? Merci Disney et Lego, surtout.

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Qui connaît Star Wars, La Revanche des Siths se souvient sans doute de “l’Ordre 66”. Mais si ! C’est grâce à lui que le machiavélique empereur Palpatine retourne son armée de clones contre les Jedis… Un tour de magie auquel on est tenté de penser quand on va voir Le Voyage d’Arlo un samedi après-midi en VF, et que tous les enfants cessent leur brouhaha d’un coup d’un seul, happés par le souffle de Dark Vador à la fin d’une pub. “C’est Stawaz !” crie l’un d’eux. “C’est Stawaz !!!” reprennent les autres en chœur. Magie du cinéma – et de la promotion.

Ce réflexe pavlovien n’aurait rien d’étonnant s’il n’émanait d’un public trop jeune pour avoir vu en entier ne serait-ce qu’un film de la saga. Aux Etats-Unis, Le Réveil de la Force est interdit aux moins de 13 ans et l’âge moyen des spectateurs attendus est de 34 ans . Des études statistiques anglaises et américaines indiquent qu’on découvre en général Star Wars entre 3 et 5 ans. Sauf qu’à ces âges, on ne s’enquille pas forcément les six longs films, dont l’un montre son héros se faire trancher la main et apprendre que le pire salaud de l’univers est en fait son père.

Un conte à l’imaginaire foisonnant

La véritable force de Star Wars reste de fasciner inlassablement, malgré le renouvellement générationnel. Il n’y a pas d’équivalent dans le reste de la pop culture. Pour prendre la mesure de cette dinguerie, imaginez une situation où vous, vos parents et vos grands-parents seraient excités de la même manière à l’idée de voir le nouveau spectacle de Chantal Goya et Jean-Jacques Debout. Impensable, mais pas inexplicable.

“Il n’y a pas de mystère quant aux raisons pour lesquelles Star Wars reste populaire auprès des jeunes garçons”, explique Robert Thompson, professeur de culture populaire à l’Université de Syracuse, à la radio publique américaine. Il y a dedans à peu près tout ce qu’ils aiment, des vaisseaux spatiaux, des créatures qui ressemblent à des dinosaures, et d’autres qui ressemblent à des ours en peluche.”

Pas de science-fiction excluante pour ceux qui n’entendent rien aux technologies futuristes, puisque l’histoire se déroule “il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine…”, mais de “l’imagination pure”, comme l’analyse Olivier Pourriol sur Europe 1, avec tout ce que cela comporte d’universel.

Des références à Œdipe, un monde à la fois proche et lointain, vaguement moyenâgeux, une bonne dose de manichéisme et une princesse à sauver (même si elle se sauve souvent très bien toute seule)… Star Wars tient au moins autant du contes de fées que du space opera. Oui, au moment de border ses bambins, il est possible de leur raconter de mémoire les aventures de Luke et Leïa, leurs rencontres avec les Ewoks et leur combat contre Vador, plutôt que les contes de Perrault.

Aimer Star Wars, mon fils, tu devras

En évoquant uniquement “les garçons”, et même si bien évidemment les filles peuvent aussi aimer Star Wars, comme le souligne Albin Johnson, fondateur d’un groupe de 10 000 fans, Robert Thompson nous met sur une piste de réflexion. Pas au sujet de Star Wars comme “une affaire de mecs”, mais de Star Wars comme une affaire entre un père et son fils.

Prenons cette vidéo de Date Night Comedy.

Trois gars, un barbecue, des bières, un ballon de foot US : on est bien. L’époque où ces trentenaires auraient discuté filles, bagnoles ou sport est bien révolue. Star Wars est leur seul sujet de conversation. Mais soudain, c’est le drame : l’un d’eux avoue n’avoir jamais regardé un seul film. Même pas Le Retour du Jedi.

Cette terrible confession sonne comme l’aveu d’une mauvaise éducation, voire d’une maltraitance : le mec qui ne s’intéresse pas à Star Wars, c’est celui que son père n’a pas traité en padawan en l’initiant aux joies d’un univers peuplé de chevaliers galactiques et d’aliens.

Un père reconnaît-il désormais son cher petit quand il partage avec lui de l’intérêt pour Star Wars, même sans que le gamin ne sache bien pourquoi, comme ça se passait avant – dans les clichés en tous cas – autour d’un moteur de voiture auquel le fils n’entravait rien ou d’un match de foot à la télé dont les enjeux lui échappaient ? Parce que Star Wars est une histoire de pères spirituels et de fils abandonnés, il y aurait là de quoi s’identifier ?

Cette hypothèse d’un legs père-fils inné est séduisante, mais n’explique pas tout. Car il existe des relais formidables de Star Wars auprès des jeunes non-initiés, du concret qui peut très bien se passer de la paternité.

Le merchandising de la nostalgie

Fin des années 80, début 90, Lucasfilm commet une grosse erreur en ne faisant rien pour entretenir la flamme de la saga. Les fans et leurs magazines dédiés ressassent les mêmes articles faute de news, les figurines désertent les rayons de jouets, les romans ne trouvent grâce qu’aux yeux des adorateurs, l’attraction Star Tours s’essouffle à Disneyland puis à Disneyland Paris…

Walt Disney justement, Lucas en est fan. La créature gigantesque dont s’échappe le Faucon Millenium dans L’Empire contre-attaque ne rappelle pas pour rien le cachalot de Pinocchio. Lucas admire Disney, à la fois l’artiste et la capacité très américaine de sa firme à faire du commerce un divertissement et inversement. L’entreprise de Walt a une technique : ressortir ses classiques en salles tous les 7 ans, pour que chaque génération découvre Bambi ou Blanche-Neige.

Alors Lucas fait pareil. Il ressort La Guerre des étoiles en 1997 pour son 20ème anniversaire. Une initiative décisive :

C’est le moment où Lucas a dit en quelque sorte : “Vous savez quoi ? C’est un élément permanent du paysage culturel, que vous le vouliez ou non. Vous ne l’oublierez pas, vous y reviendrez pour le restant de vos jours”, estime le critique de Time Lev Grossman, dans le Daily Beast.

Et Lucas a eu raison. Après l’épisode IV, les V et VI emboîtent le pas. Puis c’est au tour de La Menace fantôme de ressortir dans les salles en 2012, treize ans après sa première exploitation. A chaque fois, la ressortie chauffe le public avant une nouvelle trilogie, comme le ferait la première partie d’un concert.

Mieux : c’est comme si vous alliez voir les Rolling Stones aujourd’hui et que leur première partie était assurée par les Rolling Stones des années 1970. Ainsi, depuis 1977, chaque génération devient nostalgique de l’univers Star Wars sans que l’une ne soit plus légitime que l’autre, puisque chacune peut le découvrir dans les mêmes conditions que la génération d’avant.

La force de cette stratégie est d’être à la fois mercantile et artistique. Lucas considère que sa saga lui appartient, à lui et pas aux fans, et que tout film est un work in progress. Il profite donc des ressorties pour retaper son œuvre, afin de consolider sa cohérence, ou lui ajouter une plus-value (la 3D pour La Menace fantôme).

Grâce à ce ripolinage constant, la génération d’avant redécouvre en plus les films. Contrairement aux classiques de Disney, l’adulte ne revoit pas une œuvre en compagnie de sa progéniture, il voit sa mise à jour, participant de cette “quête d’un idéal au terme duquel le cinéma ne serait plus fatalement daté, mais perpétuellement ‘de son époque'”, comme l’écrit Jean-François Rauger dans Le Monde.

Un mythe alimenté par Lego

A cela s’ajoutent les séries animées The Clone Wars, puis Star Wars Rebel, produites à partir de 2008 et 2014, à destination notamment des enfants. Avec les jouets, cette grande manœuvre de Disney s’apparente à une stratégie hypertexte, les équivalents des notes de bas de page renvoyant inlassablement à Star Wars (Le Journal de Mickey a inclus Star Wars dans son “dico-Disney” et présente chaque semaine un élément de la saga de Lucas).

Ce merchandising n’étonne plus personne. Mais fait-il mouche auprès de ces enfants de moins de six ans venus voir Le Voyage d’Arlo, bambins métamorphosés en émeutiers des bacs à sable à la simple évocation d’un sabre laser ? Eux, ce ne sont pas seulement leurs yeux qu’il faut occuper pour en arriver là, mais leurs mains. Et il y a un outil pour ça : Lego.

A la sortie de La Menace fantôme en 1999, Lucasfilm vend une licence Star Wars à Lego, valable jusqu’en 2008. A l’époque, cela tient plus du désir de monopoliser toutes les marques qu’autre chose (pour éviter la saturation, Le Réveil de la Force a deux fois moins de partenaires commerciaux que La Menace fantôme). Lego se rabougrit à cause de la concurrence des jeux vidéo… L’alliance sera reconduite deux fois, et un nouveau contrat de dix ans, scellé en 2012.

Entre-temps, la firme danoise triple son chiffre d’affaires. Elle est devenue cette année le numéro un mondial du jouet et elle le doit en partie à Star Wars, à sa capacité à attirer, grâce à cette franchise, aussi bien les enfants que les AFOLs (Adults Fans Of Lego). Googlez “Millenium Falcon”, la saisie automatique donne “Millenium Falcon Lego”, un objet dont la première édition limitée en 2007 se vend aux enchères jusqu’à 6 000 euros…

Lego a surtout eu cette idée géniale : développer un univers non pas autour de Star Wars mais autour des Lego Star Wars avec, depuis 2005, des dessins-animés et des jeux vidéo dont les héros ne sont pas ceux de Star Wars, mais leurs miniatures en plastique. Il n’y a plus besoin de créer des produits dérivés de ces programmes, puisqu’ils mettent déjà en scène des produits dérivés d’autre chose, Star Wars donc, disponibles dans le commerce.

Et comme Disney a fait officiellement un reset de l’univers étendu de la saga lors du rachat de Lucasfilm en 2014, en ôtant toute légitimité aux œuvres, notamment littéraires, qui faisaient vivre les héros entre deux trilogies, les tout jeunes initiés n’en savent guère moins que les fans hardcore. Sauf que les deuxièmes regarderont Le Réveil de la Force comme le nouvel épisode d’un cycle qu’ils ont vu et revu, alors que pour les premiers, ce sera probablement l’équivalent d’un Toy Story, avec Han Solo à la place de M. Patate.