Sample Story #14 : sur son dernier titre, Chance The Rapper sample une vanne de Jamie Foxx

Sample Story #14 : sur son dernier titre, Chance The Rapper sample une vanne de Jamie Foxx

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Par Brice Miclet

Publié le

Chance The Rapper est un musicien passionnant, surtout lorsque l’on s’intéresse au sampling dans le hip-hop. Le 18 juillet dernier, il sortait le titre “I Might Need Security”, intitulé qu’il a piqué à un spectacle humoristique de Jamie Foxx datant de 2002. Il en sample même un extrait composé de deux mots seulement : “Fuck you”.

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La définition du gimmick est assez floue. Dans la musique, elle correspond le plus souvent à un motif mélodique récurrent d’une chanson. Cela peut être un petit riff de guitare, un mot qui revient régulièrement dans la chanson, un motif rythmique… Ou un bon gros “Fuck you” des familles répété en boucle durant tout le morceau. C’est le cas de “I Might Need Security” du rappeur Chance The Rapper, sorti le 18 juillet dernier, et ayant de suite été bien accueilli dans les charts US. Ce “Fuck you” qui hante tout le morceau est assez drôle. La vulgarité du terme alliée à son côté chanté, presque romantique, ne vont pas vraiment de pair à la base. Mais cet aspect comique n’est pas surprenant quand on sait qu’il s’agit d’un sample, et quand on en connaît l’origine exacte.

“God bless America, but fuck the Talibans”

C’est en fait la voix de Jamie Foxx qui est samplée ici. En 2003, l’acteur sortait un spectacle humoristique intitulé Jamie Foxx : I Might Need Security. Un gros carton puisque le DVD s’était à l’époque écoulé à plus de 200 000 exemplaires. Ce succès est d’autant plus impressionnant qu’il ne s’agissait pas d’un spectacle classique, que Foxx faisait tourner dans tout le pays, mais d’un one shot, une émission diffusée le 23 février 2003 sur HBO en prime time. En 1993, l’acteur avait déjà rendu hilare le public via le même principe, un show semblable intitulé Jamie Foxx : Straight From The Foxxhole. Mais c’est la suite de 2002 qui a rencontré le plus gros succès d’estime, de loin.

Vers le milieu du spectacle, Jamie Foxx, dont les talents de musiciens ne sont plus à prouver (il les mettra encore plus en évidence en 2004 dans le film Ray, où il incarne le chanteur Ray Charles, rôle qui lui vaudra un Oscar du meilleur acteur), s’assoit derrière un piano. Il entame alors une chanson langoureuse, déclaration d’amour à l’Amérique : “God bless America / God bless black people / God bless white people / God bless Mexicans…” Et conclut cette introduction tout en émotion par “But fuck the Talibans”. Puis, c’est aux femmes qu’il s’adresse. Il raconte qu’il veut les aimer, les embrasser sur les lèvres (mais précise qu’il ne s’agit pas des lèvres situées sous le nez, mais celles bien, bien plus bas). Pendant dix minutes, il manie le contraste entre romantisme et vulgarité, qui fonctionne à merveille.

Les rires du public samplés

Il se lance alors dans un monologue, explique la complexité des relations hommes-femmes, de la vie de couple. Il parle, racontant ces fois où des engueulades éclatent dans la rue, confiant que parfois, la seule chose que tu as envie de dire à l’autre est : “Fuck you”. C’est ce passage précis, situé à 4 minutes 39 sur la vidéo, qui est samplé sur le titre de Chance The Rapper.

La chanson “I Might Need Security” de Chance The Rapper est composée par Chance lui-même, mais aussi par le jeune producteur Peter Cottontale. Ils ont déjà travaillé ensemble à plusieurs reprises, notamment sur l’excellente mixtape Acid Rap du rappeur de Chicago, sortie en 2013, et qui l’a révélé à l’international. Les deux potes ne se sont pas compliqué la tâche. Lorsque Jamie Foxx dit “Fuck you”, la salle est pliée en deux, et les deux musiciens samplent même les rires du public, que l’on entend alors tout au long de la chanson. Ensuite, ils prennent le soin de mettre ce petit air crado à différentes tonalités, le découpant et le répétant sous plusieurs formes, afin de créer une mélodie inédite. C’est ce que l’on appelle, dans le jargon du sampling, le choping : l’art de la découpe des samples.

Un sampleur phare des années 2010

Chance The Rapper est certainement l’un des artistes hip-hop les plus intéressants de ces dernières années lorsque l’on s’intéresse au sampling. Déjà, sur Acid Rap, il parvenait à mobiliser des sons piochés, comme le veut une certaine tradition du beatmaking, chez les artistes de soul Willie Hutch (sur “Lost”), Betty Wright (sur “Favorite Song”), et The Backyard Heavies (sur “Everything’s Good”), mais aussi dans le jazz de Jack Wilkins (sur “NaNa”), dans le rap de Slum Village (sur “Everybody’s Something”), dans le groove instrumental de Dave Grusin (sur “Pusha Man”), dans le blues rock de Mountain (sur “Chain Smoker”), ou encore dans la musique concrète du Monroeville Music Center (sur “Paranoia”). Un patchwork d’influences savoureux.

Au fur et à mesure que sa carrière avance, Chance The Rapper commence à sampler des morceaux en les rendant moins identifiables, plus expérimentaux. Le fait d’aller chercher le “Fuck you” de Jamie Foxx est une preuve que l’échantillonnage hip-hop s’ouvre à des supports de plus en plus variés. Les vidéos Instagram, les discours politiques, les émissions de télévision, et aussi les spectacles comiques à succès. Et bien d’autres.