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Run The Jewels : “On a rendu amusant le rap hardcore”

Run The Jewels : “On a rendu amusant le rap hardcore”

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Par François Oulac

Publié le

“J’aimerais pouvoir te dire que tu peux circuler dans mon pays en toute sécurité comme ces Blancs autour de nous. Mais ce n’est pas le cas.”

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K | Vous êtes à la fois rappeurs et activistes. Vous n’avez pas l’impression que le rap mainstream fait preuve d’apathie vis-à-vis des questions de société ? Par exemple pour Michael Brown, il y a eu quelques morceaux hommages vite fait, puis plus rien…

Mike | Je ne suis pas entièrement d’accord. Je connais bien certains rappeurs comme Game ou Luke du 2 Live Crew, et ils sont très impliqués dans la communauté, ils poussent les gamins à faire du sport pour ne pas rester dans la rue. C’est juste que leur musique n’est pas représentative de cela. Et puis, tu remarqueras qu’on ne pose cette question qu’aux rappeurs. Jamais aux artistes country ou aux artistes rock, par exemple. Seulement aux rappeurs. Et pourtant tu auras du mal à trouver un rappeur qui n’a jamais fait de commentaire social. Même Riff Raff en fait parfois !
Tout le monde n’est pas fait pour prendre la parole en public. J’applaudis Rick Ross pour avoir fait cette chanson avec Game [“Don’t Shoot”, morceau hommage à Michael Brown, ndlr], parce que les gens voient tout le temps son personnage négatif de vendeur de drogue, mais ils voient rarement en lui l’homme d’affaires qui possède cinq business et génère probablement une cinquantaine d’emplois.
El | Et je trouve ça un peu injuste qu’on pose toujours cette question aux artistes rap, comme si le hip-hop avait une responsabilité sociale plus importante. Mike l’a très bien dit, le rap dit plus de choses sur la société que n’importe quelle autre forme de divertissement aujourd’hui, et à cause de ça, les gens s’y habituent et en attendent plus que d’autres genres musicaux.
K | Vous tenez un discours critique depuis toujours, mais il semble qu’avec les événements récents, le public est plus que jamais réceptif à votre message, un peu comme si votre musique tombait à pic.
El | Clairement.
Mike | El a imaginé une société post-11 septembre avant que le 11 septembre n’arrive. Et quand c’est arrivé, d’un coup tout le monde a dit « mince, tu es un génie ! » On est dans cette position. Mais à moi, ça ne me fait pas plaisir. J’aimerais bien pouvoir te dire que tu peux circuler dans les rues de mon pays en étant autant en sécurité que tous ces Blancs autour de nous [il désigne les clients des tables voisines], mais ce n’est pas le cas. J’ai besoin de le dire dans ma musique parce que si je ne le fais pas, alors pourquoi est-ce que je fais tout ça ?
El | Je ne peux pas expliquer pourquoi ou comment les choses ont convergé de cette manière. Il n’y a rien à dire là-dessus, à part le fait que ce n’est pas Run The Jewels qui est venu vers le public, mais plutôt le public qui est venu vers Run The Jewels. Et c’est tant mieux que ça se passe ainsi, parce que nous savons qui nous sommes, nous pouvons assumer et défendre nos opinions. On n’a pas forcément raison sur tout, mais on sait qui on est et ce qu’on pense, on n’a jamais rien dit d’autre. Sur RTJ, tu n’entends pas deux mecs lisses et bien sous tous rapports. Non, ce sont des personnages vénères, drôles, un peu tarés, avec du courage de l’intelligence. Et c’est très proche de ce qu’on est en réalité, pour être honnête.