Rendez-vous à l’aveugle avec Rhye

Rendez-vous à l’aveugle avec Rhye

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Par Tomas Statius

Publié le

7 Mars 2013. Il est 22 h 00 quand une foule éparse se masse aux abords de la petite scène du Silencio, rue Montmartre. Lumière tamisée, sol parsemé de bougies, musique ambiante pour ce qui se veut être le club le plus sélect mais aussi le plus pointu de la capitale. Et ce soir c’est nuage de fumée qui s’y produit. Une entreprise musicale sur laquelle peu de choses ont filtré.

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Briser le mystère Rhye. C’est une envie qui semble animer bien des spectateurs ce soir-là. Musique. Mouvement de foule. A droite une femme dit : “Je m’approche, j’essaie de voir si c’est un homme ou une femme qui chante”. Car dans la pénombre, bienheureux celui qui pourrait avoir une réponse claire. Briser le mystère Rhye c’est aussi ce qui nous a motivé à aller à leur rencontre. 

En amont c’est au même endroit, dans les recoins du 142 rue Montmartre qu’on a rencontré Robin Hannibal, la moitié de Rhye (leur site) pour une présentation en bonne et due forme du projet. Et parler un peu de leur album Woman qui est sorti le 3 mars.

MUSIQUE A COINCIDENCE

Mon nom est Robin Hannibal, et je suis une moitié de Rhye. L’autre moitié est Mike Milosh. Je suis originaire de Copenhague au Danemark et lui de Toronto. Nous produisons de la musique chacun de notre côté depuis 8-9 ans, peut être plus, et il s’est avéré que nos chemins se sont croisés

Sur internet d’abord. Une histoire de remix que Mike avait fait d’une chanson de Robin (le second lui ayant rendu la pareille par une composition originale). A Copenhague ensuite, lieu des premiers ébats musicaux du duo : une semaine pendant laquelle est posée la base des titres The Wall, Women et Minor Major Love. La rencontre est fructueuse et une alchimie se développe. “Parce que c’était lui parce que c’était moi” écrivait Michel de Montaigne à propos de son amitié avec D’Alembert. Robin utilise ce type de vocabulaire quand il en vient à décrire les relations entre les deux musiciens : l’osmose.

C’était très organique et très ouvert dès le début : c’est la force de notre collaboration. Pour la création je ne saurai dire exactement comment cela se passe et lequel des deux a le plus la main. Nous nous nourrissons l’un l’autre et avant tout nous nous faisons confiance. Probablement parce que nous apprécions la musique de l’autre avant de travailler ensemble.

Cet album c’est une oeuvre négociée, mûrie et pensée. Le fruit d’une certaine idée qu’ils se faisaient de la musique. Et d’un savant équilibre entre deux musiciens : travail égal dans la composition, Mike est le seul à se produire sur scène, Robin lui s’occupe des basses besognes et tout deux continuent à composer pour d’autres projets. Un album solo pour le premier, des chansons avec le groupe Quadron pour le second :

Nous avons tous les deux d’autres projets en parallèle et je ne pense pas que cela soit une mauvaise chose. Cela permet de garder l’équilibre car il y a quelque choses de frustrant à travailler sur une dizaine de chansons pendant toute une année.

Mais aussi le fruit de circonstances. Et d’une certaine mesure c’est toute la jeune histoire de Rhye qui est peut être vue à la lumière de cet aspect. Une occurrence chanceuse entre la musique de deux compositeurs, un alignement harmonique inouï entre deux créateurs, et un lieu d’enregistrement permettant une texture si particulière. A Los Angeles, c’est dans le petit studio de Mike que l’album a été enregistré il y a un an de cela. Ce dernier se souvient :

Enregistrer dans un si petit espace a probablement influencé notre manière de composer. Cette intimité que nous avons vécue pendant l’enregistrement se sent dans la manière dont sonne l’album.

Intimiste est le mot.
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Le rideau s’écarte et on aperçoit désormais la scène. De droite à gauche : un clavier, une basse, une batterie, Mike et un ensemble de percussions, un violoncelliste se tenant à côté d’un trombone encore sur son pied et un violoniste. Une éventail large de sonorités et de couleurs pour retranscrire aussi fidèlement que possible l’architecture de leur musique.

Deux / trois morceaux, la voix de Mike résonne dans la salle qui se vide peu à peu de mélomanes qui vont grossir la file d’attente de la buvette. Et puis la pénombre. A la demande du chanteur, l’intensité des spots est atténuée. Puissance minimale puis noir quasi-complet : “It feels better that way” lance t-il face à une foule riant jaune.

LES RACINES DE RHYE

Avant les textures, Rhye c’est d’abord une musique à thème. Et le singulier est utilisé ici à dessein. La musique du groupe transpire la passion, un corps à corps intense avec la romance. Les deux membres confessent la prégnance de l’amour dans leurs compositions. C’est ce qu’il les inspire, c’est à partir de ce matériel qu’ils se sont mis à créer.

Nous sommes très inspirés par l’amour et c’est d’ailleurs ce sentiment qui nous a poussé à faire cet album. L’amour de Mike pour sa femme et celui que je portais il y a deux ans pour une femme que j’ai suivie à Los Angeles. Nous composons à partir de nos expériences et c’est pour cela que nos compositions sont sincères. J’espère que cela se ressent.

Plus qu’un duo à la musique inventive, Rhye est aussi le nom d’une idée précise qu’ils se font de la musique. Un certain “élitisme”, car ces deux-là ne viennent pas de nulle part. Et cela se ressent dans la manière qu’ils ont de présenter leurs morceaux et de créer plus généralement.

 Mike a d’abord étudié le violoncelle puis la batterie et la voix. Et je pense que cela se ressent dans sa manière de chanter de manière : très rythmique et aussi harmonique. Pour ma part j’ai commencé à faire de la musique pendant mon adolescence : chercher des disques, jouer du piano. Puis je me suis intéressé aux arrangements, à la manière de composer des chansons et de les faire sonner. J’ai étudié la théorie à l’université, j’ai également géré un magasin de disques et appris de mes différentes expériences en tant que DJ ou dans un groupe.

Formés dans le plus pur académisme, ils ont su s’émanciper du carcan de leur parcours pour créer un album atmosphérique faisant place aux sensations. S’effacer derrière une “idée” pour restaurer l’imagination dans la perception de la musique. C’est pour cette raison qu’un trouble domine quand on s’approche de leur personne.

Aujourd’hui sur Internet tout est très visuel. La perception première se fait par ce biais-là et je trouve cela triste. Pour notre part, nous voulons que la musique parle d’elle-même et que les gens s’intéressent à notre musique pour elle seule et non pas via nous. C’est pour cela que nous n’avons pas voulu baser ce projet sur nos visages ou nos noms. Rien de tout cela n’est secret, on peut le trouver sur internet. Nous refusons juste de donner ces informations au plus grand nombre.

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La suite ? Faire vivre l’album sur la route puis se remettre à composer. La chronologie n’est pas encore définie. Les options sont ouvertes

C’est un album découverte. Il n’y a pas de “hit” ou de titre plus fort que le reste. C’est à partir de cela que nous construirons la suite.

Dernière question et puis basta. Un marronnier, un lieu-commun, oui, mais notre curiosité se doit d’être satisfaite. Rhye ça vient d’où ?

Je ne peux répondre. Mais je peux donner des indices : ce n’est pas un référence à la chanson de Queen [Seven seas of Rhye], et nous aimons le pain de seigle [“Rye Bread” en anglais, ndlr] ainsi que le livre de J.D Sallinger L’attrape coeur [le titre original est The Catcher in the Rhye]

Le concert touche à sa fin et les supporters du premier rang donnent de la voix. Alexa, notamment, la femme du chanteur. “That’s my wife” commente t-il sobrement. Une session improvisée, quelques vocalises et puis plus rien. Ne reste que le musc et la lumière vacillante de cette petite salle alors que les liqueurs coulent à flot. Les membres de Rhye s’en vont, comme ils sont venus : dans la pénombre, sans fracas mais avec sérénité.
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