L’esprit punk existe encore, j’ai pogoté avec lui

L’esprit punk existe encore, j’ai pogoté avec lui

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Un plombage s’est glissé dans cette photo du chanteur de The Slow Death. Sauas-tu le retrouver ? (Crédits image : Louis Lepron)

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Par Théo Chapuis

Publié le

L’important, c’est qu’ils acceptent le punk. Avant, il y avait les Combustibles, la Miroiterie… Aujourd’hui, on tente nos concerts au Café de Paris, au Gibus Café. Ou alors, il y a des endroits qui arrêtent après en avoir fait, comme les Combustibles qui, depuis qu’ils ont changé de direction, ne programment plus de punk.

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Il faut dire que qui le punk à Paris rimait, jusqu’il y a quelques semaines encore, avec la Miroiterie, squat mythique du vivier alternatif parisien et repaire de nombre d’événements associés. Till et Seb allaient “super souvent” à la Miroiterie et la décrivent comme un lieu où “beaucoup de choses se passaient”.
Mais ce lieu est-il aussi iconique pour la culture punk que ce qu’on en dit ? Ils n’en sont pas certains.

Des squats, il y en a eu d’autres. C’est juste qu’ils n’ont pas tenu aussi longtemps que la Miroit’. Et faut ajouter que son esthétique globale était très punk. En réalité, c’était pas “plus punk” que d’autres squats, presque une salle normale.
Ce qu’il y avait de certain, c’est que le lieu avait ses habitués : tu avais toujours au moins trente mecs le vendredi et le samedi. Puis c’était pratique, tu pouvais venir avec ton chien.

Blague à part, je leur fais remarquer que leur look est plutôt loin de celui de mes camarades du lycée qui portaient des sweats à capuche The Exploited. Ils assument avoir peut-être des goûts vestimentaires trop propres pour être punk, et une attitude qui ne se conforme pas aux clichés non plus : “Quand on organisait aux Combustibles, le patron nous engueulait parce qu’on finissait à l’heure !”, se marre Seb. “On n’a pas l’attirail que le tenancier du lieu où on organise s’imagine avant de nous rencontrer”.
Mais alors… sont-ils “assez” punk ? Till bredouille :

Le punk, c’est quelque chose que tu ne peux pas quantifier. Mais les gens aiment les cartes postales, ils aiment les étiquettes. Or quand les Toy Dolls [groupe britannique culte formé en 1979, ndlr] jouent pour plus de 20 euros dans une grosse salle devant des mecs avec des crêtes et des tatouages, est-ce que c’est encore punk ? Est-ce que ça l’est plus ou moins que nos concerts artisanaux avec un public pas spécialement looké ?
C’est pareil : beaucoup pensent que Guerilla Poubelle, c’est du punk crado. Mais plein d’autres trouvent que c’est du punk de bourgeois… Rien à faire : tu ne peux pas être universellement punk ! Et moi-même, j’ai pas l’impression d’être un punk. Je fais du punk, j’évolue dans l’univers punk, mais j’en suis pas un.

“Certains punks sont hyper sectaires”

“L’univers punk”. On y vient : je sens que je touche au but. J’évoque auprès d’eux cette communauté punk et, de mon meilleur air de Bernard de la Villardière, leur demande : “Alors ? Fantasme ou réalité ?”.
Encore une fois, pour Till, ce n’est pas une science exacte :

Il y a toujours eu plusieurs communautés punk, pas une seule. Quand j’étais gamin, fan de Nirvana, j’avais le look grunge tout en me rendant en concerts en squat, auprès de mecs politisés. Dans certains endroits, je me faisais pousser et marcher sur les pieds, je me suis même fait jeter. Certaines franges du punk sont hyper sectaires.
Mais c’est sûrement une particularité parisienne : il y a du choix alors tu peux te permettre d’être exclusif. Lorsqu’on joue en province, il y a des punks, mais aussi des métalleux, d’autres pas vraiment marqués. Pourquoi ? Parce qu’il y a deux concerts par mois dans leur ville. Et quand t’as moins à bouffer, tu fais moins le difficile.

Il y a une communauté punk. Et même si le terme punk rock est devenu très consensuel, à Paris et en France, c’est un petit milieu. Tu finis par connaître tout le monde. En plus la majorité des concerts se passent dans de petites salles avec 100, 200 personnes max. Comment on est activiste ? En jouant de la musique, en sortant des disques, en écrivant dans un fanzine, mais aussi tout simplement en venant aux concerts.

Frank a découvert le punk en 1986, dans de petites salles miteuses. À l’époque, on pogotait devant La Souris Déglinguée, Parabellum, les Bérus “et plein d’autres dont on a oublié le nom aujourd’hui”. On appelait ça “le rock alternatif”, précise-t-il. Et en 2014, ce soir tout du moins, Frank ne manque pas à l’appel : il se retrouve encore et toujours dans un petit bar pour un concert punk.
“Pour moi, ça n’a jamais changé ! Les noms, peut-être, mais pas le reste”. Entre-temps, pas de changement ? Je lui rappelle que dès le milieu des années 90 et au moins jusqu’au milieu des années 2000, Green Day, NOFX, Offspring, ce sont des millions d’albums vendus.
Alors, punk ou pas ?

Dans les années 90, il y a eu un effet de mode consécutif à ces groupes qui ont explosé. Le large public a grossi le public punk un moment. Mais ça n’a pas duré. Ensuite, il reste ce qu’il y a toujours eu en parallèle de ces gros noms : les petits concerts et les petits bars.

“Impossible à définir”

Alors, c’est ça l’esprit punk ? Ou bien davantage ? Il n’en sait rien. “Le jour où on aura défini l’esprit punk, il n’existera plus. Ça peut être de la musique, des fanzines, mais aussi un esprit, une littérature, de l’art, également une façon de faire”.
Il avoue d’ailleurs qu’avec les chapelles et sous-chapelles de punk, mais aussi la mode contemporaine, on s’y perd un peu :

Si tu vois un mec avec une crête rose, tu peux penser que c’est un punk. Mais les codes vestimentaires ont changé ! Aujourd’hui, tout le monde s’habille en noir, met des t-shirts de groupes, les métalleux s’habillent pareil, les hipsters aussi… On parle d’un mouvement qui existe depuis tellement longtemps qu’il est devenu impossible à définir.

Oui, mais comme beaucoup de choses ! Le rayon “musique indépendante”, à la Fnac, comporte une majorité de groupes signés sur des majors. Les magasins Do It Yourself aux États-Unis, c’est des magasins de bricolage. Le nom vient de là !

Le punk californien de Béthune

On a déjà fait plein de concerts ! Ça s’est enchaîné très vite, en fait. Des gens sur Lille nous ont permis de jouer avec des groupes locaux, puis français, puis européens.

L’idée ? L’échange : “On a joué hier à Orléans chez un groupe, on les refera jouer à Lille”. Une certaine idée de la fraternité que leur batteur synthétise : “Le punk, c’est de l’entraide, plein de copains”. D’ailleurs, ce soir, c’est Till de Guerilla Poubelle qui les a invités sur la date. Un bon copain, c’est certain.
Par contre, disons ce qui est : notre idéal de punks à rangers/baggy/lacets rouges ne s’est jamais fait aussi lointain. Slice Of Life, c’est trois barbus, petit short et chaussures basses proprettes. Ne leur manque que la casquette Supreme et les Wayfearer pour que vous les taxiez de hipsters – cet autre mot-valise insupportable supposé définir une sous-culture. Il faut dire que le punk à tendance politique, c’est pas leur truc. Dès que l’un d’eux commence à bredouiller quelques mots sur une “alternative à la culture de masse”, il se reprend, parce que quand même, “ça fait un peu punk à chiens”.
Leurs chansons ? Elles parlent de voyage, de choses du quotidien… et c’est tout. “On ne veut pas être contestataires. Un groupe de pop peut être plus anarchiste qu’un groupe de punk rock, nous-même n’avons pas de message particulier”. Seulement une image en tête : l’Amérique. “La Californie, même”. Ils n’y sont jamais allés. Le punk, en 2014, ça veut dire quelque chose ? “On pense pas. C’est plus qu’une étiquette”.

Le punk ? “C’est comme des vacances !”

J’ai juste fait la fête, là-bas. Et en arrivant en Europe par avion, pour notre tournée, on n’a jamais retrouvé ma valise. Alors j’ai dû me débrouiller et racheter des fringues…

Dès les premières secondes de notre rencontre, j’en suis donc convaincu : spontané et visiblement à l’aise, Logan est punk sans même le faire exprès.
Pour lui, ce mouvement, c’est avant tout une communauté. “Il n’ y a pas tellement d’autre hobby que tu peux faire où tu te déplacerais de ville en ville, de pays en pays, et trouver des gens qui aiment la même chose que toi. C’est comme des vacances !”. Est-ce inhérent à ce genre musical ? “Je ne veux pas m’attirer des ennuis, mais j’ai joué dans des groupes de metal par le passé, et ce n’était pas aussi accueillant !” Mmm.

Il est loin le “No Future”

Je ne joue pas à GTA, ni à Fifa… pas à des jeux mainstream.

Punk à bières

Politisé, Dédé me fait l’effet d’être un gars qui n’accepte pas les concessions dans la musique : “Mais tu peux très bien réduire le punk à de la musique ! Tant que tu craches tes tripes et que tu y vas”, et de se lancer dans une démonstration d’air guitar à faire pâlir un guitariste classique, à grands renforts de “TAC TAC TAC TAC TAC !!”.
Un peu calmé après avoir éclusé une nouvelle canette, il se dit bien placé pour parler de nihilisme punk :

Avec tout ce que j’ai étudié, je ne vois toujours pas mon avenir pour autant. Mon quotidien, c’est attendre le RSA et faire la manche pour me payer un concert, au sens propre. Le “punk spirit”, c’est une certaine façon de rejeter les normes, d’envoyer les trucs valser, de s’en battre les couilles. Pourquoi j’me couperai les cheveux ? Va te faire foutre !

Rap antifa

Intéressé par notre conversation animée, c’est un autre chevelu qui s’approche pour participer. Thur, 31 ans, travaille “dans la télé”. Tout comme Dédé, il oppose au son pur l’aspect politique d’une musique, quelle qu’elle soit.

Moi la scène punk, je l’ai rejoint par le biais anarcho-punk, avec beaucoup de concerts antifa. Le côté politique, ce qui d’ailleurs m’attire désormais dans le rap antifa, qui commence à émerger sur Paris et dans la banlieue.
C’est une scène complémentaire à celle du punk antifa : elles se rejoignent pour des échanges culturels intéressants. On se retrouve à pouvoir discuter politique avec des jeunes de quartiers difficiles.

On croit pas au système. Mais bien sûr il faut descendre dans la rue. Le fait de ne pas croire dans un système n’implique pas de ne pas réagir face aux défaillances. S’il n’y a plus de détracteurs pour montrer les limites, c’est la fin. On est la dernière barrière avant que tout le monde s’en contrefoute.
Même si la politique peut faire quelque chose, les gens n’ont plus conscience de leur pouvoir. En gros il n’y a plus de démocratie. Y a qu’à voir les taux d’abstention aux municipales.

De père en fils

Pfiou. Pour se rafraîchir les idées après toutes ces considérations bien peu terre-à-terre, il est temps de redevenir un peu moins sérieux. Je me jette à corps perdu dans le concert de Guerilla Poubelle. Si l’ambiance des live précédents était déjà plutôt chaude, le mercure est encore monté… et ne redescendra qu’au dernier coup de médiator.
Entre deux chansons furieuses au paradoxe mélodique, Till meuble d’un “Merci d’être venus un lundi !” lancé à l’audience. Un type noyé dans le public avec qui je me suis frotté dans le pogo lui répond du tac-au-tac :

Si on avait une vie normale ça se saurait !

Mes enfants écoutent ce que j’écoute mais aussi des choses de leur génération, qu’ils découvrent avec leur entourage, leurs copains. Ils me font découvrir de l’electro, du rap ou même du punk rock que je ne connais pas ! Je ne les force pas à écouter quoi que ce soit. On a ça en commun dans la famille, voilà tout.

Je m’accroche à vouloir les faire parler “esprit punk”, et je m’aperçois alors qu’en fait, comme tous les autres intervenants de cet article, ils ont bien du mal à le définir, ou même à être simplement certains de son existence. Mal à l’aise pour répondre, Jean-Luc comprend bien où on veut en venir et coupe là :

Finalement, ce soir, ce qu’on est venus voir en concert, c’est pas vraiment du punk rock. C’est pas des crêteux, c’est pas Exploited, ni les Casualties, quoi… Musicalement ça se ressemble !
Mais tu peux être bourgeois, habiter dans le XVIème et venir ce soir. À l’époque, y’avait vraiment une frontière entre les gens : SDF ou punks à chiens par rapport aux fans de rock, de psychobilly.

“En soirée, on met plus souvent du hip-hop ou de l’electro”.

Le punk aujourd’hui s’éloigne de plus en plus d’un message antifa. Il y a de moins en moins de monde aux concerts de musique revendicative et pour moi, le punk, c’est de la musique de gauche. Aussi, à l’époque, pour écouter la musique, il fallait se pointer aux concerts. Aujourd’hui, tu peux l’écouter de chez toi… ça joue forcément.
Mais tu peux jouer du punk sans le moindre message politique, si musicalement c’est du punk. Je préfère qu’il y ait un message mais je suis capable de kiffer un groupe qui n’en a pas. L’important c’est la musique et le ressenti. À l’inverse, il y a des artistes de variété, de chanson, qui ont des super paroles, mais musicalement, c’est pas possible !

Il faut donc que la musique envoie un minimum, que la batterie tabasse, que les riffs fassent secouer les têtes. Une bonne transition pour discuter pogo, ce grand chaos électrico-organique qui fait tant peur aux non-initiés. Tout doux : pour ses fils, “le pogo c’est juste exprimer ce qu’on ressent, c’est festif, tu partages”. Leur père ne pourrait être plus d’accord : “C’est l’étape au-dessus de taper du pied ou de secouer la tête”. Le pogo, donc, jamais agressif ? “Ah non, non non !”, défend vigoureusement Jean-Paul.
Mais c’est pour ajouter immédiatement : “J’ai déjà fait des pogos où ça se passait très mal, ça arrive. On déteste, on surveille que ça n’arrive pas justement.” Il me raconte que pour que cela se passe mal, en général, c’est que quelqu’un “prend un mauvais coup”. “Mais si tu ne veux pas que ça t’arrive, faut pas te mettre devant, y’a de la place à l’arrière”. CQFD. Le pogo, donc, ni violent, ni “machiste”. Après tout, “au cinéma, tu ne vas pas gueuler sur le type assis devant toi parce qu’il est trop grand !”.

Keupon toujours

Je quitte à regret la joyeuse bande qui s’éparpille avant la fermeture du bar. Il est une heure du matin passé : temps de rentrer, peut-être. Manque de pot, plus de métro. Il me reste quelques deniers en poche à ne pas avoir été avalés par le houblon : je décide donc de rentrer en taxi. Pas hyper punk, mais le chauffeur, du haut de ses 44 ans, se trouve être un type plutôt sympa.
Mieux encore : quand je lui parle du concert que je viens de quitter, il m’affirme :

Le punk, ça n’existe plus. Quand j’étais jeune, la seule musique qui était un petit peu décalée, c’est notre prof d’anglais qui nous l’avait faite découvrir : les Bérurier Noir. À l’époque, en 1983, ils n’étaient pas encore à la mode.
C’était le genre de prof habillé moitié-punk, très light, qui pouvait fumer sa clope pendant le cours : c’était pour nous un geste de rébellion, impensable aujourd’hui. Ils nous faisait écouter ce genre de groupe pour qu’on connaisse autre chose, sans forcément chercher à nous endoctriner.

Décidément, les Sales Majestés avaient sûrement raison : “Keupon un jour, keupon toujours”. À entendre mon pilote de taxi, l’esprit vindicatif des Bérus a été remplacé par une musique… commerciale et sans message :

Les Bérus, ça nous parlait. Ce qui était très intéressant, c’était les paroles sur les pochettes de disque. En les lisant – j’en parle et j’en souris – en ressortait un esprit, aujourd’hui disparu. Il n’y a pas eu d’héritiers. Noir Désir, c’était grand public, plus léger.
Aujourd’hui, on veut un divertissement par l’oreille. On fait une musique avec un son pour plaire au plus de monde possible. Il n’y a plus de textes engagés parce que les artistes ont peur de prendre des risques.

La porte de la voiture claque, le bruit du moteur s’éloigne dans l’obscurité, la rue se fait déserte et je me sens seul avec mes questions. Angoisse. Je me rends compte que je n’ai absolument aucune idée d’une moindre définition du punk. Les paroles de Dédé le marxiste, de Till, de Logan le batteur américain et de ce punk repenti au volant d’un taxi s’entrechoquent dans mon esprit comme les corps désarticulés dans un pogo de Converge.
En fait, une seule chose est certaine : les punks sont partout et parfois, ils n’ont rien à voir entre eux. Il y a donc autant de définitions du punk que de punks eux-mêmes. Et c’est très bien comme ça.