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Le black metal n’est pas une affaire de filles

Le black metal n’est pas une affaire de filles

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Par Théo Chapuis

Publié le

Misanthropo-gynie

Interrogé sur la musique de son groupe Caïna, le musicien Andrew Curtis-Brignell n’hésite pas à tirer au fusil mitrailleur dans les principes qui font du black metal ce genre si contradictoire. Après avoir mitraillé le pseudo-nihilisme lourdaud qu’affichent certains acteurs de la scène, il partage dans un paragraphe son dégoût pour la misérable place qu’on réserve aux femmes dans le metal… et dans le black metal en particulier. Cet extrait vaut des points :

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Apparemment, c’est acceptable d’être une femme dans le metal suivant certains critères étroits. En gros, si tu es attirante et pas trop menaçante. Je trouve ça incroyable que quelques magazines et sites importants aient encore des unes dédiées aux “Filles les plus hot du metal” [coucou Revolver, ndlr]. Vous trouvez ça normal ?

Pour appartenir à la scène musicale qui use souvent de l’image libératrice de Prométhée, Andrew Curtis-Brignell est finalement l’un de ses rares apôtres à aller aussi loin. Pour étayer le fait que les femmes sont encore plus méprisées dans le black metal, il pointe du doigt les commentaires haineux subis par la musicienne derrière le projet Myrkur, dont la première sortie a eu lieu chez Relapse Records à l’automne 2014.

Regardez la réception qui a été faite de l’EP de Myrkur. “Oh, ça a dû être écrit par son petit ami”, selon certaines personnes. Tu te fous de ma gueule ? La culture metal est-elle si terrifiée par les femmes aujourd’hui qu’elle leur enlève tout crédit ? […] Je me considère comme un féministe à 100% et franchement, je n’ai absolument rien à foutre du fait que ça vous fasse ou non plaisir. On va gagner, faut vous y faire.

Si à l’échelle de l’océan de l’actualité musicale, ce fragment d’interview n’est qu’une goutte un peu plus salée que les autres, les propos d’Andrew ont leur importance dans un milieu aussi misogyne que celui dans lequel sa musique s’inscrit. La preuve : les réactions n’ont pas tardé. Sa prise de position lui a valu de se faire attaquer par une partie de la scène. 

Où sont les femmes (dans le black metal) ?

Dayal Patterson est un critique musical anglais, véritable spécialiste du black metal. En 2014, il a sorti Black Metal : Evolution of the Cult, l’un des (rares) ouvrages qui fera date dans la littérature du genre, croyez-moi. Interrogé par nos soins, il émet quelques hypothèses pour légitimer la sous-représentation de la gent féminine chez l’animal métallique :

Je pense que c’est dû à un phénomène d’auto-perpétuation : les femmes ne jouent pas de metal parce qu’il n’y avait pas de femmes qui jouaient du metal. Le punk, de son côté, a toujours essayé de laisser une place plus équitable à l’expression féminine. Mais c’est uniquement parce que nombre de femmes étaient impliquées dans des groupes dès les débuts (Patti Smith, Siouxsie and the Banshees, X Ray Spex, The Slits… etc.).
Selon moi, le fait qu’il y ait si peu d’artistes metal féminines lors des années formatrices du metal (du début des années 70 à la fin des années 80) signifie qu’elles n’étaient pas encouragées à faire le grand saut, de fan à artiste. Aujourd’hui, toutefois, les choses sont différentes.

Du haut de son point de vue déterministe, il n’est pas compliqué d’expliquer l’absence de femmes dans la sous-culture du black metal puisqu’elle a été fondée par des personnages exclusivement masculins, comme les Norvégiens de Mayhem, les Suédois de Bathory ou encore Venom, leurs parrains britanniques, inventeurs du label “Black Metal”. Pourtant, Patterson peut citer quelques femmes importantes pour le genre, dont la Française Marianne Séjourné, bassiste stakhanoviste plus connue sous le pseudonyme Hellsukkubus, ou LSK – qui s’est suicidée en 2013 :

L’exemple le plus remarquable est celui de la regrettée LSK d’Antaeus, membre de Secrets of the Moon, Hell Militia et Vorkreist, parmi d’autres groupes français. Il y a aussi Sarcana, claviériste pour le groupe norvégien Gehenna. D’autres groupes liés au black metal comme Adorior, Amesœurs/Peste Noire, Astarte, Ancient, Cradle of Filth, Darkspace, Darkened Nocturn Slaughtercult, Demonic Christ, Sigh, Seeds of Iblis et celui qui est sans doute le tout premier, Xantotol.

Myrkur, la belle et la bête à la fois

Attardons-nous alors sur Myrkur, l’artiste qu’Andrew Curtis-Brignell, notre black metalleux féministe, évoque dans son interview. Alors que les “one man band” (une formation ne comportant qu’un seul membre) sont légion dans le black metal, Myrkur est, à ma connaissance, l’un des premiers à s’extirper de l’obscurité de l’underground, quelques années après les Américains Leviathan et Xasthur et une éternité après le Norvégien Burzum, à l’aube des années 90.
Pour faire un peu de bruit pour la sortie de son premier EP éponyme, le Relapse Records sortait un court métrage promotionnel – manière inédite d’annoncer un disque pour ce label spécialisé dans le metal extrême. Où l’on discute références artistiques, runes nordiques, savoir mythologique et hurlements dans la forêt. Pour présenter la jeune musicienne, le film montre un personnage délicat et féminin, tout en proclamant son amour pour la bande-son de l’Enfer et ses dangers – “myrkur” signifie “ténèbres” en islandais.
Voyez plutôt.

De la même manière, elle n’a aucun problème avec les réseaux sociaux. Sur Facebook ou Instagram, elle poste tout autant des updates en studio avec des membres de Mayhem, l’un des groupes les plus respectés du genre, que des reprises de ses propres chansons au piano, ou encore du nailart à l’effigie du logo de Myrkur. De quoi trancher avec ce qu’on sait du black jusqu’ici.

“Le black capture la nature gelée de la Scandinavie”

Moins loquace quand on la questionne sur l’absence de femmes dans la scène black metal, la jeune musicienne répond que ce n’est pas à elle, actrice de la scène, d’apporter ses lumières. D’abord elle écarte la question, répondant que “peut-être les femmes ne sont-elles pas attirées par le black metal”. Mais lorsque j’insiste, elle finit par défendre sa chapelle :

Les femmes peuvent produire de la musique aussi extrême et brutale que les hommes. Les voies de Mère nature sont extrêmes elles aussi et cela se reflète dans la féminité.

Le black, Myrkur n’a pas eu à être affublée d’une paire de couilles pour l’aimer d’emblée, directement, après qu’un ami lui en a fait écouter voilà quelques années : “Je pense que le premier album que j’ai écouté est Dark Medieval Times de Satyricon”, explique-t-elle. Un rituel classique par lequel tant d’amateurs du genre sont passés – mâles comme femelles.
Myrkur poursuit :

J’aime la dualité du Black Metal [sic], la brutalité extrême combinée à l’image de la beauté du Nord ancien. Ce genre de musique t’emmène là où peu de gens osent aller à l’intérieur d’eux-mêmes. L’ombre et la lumière. [Le black] capture la nature gelée de la Scandinavie.

Le féminisme pour cible

Devant ce rejet massif de la moindre trace de féminisme, je ne peux m’empêcher de penser à une figure du mouvement tristement célèbre. Même s’il est à la marge aujourd’hui, le musicien Varg Vikernes, aka Burzum, s’est souvent illustré pour ses positions radicales sur la politique et la société. Pour situer, aujourd’hui, Vikernes est un survivaliste d’extrême droite aux idées aussi violentes que bigarrées. Il a fait l’actualité à l’été 2013, lorsqu’il était arrêté pour détention d’armes à feu et “la violence raciste, antisémite et xénophobe de certains de ses messages en anglais sur Internet”, selon le parquet de Paris.
Malgré le peu d’écho que ses propos peuvent rencontrer dans le metal mainstream, il a nombre de paires d’oreilles pour l’écouter, lui qui se définit “contre la franc-maçonnerie, le christianisme, le communisme, le féminisme, le multiculturalisme et autres influences juives en Norvège”. Un combat parmi d’autres, mais un combat tout de même, porté par une frange radicale de la scène du metal noir. Une minorité bruyante, comme on l’aurait appelé sous la quatrième République.
Dans le reportage de Rue89 à visionner par ici, on remarque qu’il a ses fans à l’issue de son audience. Des hommes, pour la majorité, et un “écoute ma belle, ferme ta merde !” proféré par un admirateur à l’adresse de ma consœur qui lui pose une question. Ouais, c’est pas gagné.
Aussi, pourquoi insister auprès de Myrkur ? Dans cette scène aux idéologies immuables, la jeune musicienne souffle un vent frais sur le black, et plane déjà trop haut pour que d’aussi basses critiques la touchent.

Misogynie ordinaire

“Sur les forums, on lit que je chante faux”

Et en France, alors ? On a tenté d’aborder le sujet avec l’une des rares musiciennes de black en Hexagone – sous couvert d’anonymat : si elle a participé à nombre de groupes de metal noir “apolitiques”, elle est également créditée sur les albums d’une formation musicale d’extrême droite radicale. Méfiante quant à l’idée de se livrer à un journaliste, au bout du téléphone, celle qui a “découvert la musique extrême vers 12 ans” campe d’abord dans ses certitudes.
Selon elle, si les femmes sont moins nombreuses dans le black metal, c’est parce que c’est un “genre guerrier”, et “par définition, une femme va être moins guerrière qu’un homme”.  Pourtant passionnée, elle revendique d’y trouver autrement son plaisir dans une sorte de détournement involontaire d’un fameux slogan des sixties : “Plutôt la mélancolie que la guerre”.
Robert Smith, Kurt Cobain, Ian Curtis, Mano Solo… Du propre aveu de notre black metalleuse, ses idoles de jeunesse ne sont “pas spécialement viriles”, même si ce ne sont que des hommes. En grattant bien, elle me cite Kim Gordon de Sonic Youth, Lisa Gerrard de Dead Can Dance, Patti Smith et Diamanda Galas “parce qu’elle est tarée”. Pas une seule metalleuse.
Des femmes qui l’auraient inspirée dans le genre du black metal ? Non, pas vraiment. “Parce qu’il n’y en a pas eu !”, tout simplement, dans son parcours musical. La preuve : même armée de sa relative notoriété dans le milieu du metal noir, elle a cherché d’autres filles avec qui monter un “girls band”… en vain.
Et elle aussi constate toujours la même rengaine amère :

Sur les forums, on lit que je chante faux, on lit qu’il ne devrait pas y avoir de filles dans le milieu, ou bien encore que j’ai couché… etc. Si c’est une meuf, c’est une pute, point ! Aujourd’hui, ça ne m’énerve même plus. Je n’ai rien à prouver.

Aujourd’hui blasée, elle m’explique au bout du fil que la violence du milieu BM est surtout virtuelle, les piques et remarques sur le sexe des musiciennes n’ayant rien à voir avec le milieu RAC qu’elle côtoie, le rock ou metal anti-communiste et/ou raciste, où elle affirme s’être déjà “sentie exclue”. Mais c’est un autre milieu et une tout autre histoire.