Nos batailles : on a rarement vu Romain Duris aussi bouleversant

Nos batailles : on a rarement vu Romain Duris aussi bouleversant

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Deux ans après Keeper, le cinéaste franco-belge Guillaume Senez revient en très grande forme avec Nos batailles, une seconde réalisation dans laquelle il dirige notamment Romain Duris et Lætitia Dosch. Ce drame sensible et inspiré est l’une des sensations de la Semaine de la critique à Cannes.

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Désarmant. Puissant. Touchant. Il faut probablement remonter jusqu’en 2005, année de sortie de De battre mon cœur s’est arrêté, pour retrouver la plus belle prestation à l’écran de Romain Duris. Avec Nos batailles, voilà que le comédien de 43 ans renoue, treize ans plus tard, avec l’Everest de son talent.

Il est la pierre angulaire, le poumon et l’étoile du nouveau long-métrage de Guillaume Senez, remarqué il y a trois ans grâce à Keeper, une œuvre délicate et pertinente sur l’adolescence. Avec la même envie de toucher le réel, le cinéaste offre à son acteur principal un rôle assez rare au sein du paysage cinématographique français : celui de l’époux plaqué.

Duris prend précisément les traits d’Olivier, un employé d’usine qui se saigne aux quatre veines, quotidiennement, pour défendre les intérêts de ses collègues et pallier toutes les injustices auxquelles ils sont confrontés. Son boulot consiste à cimenter les rapports entre les uns et les autres, pour apporter, comme il peut, un peu d’humanité dans un monde du travail violent et destructif.

Et quand il rentre chez lui, tard, il a juste le temps de faire un bisou à ses enfants, déjà presque endormis. Ce qu’il ignore par ailleurs, c’est que son épouse, incarnée par l’épatante Lucie Debay, est à l’article de l’implosion. Fins de mois difficiles, fatigue morale… Bientôt, elle déserte le foyer conjugal, plongeant son conjoint dans la panade.

Une œuvre personnelle

Cette trame prend sa source dans le vécu même de Guillaume Senez. Au moment où il préparait son premier long-métrage, il s’est en effet séparé de la mère de ses enfants. D’un coup, il s’est retrouvé esseulé, face à des responsabilités nouvelles qui ont été fondatrices pour lui, en tant qu’homme et cinéaste.

C’est donc un peu de sa trajectoire qu’il insuffle à celle d’Olivier, un héros tiraillé entre son emploi stressant et les répercussions de la disparition de sa femme sur ses enfants. Romain Duris, dès les premières minutes, bonnet sur la tête, mine épuisée, disparaît instantanément derrière son personnage. Son jeu, d’une économie et d’une subtilité remarquables, rend concrets et palpables les enjeux qui attendent le protagoniste.

Le naturel qu’il projette, tout comme celui de ses partenaires à l’écran, doit tout à une écriture juste, précise, qui ne s’encombre d’aucun gras. Et à une méthode purement loachienne qui consiste à donner les dialogues aux comédiens la veille au soir ou le matin de la prise.

Si Lætitia Dosch, époustouflante dans le rôle de la sœur, connaissait cette méthode pour avoir joué dans Keeper, la démarche a été nouvelle (et payante) pour Romain Duris. C’est en tout cas elle qui donne cette teneur au film, cette tessiture, cette aura si naturelle et infuse. Senez passe ainsi du monde de l’entreprise au domicile familial (amputé de la mère) avec authenticité et harmonie, signifiant les choses et les gens à l’état brut, dans leur littéralité, leur conformité.

Souvenez-vous : dans Mommy de Xavier Dolan, une femme du centre où résidait le jeune héros disait à sa maman : “Madame Després, ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver.” C’est exactement ce qui caractérise les batailles, souvent intimes (ce sont les plus dures), que mènent là Olivier. Comment aider les gens qu’on aime, qui comptent le plus ? Comment se faire comprendre sans blesser le fruit de ses entrailles ?

Il est question ici de se faire entendre, de trouver les mots qu’il faut. Adroitement, Guillaume Senez nous rappelle que c’est souvent la chose la plus ardue du monde. Et quand la parole ne soigne pas, il laisse place au “Paradis blanc” de Michel Berger. Une chanson universelle qui devient l’hymne des personnages, car elle en cristallise l’osmose fragile. Fragile comme la sublime dernière image.