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Nora Hamzawi : “Rien ne me déprime plus que l’absence de second degré”

Nora Hamzawi : “Rien ne me déprime plus que l’absence de second degré”

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Nora Hamzawi, une meuf cool (Crédits : Sylvain Norget)

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Par Théo Chapuis

Publié le

“J’ai eu pendant longtemps ce complexe à la littérature – alors même que j’ai fait des études littéraires. La peur de ne pas comprendre. Je pense que la BD m’a aidé à y reprendre goût”

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Bon et avant la pub, qu’est-ce que vous lisiez comme BD, petite ?
Je lisais Bécassine. Mon frère m’offrait des Tintin mais je ne les lisais pas trop… Pour être honnête, j’ai lu assez tard. J’ai eu pendant longtemps ce complexe à la littérature – alors même que j’ai fait des études littéraires. La peur de ne pas comprendre. Je pense que la BD m’a aidée à y reprendre goût, ainsi que tout ce qui peut empêcher l’abstraction totale, d’ailleurs : la BD, mais aussi le théâtre, la poésie… On m’a bien conseillé de lire des romans “un peu plus descriptifs”, mais bon [rires].
La BD, je m’y suis remise grâce à Jirô Taniguchi, avec son ouvrage Le Gourmet solitaire. Ensuite j’ai découvert Margaux Motin, Pénélope Bagieu, l’univers du blog BD. Je n’ai approfondi ma connaissance du boulot de Pénélope Bagieu qu’il y a deux mois avec Culottées, un bouquin que que j’ai trouvé super. J’ai reçu le tome 2 la semaine dernière.

À lire -> La place des femmes dans la BD : pour en finir avec le syndrome de la Schtroumpfette

“La scène reste ce qu’il y a pour moi de plus beau et de plus satisfaisant : quand on écrit un spectacle, le retour est immédiat et clair”

C’est quoi “avoir 30 ans” aujourd’hui ? Les sites d’info fourmillent d’articles sur les digital natives, plus jeunes ; et par ailleurs à cet âge-là on n’est pas encore tout à fait des vieux cons… Est-ce qu’à trente ans aujourd’hui, on ne se situe pas dans une zone un peu floue ?
C’est ça, on est dans un entre-deux générationnel… Bon, on ne va pas se mentir, on est quand même de plus en plus largués, je le vois avec la vitesse de l’information. Je pense qu’on n’a pas été éduqués avec ça fondamentalement et qu’on est un peu submergés par le rythme. On est tous un peu à deux doigts du burn-out là où je pense que les trentenaires dans dix ans seront bien plus habitués à tout ça. Quand on pense à notre adolescence, on comprend qu’on a vécu une vraie transformation technologique.
Nicole Ferroni, Guillaume Meurice, Sophia Aram, Daniel Morin… Vos collègues abordent tous l’actualité et la politique. Pourquoi pas vous ?
Vous vous demandez comment ça se fait qu’ils ne m’aient pas virée ? [Rires.] C’est juste que ça ne m’intéresse pas. Ou alors dans la sphère privée, mais pour écrire ça ne m’inspire pas du tout. Ce qui m’inspire est souvent basé sur l’autodérision, parce que je suis assez égocentrique. D’abord j’invente la plupart des situations que je raconte, mais en plus j’ai besoin de digérer un sujet pour écrire dessus, donc l’immédiateté ça ne marche pas du tout pour moi. Quand j’étais enceinte, je n’aurais pas pu écrire un spectacle sur la grossesse. Jeune maman, je me braquais dès qu’on parlait de mon enfant, je n’avais aucun second degré ! C’est pour ça que l’actu, je n’y arrive pas : je n’ai pas de recul. Et une fois de plus, je suis un peu inquiète pour notre monde aussi.
La scène reste ce qu’il y a pour moi de plus beau et de plus satisfaisant : quand on écrit un spectacle, le retour est immédiat et clair, il n’y a pas mille interprétations aux réactions du public : c’est un spectacle d’humour, pas une conférence TED, s’ils n’ont pas ri, c’est raté !
Parlons de votre spectacle, et plus particulièrement d’un de vos premiers sketchs, qui aborde d’une manière assez cash… la sodomie. C’est pas un peu chaud pour attaquer un spectacle ?
Il est vrai que c’est difficile d’aborder les gens sur une sodomie. Mais une fois ce moment passé, ça y est, c’est relâché, les gens sont détendus. Ça pourrait être très lourd mais je ne pense pas justement parce que pendant 10 minutes on comprend que je ne suis pas super à l’aise. Mais c’est également dans la nature du personnage de savoir ce qu’on peut dire, ou pas, et quand on peut le dire, ou pas. Ce n’est pas non plus un “effet”, d’ailleurs quand c’est le moment, je suis souvent désolée de le dire… Et en fait là où ça marche le mieux, c’est quand il y a des enfants : plus je suis mal à l’aise et plus ça marche.
Vous faites des vannes sur les filles névrosées et pas sûres d’elles, sur les garçons qui ne se douchent pas et qui boivent des bières en silence entre eux… Est-ce que ce ne sont pas des sujets un peu classiques, tout de même ?
Oh si, si, complètement. C’est sûr que de la manière dont vous le dites, ça sonne plus “cliché” que “classique”, mais je pars du principe que pour que l’écriture soit juste tout du long du spectacle, il faut que je parte du point de vue de mon personnage. Et comme mon personnage est lui-même excessif et névrosé… Elle parle des filles névrosées, mais pour parler d’elle-même : pas bien dans sa peau, besoin d’un contrôle sur tout, plus elle essaye, plus elle rate… Du point de vue du personnage, il n’y a pas de demi-mesure, elle est totalement dans l’excès.
L’autre fois, à la fin du spectacle, un type m’a dit : “Nan c’est pas vrai, parfois on se lave.” En fait, je crois que rien ne me déprime plus que l’absence de second degré. Il a bien fallu que je lui précise qu’évidemment, je grossis le trait. Le point de vue d’une femme sur les hommes peut varier en fonction de son humeur, de ses hormones, de son taux d’alcool dans le corps, de là où elle en est dans sa vie… Tellement de choses influent là-dessus. Quelqu’un qui travaille au théâtre du Point-Virgule m’a fait réfléchir à ça quand il m’a demandé : “Dans quel état es-tu quand tu es sur scène ? Pourquoi tu parles si vite par exemple ?”, et je lui disais “ben j’ai peur que les gens se barrent”. C’est là où je me suis rendu compte qu’elle était vraiment parano et névrosée : elle a peur que les gens se barrent, ou ne rigolent pas. C’est aussi à cause de moi : je ne leur laisse pas le temps de rire. Ce personnage, pour moi, c’est mon état quand je suis dans un syndrome prémenstruel et que je suis de mauvaise foi, énervée… Pour moi, les stand-up doivent donner l’impression que l’on parle de soi, et donc de choses quotidiennes.
Et alors, la suite ?
Il y a déjà le spectacle jusqu’au 1er juillet au théâtre Le République [à Paris, ndlr], et le film de mon frère, ce très gros projet. Puis j’écris le prochain spectacle, qui sera prêt, j’espère, pour septembre 2018.
Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce nouveau spectacle ?
Alors, je ne parle quand même pratiquement que de moi, comme d’habitude, mais j’ai “grandi” et j’aurai également d’autres choses à raconter, ou alors autrement.
Le fait que vous soyez devenue maman, par exemple ?
Ça sera peut-être présent mais très peu, parce que quand les gens me parlent de leur enfant, ça ne m’intéresse pas, donc je ne vois pas pourquoi ça intéresserait le public. C’est un problème quand on commence à avoir beaucoup d’amis avec des enfants. Parce qu’en vrai, les enfants de mes amis, c’est des gens que je ne connais pas et qui ne parlent pas bien, donc ça n’en fait pas des gens très intéressants. Mon fils me passionne mais je n’estime en rien qu’il peut passionner tout le monde.
C’est un peu la suite de l’autre spectacle, avec beaucoup de perception de soi et de difficulté à se positionner par rapport aux autres quand on est adulte. Dans le premier spectacle, j’abordais des sujets hérités d’une vie post-étudiante : son but c’était d’être bonne, de choper un peu, de picoler… Là, par exemple, elle commence à avoir davantage de complexes intellectuels… Ce sont sans doute des étapes normales dans la vie, où on a renoncé à être bonne alors on se dit qu’on peut travailler sur d’autres choses. C’est un peu flou parce que je suis encore en phase d’écriture.
Pour être honnête, j’en suis à la deuxième page.