FRENCHMEN #6 : Roméo Johnny Elvis Kiki Van Laeken, aka Roméo Elvis

FRENCHMEN #6 : Roméo Johnny Elvis Kiki Van Laeken, aka Roméo Elvis

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Par Rachid Majdoub

Publié le

Ils représentent la nouvelle vague du rap français. Freestyles, interviews, photos : de leur style à leur flow, voici les FRENCHMEN, par Konbini. Après Prince Waly, Demi Portion, Siboy, Sofiane et Sianna, une jeune rockstar belge du rap francophone : Roméo Elvis.

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Il fallait bien que Bruxelles arrive aussi dans les #FRENCHMEN. Au-delà des frontières, un seul critère requis : n’avoir sorti aucun album avant 2017.

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Roméo Elvis vient de publier son nouvel EP, deuxième du même nom. “La Morale” que l’on peut tirer de l’histoire d’un tel ovni, c’est que l’un des meilleurs rappeurs (en) français est… une rock star belge. Il chante aussi, et joue des instruments.

Rouflaquettes et bagues collées à la peau, le jeune artiste précoce s’est emparé de notre guitare mal accordée pour une ballade ensoleillée, histoire de souffler un petit vent d’air frais à la mi-saison dans cette série. On est ensuite passés du studio à un coin un peu plus tranquille pour discuter de son parcours depuis sa rencontre avec L’Or du Commun, de sa première scène complètement ratée, de son rapport à Nekfeu, d’art, de chant, de rap, de la bouillante scène belge, d’avenir…

De quoi Roméo Elvis est-il le nom ? Réponse en musique, et en interview un peu plus bas.

FRENCHMEN #6 : Roméo Elvis

C'est dimanche, le soleil brille... comme Roméo Elvis  À la mi-saison des #FRENCHMEN, voici l'ÉPISODE 6 avec une petite ballade (avant l'interview ce soir)

Publié par Konbini sur dimanche 9 avril 2017

Yo Roméo, quel est ton vrai prénom ?

Roméo Johnny Elvis Kiki Van Laeken. Roméo Elvis n’est qu’un raccourci en fait.

Quand et où es-tu né ?

Je suis né en mille neuf cent nonante-deux, soit 1992, à Uccle, dans le sud de Bruxelles. Et je réside maintenant à Forest, dans le sud-ouest de Bruxelles.

Quel est ton crew ?

Le collectif avec qui j’ai évolué et qui m’accompagne en partie sur scène : L’Or du Commun.

L’Or du Commun

Tout est parti d’eux, quand tu assistais à leurs concerts, c’est ça ?

Oui, je venais voir un concert ou deux. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Ils savaient que je faisais du rap aussi. Ils m’ont dit de venir les voir. Dès la première rencontre on a matché, en mode meilleurs potes. On s’est bourré la gueule le premier soir, on a continué pendant une semaine… et, vraiment, j’ai jamais vu ça avec personne.

Je suis devenu pote avec eux, mais tout de suite. Il y en a un dans L’Or du Commun, Swing, c’est mon backeur maintenant. C’est la seule personne que j’ai rencontrée au monde en lui faisant un câlin directement. J’avais déjà rencontré la première partie de L’Or du Commun, et ils m’avaient dit : “Il faut que tu rencontres le dernier gars.” Il a vu qu’on était amenés à être amis, comme si on était faits pour être potes.

C’est vraiment ma team et c’est comme ça que j’ai commencé, car ils m’ont flairé. Et comme ils faisaient déjà des concerts, ils m’ont mis sur scène.

“Je monte sur scène et… je me chie, mais violent”

Tu les as aussi un peu épatés au début : il y a le côté amical mais aussi le musical.

Oui, ils ne me trouvaient pas juste rigolo, ils savaient que j’allais faire le truc. Moi j’avais besoin d’un cadre, d’une équipe avec qui j’allais pouvoir m’exprimer, parce que je faisais ça tout seul chez moi dans ma chambre, avec des vidéos.

Je ne sortais rien, c’était des vidéos Facebook. Je n’avais que des retours Internet, qui peuvent être tranchants et pas objectifs. J’avais envie que les gens comprennent et prennent le truc. Je sentais qu’il y avait moyen que ça accroche.

C’était à quel moment ? 

C’était la période de “Singe fume sa cigarette”, et je n’avais pas encore rencontré L’Or du Commun. Mais je me rappelle que c’est ce que je saignais avec Caba’ [Caballero, ndlr] et Lomepal. Il y avait ce genre d’équipe qui se créait.

En plus, il y avait les Belges qui rencontraient les Français. Et moi j’ai rencontré L’Or du Commun, puis ça a commencé…

Et tu gardes aussi ce côté loup solitaire dans ce milieu…

Oui, parce que c’est dur de s’imposer dans un groupe déjà construit. J’ai jamais été un membre à part de L’Or du Commun, et c’était clair des deux côtés : “On est une équipe, on est quatre et on ne va pas changer”, ils me disaient.

Je suis donc resté à part de ça, mais j’ai tout le temps eu la chance d’être exposé à leurs côtés, donc ça m’a donné un gros coup de pouce. J’ai directement pris goût à ça et me suis vite rendu compte que c’est ça qui me plaisait là-dedans. Parce que j’avais commencé à apprendre seul, plutôt de manière autodidacte. Et là je trouvais une équipe, la cohésion qui va avec, et tout.

“Je suis beaucoup plus libéral que socialiste, niveau musique”

Mais je suis largement plus un loup solitaire qu’un mec d’équipe, pour le coup. Dans la formation, je suis beaucoup plus libéral que socialiste, niveau musique, mais c’est exceptionnel.

Tu te souviens de ta toute première scène ?

Oui, bien sûr. J’étais seul, il y avait L’Or du Commun dans la salle, qui avait joué un peu avant. Je le dis maintenant en toute pudeur et parce que c’est drôle, mais la première fois que je les ai vus, je ne les ai pas sentis : “Ça c’est pas mon style, les mecs à l’ancienne, trop rapides, trop nerveux…”

Puis je monte sur scène et… je me chie, mais violent. C’était un open mic, j’avais séché l’internat, c’était toute une histoire pour faire ce truc.

Il y avait Krisy aussi. De La Fuentes, c’est le premier rappeur que j’ai rencontré avant L’Or du Commun. Et le gars était là avec son équipe. Il voyait que je galérais, mais il m’encourageait : c’est le premier qui m’a donné de la force. Je suis descendu de scène, j’ai bu, et en remontant… j’étais bourré et j’ai géré. J’étais fier.

C’est le trac qui te bloquait ?

Non, non, c’est la prod, c’était de la malchance. Parce que tu te vois arriver sur une prod de merde, avec un flow de merde… alors que la prod suivante était trop bien.

Dans ma tête, j’étais tellement sûr que j’allais les impressionner, parce que j’avais ce truc vraiment bon, que c’était impardonnable de me rater. Ça ne voulait pas dire que j’étais mauvais, ça voulait dire qu’il s’était passé quelque chose de mauvais et qu’il fallait que je remonte. J’étais obsédé par ce truc : faire mes preuves.

Tu es vite remonté, ça va.

Oui, il ne fallait pas que je parte sur une défaite, parce que sinon je n’aurais peut-être jamais fait de rap.

À ce moment-là, tu rappais depuis un moment de ton côté ?

Un peu moins d’un an, j’ai commencé fin 2011. J’étais en 5e [du système éducatif belge, ndlr], j’allais passer en terminale rhétorique… J’avais 19 ans.

Ça allait les cours ?

Oui, très objectivement. J’ai recommencé une année parce que j’étais de fin d’année, donc un peu en décalage avec les autres. Et puis j’ai redoublé une fois bien comme il fallait, je me suis fait virer et tout, mais à partir de là j’ai terminé Saint-Luc avec une grande distinction et j’ai fini mes études supérieures en trois ans.

Ça s’est toujours passé comme ça, la tête hors de l’eau à la dernière minute. Ma mère dit toujours que j’ai quand même galéré, mais objectivement j’ai redoublé qu’une fois.

“Le rap est un domaine artistique”

Quand on voit aujourd’hui le chemin parcouru, et ton nouvel EP, Morale 2, tu t’ouvres toujours plus musicalement.  

Oui c’est ça. Dans “Drôle de question” par exemple, je parle de déclarations un peu pathétiques. Tu comprends que le mec raconte n’importe quoi. Ce n’est plus du rap, ça s’élargit.

Comment as-tu as forgé tout ça ?

J’ai toujours écouté, à la base, des fins lyricistes, donc j’avais un souci du détail dans les paroles et dans la structure. J’ai toujours beaucoup travaillé la structure du truc, ça rime toujours à un moment ou à un autre. Je travaille à la fois le sens et le squelette de ma musique. Ça, c’est quelque chose que j’ai toujours dans mon rap, la forme est très importante pour moi. Le fait que ça rebondisse, que ce soit clair, esthétique.

Tu n’hésites pas à élargir ta palette artistique, en passant du rap au chant, de la ballade guitare-voix à un univers plus sombre. Tu t’aventures dans plusieurs domaines…

Mon exercice, c’est de tâter des choses et de montrer que je sais aussi faire ça. Je trouve ça cheap un mec qui veut gérer un domaine, et qui s’aventure dans un autre truc et le foire. Je trouve ça lamentable. Alors qu’un mec qui fait ça bien, ça m’impressionne.

“J’aime beaucoup le milieu du stand-up et la comédie, que j’aimerais plus tard approcher”

Quand j’étais petit, dans mon école de bourgeois, de fils prodiges sportifs, il y avait un mec qui maintenant joue en école nationale de hockey, un autre qui fait du foot en pro… Ces mecs-là, quand ils étaient en foot, ils géraient le football, le volley, peu importe, ils géraient tous les trucs autour. Et moi c’était dans l’art, car le rap est un domaine artistique, et j’ai été amené à faire d’autres choses avant le rap, comme dessiner, apprendre le piano, la guitare…

Tu te verrais bien faire autre chose que rappeur ?

Il y a plein de domaines qui m’intéressent. J’aime beaucoup le milieu du stand-up et la comédie. Que j’aimerais plus tard approcher. Pas forcément par moi-même, mais j’ai plein d’idées en tête. Mon objectif, c’est qu’on me considère à terme comme plus qu’un rappeur.

Je suis content d’avoir un modèle d’exposition, le rap, et de montrer d’autres choses. D’aller le plus loin possible dans les ramifications du rap et de casser les codes. Je fais “Tu vas glisser”, sur un truc trap, mais je garde mes cheveux lisses. Il y a un côté où tu ne sais pas comment je suis habillé, tu te demandes s’il n’y a pas un côté foutage de gueule : “Est-ce qu’il se prend au sérieux ?”

“J’ai du doute dans ce que je fais”

Je laisse toujours une illusion. Moi-même je ne suis pas totalement maître de ce que je fais. J’ai du doute dans ce que je fais. Le serpent dans mon clip, ce n’était pas prévu de base. Je me suis dit, la veille, que ça pourrait être drôle et des gens me disent [il prend une voix grave] : “Ouais, c’est la valeur symbolique qui montre que tu critiques un peu tout ce domaine industriel.”

Tu es un peu un personnage extraterrestre. Un personnage dont on ne sait parfois pas s’il fait preuve d’un léger second degré dans son attitude.

C’est ça : si tu suis mes paroles, c’est fiable. C’est plus la manière de mettre en scène le truc. En tout cas, mon objectif, c’est de continuer à montrer que je suis plus qu’un rappeur. Je ne veux pas crier sur tous les toits que je suis un rappeur, et que ça sonne faux.

À un moment, avec “Bruxelles arrive”, je me suis un peu amusé avec tout ça. On en a discuté avec Caba’, il m’a dit : voitures, filles, bling-bling… Il voulait partir dans le cliché à fond. J’ai réfléchi une minute, en me disant que je ne suis pas comme ça. Et je me suis dit que les gens le savaient. Et pour ceux qui me découvriront avec ça, bah tant pis, ça fera son effet.

En fait, c’est “Bruxelles arrive” qui m’a permis de me décomplexer.

L’EP Morale, en est l’exemple type. 

C’est ça. Et pour Morale [sorti en 2016, ndlr], je me suis aussi inspiré d’un morceau de Nekfeu, “Égérie”, qui m’avait beaucoup touché à l’époque. Je dirais plutôt que je me suis plus senti de ce domaine-là, plutôt qu’inspiré… parce qu’après, on va repartir dans ce truc des Inrocks, “Roméo Nekfeu belge”. J’ai quand même une certaine admiration pour Nekfeu, donc je ne peux pas nier que ça me parle. Mais c’est tout.

“Ma soeur me dit que je suis nazi envers moi-même”

Clairement, surtout que t’es plus chanteur que Nekfeu. 

[Rires] Mon père est chanteur, ma mère est comédienne, ma sœur chante : on était le cinquième juge à la Star Academy et on était très critique, parce qu’on sait ce que c’est de chanter juste. Savoir ce que c’est, ça ne veut pas dire que je peux le faire, mais j’ai la notion de ce qu’est la musique de qualité.

Et ça a été difficile pour moi de chanter au début, car je ne chante pas aussi bien que ma sœur ou mon père. Du coup, j’étais un peu trop critique et je faisais venir ma sœur au studio. Parfois je lui disais : “T’as vu c’est faux.” Elle me répondait : “Non non.” J’ai toujours besoin de l’approbation de ma sœur, qui chante mieux que moi. Elle me dit que je suis nazi envers moi-même.

C’est peut-être aussi une question de confiance en soi.

Oui, peut-être que j’en ai encore besoin, à ce niveau-là. Je n’ai pas assez d’expérience dans le chant. Je suis très exigeant, et pour voir les choses de manière symbolique, j’avais déjà les outils au vu du domaine duquel je viens. Le diamant est dans la pierre, et ce qui est cool, c’est que maintenant j’ai trouvé des outils en plus pour enfin accéder à cette pièce personnelle, propre à moi. Le chant, c’est un outil de plus que je n’avais pas avant.

Niveau visuel aussi, tu travailles pas mal là-dessus.

C’est vrai que ça rentre en jeu. Par exemple, à l’école, j’ai fait de la photographie axée sur le reportage, où j’ai fini diplômé. Donc j’ai une certaine attente par rapport à l’esthétique aussi, un regard assez exigeant et critique envers ça. Le Motel, qui travaille avec moi, est aussi graphiste, c’est lui qui a fait la charte graphique de Morale 2

On a les outils, il suffit juste de savoir comment les utiliser. En toute modestie, je sais à peu près chanter donc je dois savoir pousser ça au bon endroit. Je sais faire des paroles sensées, je sais être un peu engagé mais je sais rester léger.

Bruxelles arrive

Sans transition, je sais que tu n’aimes pas trop qu’on parle de “rap français”.

C’est parce qu’on ne dit pas beaucoup “rap belge” , entre nous, du coup on a du mal à faire la distinction entre le rap français et le rap belge en Belgique.

Rap EN français, ou francophone, c’est mieux non ? 

Oui [rires]. C’est la langue qui compte pour moi. C’est plus la finition que la nationalité. Même si j’ai pas de problème à dire d’où je viens, je le dis dans mes textes parfois. Avant, je chipotais, mais avec du recul c’est vraiment pas très important pour moi.

Tu deviens l’un des moteurs d’une scène belge mega chaude. Comment vois-tu son évolution ? 

J’ai peur que ça devienne une hype. Le problème c’est qu’une hype, ça a une fin. La hype elle commence à un endroit, elle arrive à son point culminant et elle chute. Des gars comme Damso, Caballero, JeanJass, et moi pour me citer en dernier et faire le mec humble, on a trop de talent pour que ce soit une hype.

Ça va durer, on va continuer à faire du bon son, j’espère. En soi, il n’y a pas de souci à se poser. Tant que tu fais de la bonne musique, tu peux arriver sur un buzz. Je doute que Christine and The Queens fasse une chute monstrueuse du jour au lendemain.

J’ai l’impression que vous êtes assez soudés. Comme en France il y a dix ans. 

De la mif’ il y en a forcément, on se connaît tous. On est tous dans la  même boîte finalement, donc on a appris à se relayer. La première partie de l’un, le concert avec l’autre… Il est impossible de ne pas se connaître ou de se prendre la tête. Et il y a tellement peu de personnes comparé à la France. Déjà, tout se passe à Bruxelles, même pas dans plusieurs villes, donc il n’y a pas de rivalité entre les rappeurs de telle ou telle ville.

La démarche commence parce que j’étais vraiment fan de Caba’, et on finit par être potes car on est toujours l’un à côté de l’autre. On est maintenant “collègues”, on fait des scènes ensemble, ça se fait très naturellement. Même avec La Smala, avec qui je n’ai aucun atome crochu musical pour autant, on se respecte mutuellement.

C’est quoi le prochain step, pour toi ? Selon moi, 2017 c’est l’année de la confirmation, avant l’explosion. 

C’est ça, tout reste à confirmer. La France, c’est un grand territoire comparé à nous. Et quand je regarde l’affiche de concerts qui m’attendent, j’ai l’impression qu’on va faire toute la France. On a la moitié des dates en France. Alors que dans le quart des grosses villes, on n’a jamais joué. Mon objectif ne se renouvellera pas l’année prochaine, en termes de scènes, il faut juste en faire plus, occuper le plus de territoire possible. Les plus grosses salles. Pour le moment, je n’ai fait que les petites salles…

Morale 2 est en fin de compte un EP. Donc quand j’aurai sorti mon album, et que je serai confortablement assis sur ma réputation, mon trône, c’est là que je veux flinguer des gens. C’est là que je veux faire un carton, sans faire de mauvais jeux de mots.

Rendez-vous demain soir pour le septième épisode des FRENCHMEN.

Une série dédiée à Polo, force et courage. <3

Crédits :

  • Auteur du projet et journaliste : Rachid Majdoub
  • Direction artistique : Arthur King, Benjamin Marius Petit, Terence Mili
  • Photos : Benjamin Marius Petit
  • Vidéo (cadrage, montage) : Paul ‘Polo’ Bled, Mathias Holst, Simon Meheust, Redouane Boujdi, Adrian Platon, Maxime Touitou, Fanny
  • Son : Manuel Lormel
  • Remerciements : à tous les rappeurs ayant accepté de participer et à leurs équipes, à la team Konbini ayant aidé de près ou de loin, Lucille, Florent Muset, les attachés de presse cools, Julien Choquet pour la disponibilité de son enregistreur audio, Thomazi pour sa petite enceinte Supreme, XXL Magazine…