Mon rendez-vous manqué avec Freddie Gibbs

Mon rendez-vous manqué avec Freddie Gibbs

photo de profil

Par Tomas Statius

Publié le

Le début : les pieds à Lille, le coeur à Gary

Freddie, je voulais d’abord te dire que je me souviens exactement du moment où je suis tombé sur toi. C’était en 2012, à Lille, il faisait chaud et je remplissais mon ennui par le visionnage compulsif de The Wire. Stringer, D’Angelo, Avon et Mc Nulty partageaient mon intimité, tout affalé que j’étais sur mon canapé, fenêtre ouverte sur la ville.
Et à l’époque, je ne me l’explique pas vraiment, mais ton nom se promenait un peu partout sur ma timeline Facebook. On disait que tu étais le rappeur le plus talentueux – mais également le moins reconnu – de ces dernières années. Entre nous, je dois dire que ça n’a pas vraiment changé.

À voir aussi sur Konbini

[iframe width=”807″ height=”454″ src=”//www.youtube.com/embed/Egf2j73UmBA” frameborder=”0″ allowfullscreen ]

“I’m from the ghetto, the ghetto, ghetto” 

Tu rappes comme tu es, Freddie, comme un mec du ghetto qui n’essaie pas de travestir ses “noirs” instincts. C’est que j’ai instantanément aimé chez toi, cette brutalité. Je me souviens avoir récemment lu quelque chose dans ce goût à propos de Piñata, l’album que tu sors cette année avec Madlib. 

Un point sur lequel tu revenais au cours de la courte interview :

Piñata est comme la bande-son de ce qui se passe dans ma vie. Je sais que ça sonne cliché parce que beaucoup de rappeurs le disent, mais c’est vraiment l’idée.

Cet album offre un tableau fidèle des contradictions que tu vis. Entre une volonté de repentance (exprimée à de nombreuses reprises sur le disque) et l’impossibilité de reconnaître tes torts par peur de te montrer faible. C’est insondable comme dilemne, c’est beau comme un huis clos, comme un chiasme. Piñata raconte cette histoire. Et pour la mettre en musique, tu n’as pas travaillé avec le plus mauvais des producteurs.

Dream Team :  Freddie Gibbs x Madlib

Nous avons des amis en commun, ça a été assez simple finalement. Nous respectons le travail de l’un et de l’autre. Donc ça a été assez naturel de faire quelque chose tous les deux. Il m’a envoyé beaucoup de beats et nous avons travaillé dessus en studio.

[iframe width=”807″ height=”454″ src=”//www.youtube.com/embed/vbxcPy1qJTU” frameborder=”0″ allowfullscreen ]

“Critically acclaimed but that shit don’t mean a thing” 

Freddie, l’oxymore musical que tu formes avec l’archéologue du son atteint son sommet sur Piñata. Des sonorités minérales de “Thuggin'” à la majesté de “Uno”, ton titre préféré. Je te comprends quand tu dis en aimer le résultat :

C’est difficile de satisfaire tout le monde mais je pense que ce sera quelque chose qui va durer : un album “clé”, un des ces disques classiques qui restera pour longtemps […]. Travailler avec Madlib, c’était quelque chose de spécial. Chacun a son artiste avec qui il voudrait collaborer. Pour moi, c’était lui.

Cette entente parfaite et ce respect se ressentent sur l’album. Pourtant, bosser avec Madlib c’est quelque chose. Tu le sais bien :

C’était assez difficile au début de rapper sur des beats de Madlib. C’est un peu comme rassembler les pièces d’un puzzle, si tu veux. Mais bon, je pense que j’ai plutôt bien réussi. C’était quelque chose d’assez symbolique pour moi.

Puis il y a cette pléthore de featurings (Danny Brown, Ab-Soul, Earl Sweatshirt, Raekwon, Domo Genesis, etc.), tous plus alléchants les uns que les autres. D’après ce que j’ai cru comprendre, tu les as voulus sur ton disque ces mecs là non ?

Oui. Et parmi eux, Scarface est mon featuring préféré.

Bon, c’est une habitude que tu as prise, de travailler avec plein de gars différents (de la folk de ZZ Ward à la musique électronique avec Flume), d’être partout. On ne s’en étonne plus vraiment. Mais c’est aussi pour ça que Piñata est un disque si fort : parce qu’il capture l’esprit du temps.
Piñata c’est un album fou, un totem, un truc devant lequel on tremble et à l’écoute duquel on ressent le mysticisme. Je te l’ai un peu dit pour conclure l’interview, je ne sais toujours pas si tu m’as entendu… 

Épilogue : l’adieu à Gibbs

On n’a pas parlé que musique pendant ce tout petit quart-d’heure. On a aussi évoqué l’indépendance que tu revendiques dans le milieu musical, seule manière selon toi de continuer à créer librement; la scène Drill (tu as bossé avec Young Chop sur le titre “Deuces”) et puis le ciné.

Parce que c’est un truc à interroger pour un gars qui cite Ice Cube à tout va et qui n’a de cesse de crier son envie de faire ses premiers pas sur grand écran. Je me souviens précisément de ce que tu en disais. Et quel réalisateur a une place de choix dans ton coeur :

J’aime les films de gangsta mec… J’essaie de faire de la musique qui pourrait être un film de gangsters en quelque sorte, des films de Martin Scorcese qui se transforment en musique.  

[iframe width=”807″ height=”454″ src=”//www.youtube.com/embed/4zjcFR3fM2w” frameborder=”0″ allowfullscreen ]

 “Young Chop on The Beat”, Freddie Gibbs – “Deuces” (extrait de l’album ESGN) 

Après ça tu m’as dit que t’aspirais uniquement au premier rôle, rien d’autre, et je dois dire qu’on s’en doutait un peu. On a échangé des propos convenus sur Internet, passage obligé pour un mec qui n’est pas signé et qui se fait entrepreneur de sa musique, comme sur ton prochain projet Eastside Slim annoncé pour 2014. Puis on s’est dit au revoir.

Un peu tristement pour ma part. À bientôt Freddie Gibbs.