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Drake dans la vraie vie

Drake dans la vraie vie

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Par Ulyces

Publié le

Une semaine dans la vie du rappeur canadien, entre son concert au Coachella Festival et la préparation de son nouvel abum attendu.

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Je reçois un message de Drake à 00:34.

“Tu fous quoi ? Viens chez moi”.

“The Boy” – comme l’appellent la plupart de ceux qui l’entourent – organise une fête ce soir. Le garde à l’entrée du quartier de Hidden Hills où il réside m’informe que Drake a atteint sa limite d’invités pour la soirée. Même avec une invitation, l’accès à sa demeure demande des efforts.

“Meeerde. Mec, je viens te chercher”.

Quelques secondes plus tard, une Escalade noire aux vitres teintées arrive au portail. Le chauffeur baisse la vitre et scande mon nom.

Le 4×4 me conduit jusqu’à l’entrée de la propriété de Drake et s’arrête dans la cour. J’aperçois un terrain de basketball, des voitures étrangères parquées dans un garage et une foule de jeunes femmes qui font la queue devant une porte latérale. Elles attendent de faire contrôler leurs téléphones par la sécurité. Je sors du véhicule et m’apprête à faire de même quand un agent m’appelle et m’escorte jusque dans la maison, dépassant la file.

Je grimpe une volée de marches qui mènent à la cuisine. L’intérieur affiche des teintes de terre chaude et fait la part belle aux boiseries. Sous l’éclairage au néon, le rouge ressemble à de l’orange et le bleu à du violet. Drake est juste là, posté dans le coin de la cuisine. Il porte un survêtement OVO rouge, avec un hibou couleur d’or brodé sur le cœur. 40, Chubbs, OB O’Brien, Ryan… toutes les célébrités associées de près ou de loin à la marque sont dans les parages.

Drake me salue comme si on se connaissait depuis dix ans. Ici, c’est un soir de semaine comme les autres, mais les victuailles étalées sur le comptoir font plutôt penser au buffet de fête de fin d’année d’une entreprise du Fortune 500. Raekwon est posé près de la table où est entreposée la nourriture, occupé à rouler un joint. Alors que Drake est entouré de ses amis, l’ambiance m’évoque la scène des Affranchis dans laquelle Joe Pesci fait marcher Ray Liotta. Les rires fusent par intermittence. Drake a beau rapper : “Je n’ai pas passé de bon moment depuis bien longtemps “ (“I haven’t had a good time in a long time”), ce n’est pas l’impression qu’on a en le voyant ce soir.

Il propose de m’offrir un verre et nous passons dans l’autre pièce, que nous traversons pour rejoindre le bar. L’énergie de l’endroit suit Drake à la trace. C’est lui, l’énergie. Dans son sillage, les gens sont ostensiblement excités lorsqu’il passe devant eux. Sa présence ne passe jamais inaperçue. On veille à ce que tous ses désirs soient comblés. Cette nuit donne un tout autre sens à sa punchline : “J’utilise un talkie-walkie pour qu’on m’apporte un rafraîchissement” (“I use a walkie-talkie just to get a beverage”). Drake est le patron.

On passe derrière le bar où nous discutons un petit moment – environ 20 minutes. C’est une éternité dans le monde de Drake, où il ne se passe pas un instant sans que quelqu’un tente d’attirer son attention. Il y a des affaires à gérer. Il y a des gens à rencontrer. Il y a des femmes qui s’attardent à quelques pas et guettent le moindre temps mort dans la conversation pour se planter devant lui et se présenter, même s’ils sont rares. Je sirote un Jack Daniel’s on the rocks. Drake boit une bière. Je crois que c’est une Lagunitas IPA, je n’en suis pas certain. Le fait est qu’il y va tranquille. On ne siffle pas des flûtes de Dom Pérignon, bien que plusieurs bouteilles du fameux nectar soient alignées sur les étagères de son bar.

“Si Kanye n’était pas en Arménie, il serait là ce soir. Il passe me voir tout le temps. Il vient de s’acheter une baraque, à genre cinq maisons de la mienne”.

La dernière fois que je suis allé à Coachella, j’y ai vu Kanye. C’était il y a quatre ans. Sa prestation est devenue légendaire depuis. Yeezy portait une blouse Céline, il a littéralement détruit le festival et a donné l’un des meilleurs concerts de sa carrière. On attend de Drake qu’il fasse précisément la même chose ce week-end, puisqu’il occupe actuellement la place de numéro un que détenait Kanye en 2011. La pression se fait sentir. Son show à Coachella a lieu dans quatre jours. Tout le monde attend de ce concert qu’il soit le meilleur de sa carrière.

Récemment, j’ai beaucoup revu le concert de Nirvana à Reading en 1992. Celui où Kurt entre sur scène dans un fauteuil roulant, vêtu d’une blouse d’hôpital et d’une perruque. Drake aussi est fan de ce concert. Je lui dis que son passage à Coachella doit être du même niveau. Obligé. Ce sera quoi son hologramme de 2Pac à lui ?

“On fait venir Madonna”.

Son excitation est palpable. Ses gestes transpirent la confiance lorsqu’il me fait part de la nouvelle. Je fais partie des douze personnes qui aiment encore Madonna, aussi j’ai l’impression que c’est une super idée.

J’imagine qu’on doit ressentir la même chose en passant du temps à la résidence de Drake aujourd’hui que ce qu’on ressentait au Neverland Ranch en 1991. Comme Michael Jackson cette année-là, Drake travaille sur son huitième projet musical, Views From The 6. La paranoïa larvée dans son récent album If You’re Reading This It’s Too Late est peut-être l’indice que Drake sait qu’il est à un carrefour décisif pour sa carrière. Il a atteint un tel niveau de célébrité que l’enthousiasme automatique du public pour ses productions peut se transformer en lassitude en moins de deux.

Pour éviter le retour de flamme, son prochain album doit être l’occasion pour lui d’un nouveau départ, de rompre avec le son qui l’a porté aux nues. Jackson se trouvait dans une posture similaire lorsqu’il s’est tourné vers le hip-hop et le swing new jack sur Dangerous. Drake en est parfaitement conscient lorsqu’il rappe, sur le morceau “No Tellin” de Too Late : “Il fallait que je vous prenne à contre-pied, les choses devenaient trop prévisibles” (“I had to switch the flow up on you niggas, shit was getting too predictable”).

La conversation dévie vers son prochain album, le quatrième. Pour l’instant, il n’aime que deux morceaux entre tous ceux qu’il a enregistrés. L’un est une collaboration avec Beyoncé qu’il a sortie il y a un moment déjà. L’autre est une chanson dont il espère qu’elle inspirera le renouveau. Le temps où il sortait des sons que tout le monde aimait instantanément est révolu. Pour l’instant.

Drake a d’impossibles attentes à combler, avec Coachella et la sortie de son nouvel album.

Views From The 6 doit choquer l’auditeur autant qu’il doit l’impressionner. Je le compare à ce que Kanye a fait sur son quatrième album, 808s & Heartbeark. Drake est d’accord avec moi et, pour appuyer davantage cet aspect, il me confie que Boi-1da lui a dit qu’il avait encore besoin de réécouter le morceau en question avant de pouvoir dire s’il l’aimait ou pas. Il semble que Drake soit prêt à se passer de sa formule gagnante pour expérimenter un peu.

Le reste de la nuit est flou. On parle de son Jungle Tour et du fait qu’on n’appelle pas assez souvent nos mamans. À un moment, je suis debout sur son piano à rapper le premier couplet d’ “Energy”. Winnie Harlow approuve. Pas les types de la sécu.

Drake a d’impossibles attentes à combler, avec Coachella dans quelques jours et la sortie de son nouvel album prévue quelques mois plus tard, mais malgré cela je ne le sens pas agité. Partout dans la maison, d’énormes enceintes diffusent en boucle des morceaux de Future et Rae Sremmurd, et pratiquement tous les titres d’If You’re Reading This It’s Too Late ainsi que quelques inédits.

Observer un artiste alors qu’on passe sa propre musique est quelque chose de fascinant. À certains moments, il rappe par-dessus comme si un feu brûlait en lui. À d’autres, il semble l’ignorer. Je regarde Drake La Personne en même temps que j’écoute Drake Le Rappeur. Si honnête soit-il dans sa musique, il est difficile de dire où finit l’un et où commence l’autre – s’il y a bien une différence entre les deux personnalités.

C’est, plus que toute autre chose, ce qui fait de Drake le plus actuel des rappeurs. Il est l’incarnation du dilemme de la personne que vous présentez au monde et de la personne que vous êtes réellement, dans votre tête. Le type qui déambule pour saluer poliment tout le monde à sa soirée est le même qui trépigne d’impatience à l’idée d’essayer son nouveau Beretta.

Et soudain, il est cinq heures du mat’. Dans quelques heures, je dois aller écrire du contenu pour une start-up à plusieurs milliards de dollars de Culver City. Après le boulot, je passe à la boutique OVO de l’espace Undefeated, sur La Brea, où j’achète un chapeau. Drake est à Indio, il fait les balances pour son concert de Coachella. Plus tard ce soir-là, je lui envoie un message en lui disant d’écouter « Broke Boi », de Playboi Carti, avant de m’évanouir sur un canapé

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L’intégralité de cet article écrit par Ernest Baker est disponible sur Ulyces, notre partenaire. Ulyces est un magazine qui publie des enquêtes, des grands reportages et des interviews exclusives (vous pouvez les acheter à l’unité ou vous abonner). Cet article a été traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article “Drake in Real Life”, paru dans Four Pins. Retrouvez sur Ulyces d’autres articles sur le monde du hip-hop.