Disiz : en toute franchise pour la sortie d’Extra-Lucide

Disiz : en toute franchise pour la sortie d’Extra-Lucide

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Par Louis Lepron

Publié le

Mercredi 10 octobre à 19h, un petit groupe de personnes attend devant un immeuble au 80 Rue Traversière. Ce soir là, c’est Disiz qui régale : avec une quinzaine de blogueurs et de journalistes, on est allé écouter son septième album intitulé Extra-Lucide. Les featurings avec Orelsan et Mac Miller, la production ou encore le rap game entre Rohff et Booba, Disiz en a profité pour répondre à nos questions.

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Autour d’une immense console, les journalistes et blogueurs invités prennent place sur les sièges et les canapés. Disiz, peu enclin a faire un discours, nous conseille juste d’éteindre nos portables par “respect”. Il nous laisse dans les mains de son album Extra-Lucide, face à deux énormes baffles. L’écoute terminée, le rappeur revient pour répondre aux questions de l’audience.

Les featurings et les productions

Comment se sont déroulées les collaborations ?

Oxmo Puccino et Youssoupha auraient dû collaborer sur l’album mais on n’a pas pu s’entendre pour des questions d’agenda.

“Orelsan est quelqu’un qui prend du temps pour écrire”

Orelsan est présent sur la track Go Go Gadget. Comment ça s’est organisé ?

Orelsan, ça faisait longtemps que je le connaissais artistiquement. Au delà de la polémique qu’il y a eu autour de Saint-Valentin et de Sale Pute, je sentais qu’il y avait de l’antipathie autour de lui. Mais je trouvais qu’il kickait bien. Je l’ai appelé, il a accepté. La deuxième partie a été plus compliquée : Orelsan est quelqu’un qui prend du temps pour écrire, alors que je suis plus dans l’énergie et dans l’émulation du studio. Ça a donc été des allers-retour incessants à s’envoyer des idées et des bouts de compositions. Puis Go Go Gadget, un morceau qui n’aurait pas dû être sur Extra-Lucide, est sorti. Je ne prévoyais pas de le mettre sur l’album, mais Orelsan l’a beaucoup aimé. On a commencé comme ça.

Et Mac Miller ?

C’est lui qui est venu vers moi lorsqu’il a voulu faire un featuring par pays pour la sortie de son album Blue Slide Park en Europe. Au fil des rencontres, et en juste retour des choses, j’ai demandé à Mac Miller de venir rapper sur Toussa Toussa. Pourquoi une nouvelle version ? Parce que j’avais enregistré Toussa Toussa rapidement en studio et j’avais quelques regrets, comme celui de rajouter un troisième couplet. Je lui ai envoyé le truc, il a posé, et c’était fait.

Pourquoi 20 chansons ? C’est beaucoup.

C’est un disque rempli à ras bord parce que j’ai vécu ce qu’on appelle un “printemps artistique”, une décharge d’inspiration. Et plutôt que d’attendre, je me suis dit que j’allais tout donner.

Les productions sont à la fois variées et cohérentes. Comment tu l’expliques ?

C’est la première fois que je faisais un disque comme ça. En rap, t’envoies un mail à tous les producteurs du moment que tu connais et puis tu essaies tant bien que mal de mélanger la production d’untel avec untel. Je suis donc passé par là. Mais sur une production, par exemple, je n’ai aimé que le kick de batterie et j’ai demandé les pistes séparées. Dans une autre, j’ai bien aimé le clavier. Le disque, au deux tiers, s’est ainsi composé de cette manière. Pour la cohérence, j’ai travaillé avec un ingénieur du son  qui m’a permis d’avoir une véritable vue d’ensemble sur mon travail.

“Se laisser pousser les cheveux et assumer de chanter : après, t’es tranquille”

Est-ce que c’est un disque produit pour la scène ?

C’est un disque totalement de scène. A chaque étape du disque, pour chaque morceau, je me projetais sur la scène en me demandant si ça allait fonctionner. La grosse différence avec les anciens projets, elle ne se place pas là, mais sur le fait que je me suis fait vraiment confiance grâce à mon passage en tant que Peter Punk : il m’a énormément apporter. Se laisser pousser les cheveux et assumer de chanter : après, t’es tranquille. Avant, je ne pensais pas à la scène quand je composais.

Sur le premier album, je voulais être le meilleur rappeur de la planète. Sur le deuxième, je voulais avoir le plus de fond. Là, ce sont des choses que je n’ai pas apportées dans le processus du studio : je ne me suis pas mis la pression. C’est pour ça que j’ai réussi à faire ce que je voulais faire. Dans les autres disques, j’étais encore dans l’essai.

Quand je suis retourné dans le milieu du rap, j’ai hésité entre faire un album, une mixtape et un mini-album. Le premier titre que j’ai produit, c’est Moïse. On sent que l’apport de Peter Punk est présent. Beaucoup de titres de l’album ont été réalisés avant l’EP. Extra-Lucide m’a demandé 1 an et demi de travail.

Pourquoi ce retour dans le rap ?

Car Peter Punk, il faut l’avouer, n’a pas marché. Mais après, même si j’ai abandonné, il y a du Peter Punk dans ce que je fais actuellement. Des titres comme Les Bienveillants ou Life is Good, je n’aurais pas pu les composer avant : il y a une recherche de sons et de textures que je n’aurais pas osé faire.

Extra-Lucide : un disque pour des combats

Ton côté anglais est accentué. Pas seulement dans la musique mais dans les sonorités, dans ton langage, ton vocabulaire. Pourquoi ?

95% de ce que j’écoute, c’est de l’anglais. Je veux pas faire mon Jean-Claude Van Damme en rap, mais il y a des fois des mots en anglais qui me viennent. C’est comme quand Eminem prend un accent germanique : ça passe bien.

C’est quoi le lien entre Renée, le livre que tu as sorti cette année, et Extra-Lucide ?

Il y a un lien oui. Sur Pour l’homme ou Porté disparu, il y a des thèmes qui se croisent : c’est un album et un livre écrits au même moment. Après, Renée est un roman, donc ce n’est pas vraiment moi qui parle.

“Il y a un espèce de combat pour des principes, des valeurs”

La production est aussi variée que les thèmes que tu as choisis.

Ce disque, c’est un point de vue assumé sur moi-même et un point de vue assumé sur la société et l’époque dans laquelle je vis. C’est pour ça qu’il y a un fil conducteur et des phrases récurrentes, mais c’est volontaire. Je veux qu’on comprenne mon sujet : il y a un espèce de combat pour des principes, des valeurs.

Certains titres sonnent “positivistes”.

Je ne parlerais pas de positivisme, parce que quand tu es trop optimiste ou pessimiste, t’es jamais lucide. J’ai juste essayé de combattre à chaque étape le cynisme. C’est ce que j’explique dans Mon Amour, qui est sur l’EP Lucide à propos de la rhétorique d’une Miss France. Moi aussi je veux la paix dans le monde ! Sauf qu’on a rendu ces choses tellement ringardes qu’on passe pour un naïf. Je ne le suis pas : ce sont juste des bonnes valeurs. Je promeut un “optimisme lucide”.

As-tu l’impression que le rap a changé entre le temps où tu es parti et le temps où tu es revenu ?

Un autre style de rap à retrouvé de la place. Déjà, je n’aime pas l’opposition entre rap conscient et  rap bling-bling. Ce que je déplorais à un certain moment, c’est qu’il n’y avait qu’un style qui était trop mis en avant, qui vampirisait tout. J’ai compris trop tard que j’aurais dû faire tout simplement le rap que j’aimais. Il a fallu que je tombe pour m’en rendre  compte.

Ceux qui sont connus aujourd’hui étaient déjà connus il y a cinq ou six ans, à la différence que les médias ne les mettaient pas en avant.

Les clash entre Booba et Rohff ne m’intéressent pas.

Ce que tu dis c’est spécifique au rap français. Moi j’essaie de voir ce qu’il se passe aux États-Unis, mais je pense qu’il y a eu un basculement avec le combat Kanye West contre 50 Cent : deux propositions qui s’affrontent et en plus il y  a un challenge sur le nombre de ventes. Si tu fais un parallèle avec la boxe, il y a eu un K.O avec la victoire de Kanye.

On voit que tu essaies de soutenir la nouvelle vague française. C’est bien, mais ça aurait pu être fait avant. Youssoupha existait déjà en 2006. Finalement, le milieu du rap français n’a pas changé.

Je pense que l’échiquier a changé. Avant, il y a cinq ou six ans, tu devais  passer par des intermédiaires pour toucher le public, des radios ou des journalistes. Maintenant, tu es sur Internet et c’est la désintermédiation : je te garanties que n’importe quel rappeur qui fait un super clip avec un super kick fera un carton sur la Toile.

Donc le rap n’a pas changé, seulement les moyens de diffusion.

J’ai une question : est-ce que tu crois pas que de la même manière qu’il y a plus de  visibilité sur plus de talents, il y a plus d’inspiration. Donc c’est plus facile de faire un meilleur rap, d’avoir plus de cartes dans ton jeu, grâce à Internet.

Rap game et clash : Disiz en a “rien à foutre”

“Les petites guéguerres entre Booba et Rohff ne m’intéressent pas”

Toi tu veux pas faire un rap qui “pue la recette” mais maintenant, quand tu regardes les têtes d’affiche du rap français, est-ce que tu trouves qu’elles sont authentiques ?

C’est pas pour faire de la langue de bois, mais j’ai 34 ans et toutes ces questions d’authentique, de qui est vrai, qui est faux, de rap game, j’en ai strictement rien à foutre. Ça ne m’intéresse pas : c’est anti-musique. Mais je pense qu’on est passé à autre chose. Les petites guéguerres entre Booba et Rohff ne m’intéressent pas.

Quel est le propos ? De quoi parle t-on ? Par contre de savoir si demain il y va y avoir une guerre contre l’Iran, ça, ça m’intéresse. Il y a des clashs qui sont importants, d’autres où ce sont juste deux personnalités qui s’affrontent. Je préfère mater un match de boxe, pour savoir qui gagne. Là non, pas dans le cas Booba contre Rohff. C’est celui qui va vendre le plus de disques ? Je trouve dommage qu’ils ne fassent pas un titre ensemble, même s’ils l’ont déjà fait.

Aux États-Unis, ils réussissent à s’entendre ! En France, on va te dire que c’est compliqué ! Moi je suis prêt, il n’y a pas de problèmes. D’ailleurs, il y a deux trois ans, il y avait eu un concert avec Rocca, Sage Poètes de la Rue, Oxmo Puccino, X-Men : pourquoi on a fait ce genre de concerts de réunion si tard ? Pourquoi on ne l’a pas au moment où on était au top, commercialement ? Tout ça parce qu’il y a une histoire d’égo.

C’est quoi ton rapport avec la nouvelle génération ?

Il y a un lien intergénérationnel mais pas un lien inter-style. Quand t’entends Rick Ross qui pose avec André 3000, ça c’est génial !

Est-ce que le dernier album de Youssoupha t’as inspiré ? Car lui aussi, il a abandonné la performance pour parler d’amour.

C’est une volonté que j’ai eue il y a longtemps, sauf que ce n’était pas propice au rap. Dès mon premier album, je fais l’Avocat des anges. Quand je fais Ghetto Sitcom où je mets à mal le jeune de cliché qui a plein d’oseille, c’est une manière de montrer une autre façade. Mon sujet, maintenant, je le maîtrise. J’étais déjà habité par cette volonté de m’ouvrir, avant que Youssoupha fasse son dernier album, que j’apprécie en passant.

“Le rap a participé à l’élection de Barack Obama”

Finalement, qu’est ce que tu veux apporter à l’auditeur ?

J’essaie d’avoir une répercussion sur les personnes : c’est un gros projet. Je pense par exemple que le rap a participé à l’élection de Barack Obama en novembre 2008. Dans le Times, un article parlait du fait que les textes de rappeurs comme Jay-Z ou Tupac avaient informé les gens sur la réalité de la vie des noirs américains.

Je suis juste un mec qui combat sa vanité. Toutes ces questions d’être le meilleur rappeur, ce n’était pas le but d’Extra-Lucide. Je voulais être le meilleur rappeur, ça n’a pas été le cas. Je veux juste que ce disque il touche, qu’il fasse du bien comme à moi il m’a fait du bien.

Bonus, une auto-interview de Disiz :

L’album Extra-Lucide de Disiz sortira le 29 octobre.
Images : Louis Lepron, article co-écrit avec Robin Aïche