Statistiquement, il n’y a que six façons de raconter une histoire

Statistiquement, il n’y a que six façons de raconter une histoire

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Par Thibault Prévost

Publié le

En passant 1 700 romans au crible de l’analyse statistique, une équipe de chercheurs a démontré qu’il n’existait que six grands types d’arcs narratifs.

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La littérature de fiction est une chose sublime et merveilleuse, un univers d’émotions verbalisées dont la richesse, la complexité et l’originalité s’étoffent à chaque seconde de nos vies : c’est ce que vous dira, en substance, n’importe quel fan de lecture.

Pour une approche plus cartésienne, en revanche, dirigeons-nous vers l’analyste statistique Andrew Reagan et ses collègues de l’Université du Vermont à Burlington, qui viennent de publier une étude passionnante qui brise le mythe de la créativité littéraire.

En bon statisticien, Reagan a compilé 1 700 textes de fiction téléchargés au moins 150 fois sur le site du Projet Gutenberg (qui propose en téléchargement gratuit plus de 36 000 livres numériques) et leur a appliqué une méthode d’analyse, plutôt directe, pour en faire ressortir les arcs narratifs.

L’idée derrière la méthode est que chaque mot possède une valeur émotionnelle positive ou négative. En classant méthodiquement tous les mots d’une œuvre, dans l’ordre chronologique, il est possible de faire émerger la structure émotionnelle de tout le texte.

En utilisant des techniques d’exploration des données, Andrew Reagan et son équipe ont ainsi dressé les profils émotionnels des textes et les ont comparés entre eux. Selon leurs résultats, il n’existe que six différentes façons de construire une histoire.

Enfin une réponse scientifique à un problème d’Aristote

Ces profils, intelligemment présentés sous forme infographique pour chaque livre étudié, sont les suivants :

  • L’ascension constante vers le succès et la renommée, façon Georges Duroy dans Bel-Ami.
  • Le lent déclin vers la souffrance et la mort, comme le couple maudit de Roméo et Juliette.
  • La chute suivie de la remontée, tel le Rodrigue du Cid.
  • L’ascension suivie de la chute, incarnée par Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir. 
  • Les éprouvants combos ascension-chute-ascension et chute-remontée-chute, illustrés par Cendrillon ou Œdipe. 

Selon les chercheurs, toutes les histoires de fiction ne sont que des variations plus ou moins subtiles de l’une de ces colonnes vertébrales narratives.

Deuxième question posée par l’étude des statisticiens : quel est l’arc narratif qui plaît le plus au public ? En comparant les profils au nombre de téléchargements de chaque livre, les chercheurs ont constaté que les histoires de chutes vertigineuses (Le Rouge et le Noir) et d’espoirs déçus (Œdipe) sont celles qui plaisent le plus. Qu’on se le dise, le lectorat aime voir ses héros souffrir, et préfère apparemment les fins tragiques aux happy ends.

Comme l’explique  Technology Review, cette étude, dont la méthode peut légitimement être contestée, a le mérite de fournir une réponse empirique et scientifiquement valide à une question qui divise le monde littéraire depuis des millénaires.

En effet, Andrew Reagan et son équipe ne sont pas les premiers à tenter de catégoriser les œuvres de fiction littéraire : Aristote s’y attelait déjà dans La Poétiqueen 335 avant Jésus-Christ, et a inspiré ses homologues à faire de même à travers les siècles.

En 1995, l’auteur de science-fiction Kurt Vonnegut donnait un cours vidéo magistral sur “les formes des histoires”, qu’il représentait sous forme graphique (déjà) et imaginait rentrées dans un ordinateur (déjà). Si sa thèse d’anthropologie sur le sujet fut ensuite rejetée car “trop divertissante”, nul doute qu’avec cette nouvelle étude sa théorie de représentation graphique des histoires a pris une toute autre consistance.