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Columbine : “Le nerf de la guerre dans le rap, et encore plus pour nous, c’est l’acceptation”

Columbine : “Le nerf de la guerre dans le rap, et encore plus pour nous, c’est l’acceptation”

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Par Sophie Laroche

Publié le

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Konbini | Pourquoi avoir choisi Adieu bientôt comme morceau titre ?

Lujipeka | Ça s’est décidé au dernier moment. On hésitait un peu. Est-ce que ce n’est pas trop impactant ? Est-ce que ce n’est pas trop sombre ? Mais c’est ce qui représente le mieux le projet au final.

Foda C | L’autre titre en lien avec cette idée est “La gloire ou l’asile”. C’est un peu ce délire “le minimum platinum ou j’abandonne” (morceau “Adieu Bientôt”). Avant, on était sur un demi-succès ce qui est nul puisque tu as l’impression de faire de la musique qui n’est pas assez bien, d’avoir échoué quelque part.

Lujipeka | La période de production a été assez sombre et il y a pu avoir cette question, est-ce qu’on veut vraiment continuer là-dedans ou est ce qu’on arrête ? La réponse est “non”, on revient plus fort et il y a quelque chose d’intemporel à dire “adieu bientôt” parce que si tous les jours tu dis “adieu bientôt”, tu ne t’arrêtes jamais.

Qu’est ce qui a changé dans votre manière de travailler ?

Foda C | Sur Clubbing for Columbine, on était un peu “balec” sur plein de trucs, sur Enfants Terribles, on était très carrés dans le sens où on voulait être directs, se faire comprendre. Là, on s’est fait comprendre, donc on voulait seulement se concentrer sur la musique. L’album s’est écrit très vite, on a fait les flows très vite. Il y a quelque chose de très subconscient, instantané et instinctif.

Lujipeka | Tous les sons du projet sont propres à un moment de la journée alors qu’avant la création des sons traînaient sur plusieurs semaines. On était plus appliqués, plus scolaires mais on s’amuse plus à faire de la musique comme ça. On a progressé donc on peut faire de meilleures choses plus rapidement. On reflète ce que l’on est à un instant t et c’est ça qui est cool sur ce projet.

Malgré votre succès, ressentez-vous toujours ce sentiment de différence que vous racontez dans vos chansons ?

Lujipeka | Ça dépend des sons mais je pense que dans sa globalité l’album reste encore un peu en marge. On ne voulait pas non plus faire un truc formaté mais c’est vrai que beaucoup de morceaux ont leur place en playlist de radio, chez tout type de public et c’est ça qui est cool sur ce projet. On passe moins pour les petits rigolos. Cet album est plus sérieux, plus propre à nous même et plus ouvert. On ne veut plus être les mecs chelous. On kiffe aussi quand les gens disent : “avant j’avais du mal et maintenant je kiffe.

Maintenant, écouter notre musique, ça devient plus “assumable” et plus abordable. Le nerf de la guerre dans le rap et encore plus pour nous c’est l’acceptation car tu as envie que ta musique soit acceptée dans un espace social de 30 personnes et que ça ne dérange personne. Avant, j’avais l’impression qu’un ado qui mettait du Columbine en soirée, on allait lui dire : “C’est quoi ton son chelou ?” On avait l’impression qu’on avait plein de fans en France mais qu’ils étaient toujours un peu tout seuls dans leurs délires.

Foda C | Après on reste surtout différents au niveau des prods. Les gens qui ne nous voient pas comme différents, ce sont des gens qui écoutent beaucoup de rap américain actuel et on a l’habitude d’écouter des albums qui passent du coq à l’âne avec des effets de styles grâce auxquels tu entends autant de prods acoustiques qu’électroniques, du rock que du rap.

Lujipeka | On a aussi bossé avec des beatmakers plus connus comme Seezy et Junior Alaprod en plus de nos potos. On pris leurs prods qu’ils considéraient comme un peu chelou. Même avec ces mecs-là, on arrivait à avoir une autre approche différente qui les a emmenés dans notre délire et ça a fait des bonnes fusions. Dans le projet, il y a aussi une note de délire chanson française. C’était un défi personnel de faire une guitare voix dans l’album car c’était impossible à faire techniquement pour nous il y a quelque temps. C’est tout ce qu’on avait en stock et qu’on peut se permettre de faire maintenant.

En 2017, vous avez donné énormément de concerts au cours desquels vous avez pu vous confronter à votre public. Dans le titre “Indochine”, vous écrivez : “Toutes ces roses qu’ils me tendent en pensant me comprendre je ne suis pas dans votre cas je ne suis plus dans votre monde.” Vous sentez un décalage parfois avec vos fans ?

Lujipeka | Cet album a vraiment été fait après la tournée. On sortait d’une cinquantaine de dates et on a dégueulé toutes les émotions que ça a pu procurer. C’est assez fort puisque tu croises 30 000 personnes en l’espace d’un mois ou deux puis tu te retrouves d’un seul coup tout seul avec pleins de trucs que tu ne comprends pas. C’est très étrange, tu as l’impression d’être très connu une fois que t’es en concert mais une fois que tu rentres chez toi, tu peux être personne.

On ne mène pas des vies de rock star du tout mais le public pense que si. Les plus jeunes peuvent nous voir comme des idoles et avec cette phase, il y a une façon de dire “redescends, ten fais trop, je ne mérite pas ça. Ne fais pas de nous des idoles et ne nous met cette pression car on n’a pas envie d’être des exemples”. On a nous-même conscience que tout ce que l’on dit maintenant a de l’impact donc on fait attention car on n’a pas envie d’avoir un message de merde puisque même dans notre vie, on n’est pas guidé par un message de merde en fait.

Foda C | Dans ce projet, il y a aussi cette thématique du pouvoir qui est important. Maintenant, que faire de ce pouvoir ? Ça fait peur car on est dans une société qui donne l’impression que tous les gens qui ont du pouvoir en abusent. Est-ce que le succès rend fou ou est ce que ce sont des fous qui avec le succès assouvissent des trucs malsains ? Tu t’interroges. C’est “la gloire ou l’asile” mais les deux ne sont pas incompatibles car la gloire peut te rendre fous. Dois-je me laisser guider dans cet engrenage ?

Lujipeka | À force de faire de la promo, que nos clips fassent des millions de vues, on sacrifie notre image qui devient publique, et du coup, plus ça va aller, plus notre rapport aux gens va être faussé. Quand on rencontre des gens en soirées, ils ne nous voient plus comme Lucas et Théo, c’est Luji et Foda et faut l’accepter mais ça nous matrixe et ça nous change, on ne veut pas devenir des gros connards, on veut rester fidèles à ce qu’on dit. C’est un peu ça peur de cet album.

Foda C | C’est aussi accepter qu’on est des privilégiés, en tant que personnes connues, en tant que mecs, en tant que blancs car tu peux très vite partir dans un truc ou tu ne te remets pas à ta place assez souvent.

Cet album c’est l’occasion pour vous d’interpréter plus de morceaux en solo. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?

Foda C | Il y a eu l’après tournée, une période durant laquelle on ne s’est pas beaucoup vu, tout le monde était à droite à gauche et le groupe n’était pas très réuni on va dire. C’était une période intense où il se passait pleins de trucs. On n’avait pas trop d’idées du projet qui allait être fait, du coup, c’était une sorte de laboratoire. On a commencé par des sons solos et petit à petit sont venus les sons de groupe et on a gardé les meilleurs des deux voilà.

Lujipeka | On fait ce qu’on veut dans le collectif Columbine, mettre plus de solos ou qu’il n’y ait pas que nous deux sur un son, c’est grave réalisable. Il faut se faire kiffer et créer quelque chose tout seul, exister dans l’individualité, c’est aussi gratifiant. C’est des cartes de visite un peu pour nous aussi. On est aussi deux individus différents, on a des envies des influences différentes qu’on voulait présenter sur le même projet.

Qu’est-ce qu’on peut attendre de la suite ?

Foda C | On a envie d’emmener tout le monde avec nous, pas de faire des solos pour laisser tous les potes derrière. Columbine existera toujours mais peut-être qu’il y aura une pause ou peut-être qu’on enchaînera avec un autre album sous la forme Columbine, ça dépend. C’est pour ça qu’on s’est dit, on fait 20 titres, on l’appelle Adieu bientôt, car il y a un côté fin de trilogie. Ce qu’on aime bien dans la musique c’est de se dire, on peut mourir à n’importe quel moment. Parfois on se dit quand on fait un son de ouf : “Putain faut qu’on reste vivant parce qu’on veut être là quand ça va sortir”.

L’album Adieu Bientôt est disponible depuis le 28 septembre. Columbine sera en tournée dans toute la France à partir du mois d’octobre et s’arrêtera à l’Olympia le 23 octobre prochain et au Zénith de Paris le 11 avril 2019.