Julien Chièze vs Julien Tellouck : chronique d’une guéguerre du jeu vidéo (1/3)

Julien Chièze vs Julien Tellouck : chronique d’une guéguerre du jeu vidéo (1/3)

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Par Nico Prat

Publié le

Ils ont le même prénom, et malgré ce qu’ils en disent, beaucoup en commun. Mais se détestent. Alors que l’industrie du jeu vidéo garde son titre de première industrie culturelle au monde, les journalistes qui la commentent, la scrutent, eux, n’hésitent pas à se tirer dans les pattes. Quelques gamineries, pas mal d’hypocrisie. Et sur tous les fronts, deux Julien sur un ring pixelisé.

Julien Chièze a 35 ans, pas loin de 50 000 followers sur Twitter, et parle souvent de lui à la troisième personne, sans s’en rendre compte. Il est la bête noire du milieu. Il bosse dans le jeu vidéo depuis pas moins de 19 années et pour lui, “tout a commencé le soir de Noël 96, je crois, j’avais seize ans. J’éditais un petit fanzine qui s’appelait Burning Paper, je le distribuais à la cour de récréation. J’ai deux passions: le foot, je suis supporter de l’OM, et le jeu vidéo. Je ne me voyais pas envoyer des piges à L’Équipe.
Il tentera donc sa chance, au culot, en écrivant à droite à gauche, comme un fan. Console Plus, Player One, Joypad. Tous reçoivent dans leur boîte aux lettres des demandes de la part du jeune gamer. Et un beau jour, “j’ai eu une réponse positive de Playstation Magazine. Avec ma première paye de 1900 francs (environ 360€), je me suis acheté un lecteur mini-disque. Puis après le bac, j’ai fait une fac de droit. Mais à côté, je gagnais ma vie avec les jeux vidéo. Je suis parti en voyage de presse en Angleterre, et à mon retour, je n’ai plus remis les pieds à la fac”.
Chièze a également écrit pour Picsou Magazine, est apparu sur Game One et MCM, et officie aujourd’hui sur la radio Mouv’. Il déteste “les chaussons, sauf chez moi”, et se dit curieux. De tout. Le 20 février 2007, avec d’anciens collègues de la presse papier aux chiffres de vente en chute libre, il lance Gameblog, et nous conte deux années et demi de galère, à trimer sans être payé. “Et ça a pris : on est toujours là”.
Julien Tellouck a 35 ans lui aussi, et presque 100 000 followers sur Twitter (et comme Chièze, un compte certifié). Il est animateur sur Game One, et supporte, lui, le PSG. Son parcours est assez simple: “Je suis arrivé en 2002 sur casting, je faisais des sites Internet avant. J’étais animateur au début, puis au fur et à mesure, je suis devenu chargé d’émission, puis rédacteur en chef, et aujourd’hui je suis chargé des divertissements de Game One. Je réfléchis aux programmes, et pas uniquement les miens d’ailleurs”. Actu, débats : Tellouck est le visage de la chaîne. D’une certaine façon, Game One, c’est lui.
Et lui, il sait d’où il vient, et où il va :

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Mon boulot est de donner une autre image du jeu vidéo. Quand je suis arrivé chez Game One, j’adorais télécharger des jeux sur mon Nokia. Et à l’époque, la rédaction trouvait que c’était du sous-jeu. Mon but, c’est de démocratiser ça au maximum, et de montrer aux gens qu’on peut avoir des sensations extraordinaires même sur Candy Crush. Je veux parler à tout le monde.

Chaque jour, il répond aux questions des internautes, toujours avec le sourire, toujours avec la pêche. C’est son métier : animer.

“Les deux veulent être le réprésentant des gamers”

“L’AFP paye ses voyages de presse depuis quelques années”

Pour être totalement transparent avec vous et au risque de réveiller je ne sais quelle “rivalité” factice (et débile), sachez que je “déconseille” aux membres de la rédaction depuis un an d’être pris en photo avec Julien Chièze et de participer aux contenus de Gameblog, quels qu’ils soient, ou de parler de Gameblog sur les réseaux sociaux.

Thomas Cusseau va même jusqu’à mentionner la réputation de Chièze dans une volonté de “différenciation” éditoriale. Hallucinant, d’autant plus que la chamaillerie semble avoir davantage sa place en coulisses. Trois jours plus tard, le texte est modifié. Le fond du problème, de toute évidence, n’est pas tant les voyages de presse que celui avec qui son journaliste a partagé un verre de saké.
D’ailleurs, ces fameux voyages, il n’y a guère que les gamers pour encore s’interroger là-dessus. “Ça existe partout et personne n’en fait un fromage, confirme Jean Zeid, journaliste chez France Info. Il y a une espèce de suspicion généralisée. On paierait le journaliste en goodies et en hôtel chic en échange d’un joli article. Mais non, ce n’est pas aussi simple. Mais ça reste louche. Par exemple, l’AFP paye ses voyages de presse depuis quelques années”. Une solution ? Non. En France, ils sont peu à avoir les moyens de le faire.
Autre grand nom de la presse vidéoludique, présent depuis deux décennies dans le paysage et actuellement sur NRJ avec la rubrique Game News, Bertrand Amar rigole quand on aborde le sujet : “La Coupe du Monde de Handball, tous les journalistes étaient invités par le Qatar. Et ça ne pose aucun souci. Là, ce qui était surtout remis en question, c’est qu’un journaliste de Gamekult soit pris en photo avec Chièze”.
Comme l’écrit le journaliste Alexandre Piquard dans son article intitulé “Psychodrame dans la presse vidéoludique” paru le 17 mars sur le site du Monde :

L’affrontement peut passer pour une petite querelle intestine entre deux sites concurrents, mais il réveille un débat qui traverse le milieu, notamment depuis le “Doritosgate“, fin 2012 : à l’époque, la photo d’un journaliste posant entre des chips Doritos et une affiche du jeu vidéo Halo 4, lors d’un salon professionnel, avait cristallisé les critiques visant l’influence des annonceurs et des éditeurs sur les médias.


Des doutes, un climat particulier… Mais le cœur du problème semble bel et bien, encore et toujours, être le personnage Julien Chièze. Un nom qui, on le lui dit en face, revient souvent quand il s’agit de parler des dérives du milieu. Parfois à juste titre.

“Je suis journaliste”

Le jeune homme souriant commande une quatre saisons, dans un petit restaurant du IXème arrondissement, pas très loin des nouveaux locaux de Gameblog, site dont il est, rappelons-le, l’un des fondateurs et rédacteur en chef depuis deux ans.
Il sourit quand il commente son weekend, forcément rock’n’roll. Puis se reprend :

Je ne veux pas parler au nom du red’chef de Gamekult, mais je sais que depuis trois ou quatre ans, il y a une chasse aux sorcières. Les réseaux sociaux, c’est le royaume de l’ironie et de la méchanceté. Tout ça s’est banalisé, et on en arrive à un moment où le patron d’un site respecté tient des propos discriminants.
Je pense qu’il ne se rend pas compte que ce qu’il dit est grave. La preuve : deux jours plus tard, sans rien dire, il édite son article. Pour une rédaction qui se veut transparente… Et il n’a jamais appelé ou écrit pour dire qu’il était allé trop loin. Le respect ne semble pas faire partie de leur vocabulaire.

Avant de voir le jeu, Julien Chièze arrive et se présente en citant Gameblog. Il joue rapidement le rôle du Monsieur Loyal, nous demandant de ne pas prendre de photos ou de filmer. Il s’éclipse, la présentation commence : l’équipe de Square-Enix [l’éditeur du jeu, ndlr] a tout bidonné.
Nous voyons une vidéo de gameplay datant de l’E3 [autre grand salon du jeu vidéo, ndlr], avec une barre de défilement Windows Media Player qui apparaît un court instant par inadvertance. Un gars fait semblant de jouer en tenant une manette Dual Shock. À la fin de cette mascarade, le même Julien Chièze revient comme une fleur et nous félicite pour avoir assisté à une avant-première exceptionnelle.

Si la chose s’avère vraie, on peut en effet parler d’un immense foutage de gueule. Sauf que, selon l’intéressé, “c’est faux. Je le jure sur ma tête : ce qui a été présenté était du gameplay, on a même eu des crashs du jeu. Il y a eu une vidéo de présentation du jeu, la barre Windows alors, peut-être. Mais je n’ai rien bullshité. Quelqu’un le dit sur Internet et tout le monde me tombe dessus”.
Au-delà de la barre Windows, se pose également la question de sa présence ici. Julien Chièze tient à le dire, et à le redire, comme un bouclier : “Je suis journaliste”. Pourtant, ici et là, ses détracteurs pointent du doigt ses contradictions, journaliste un jour, mais en fait non, le lendemain :

J’ai juste dit que quand on fait des petites news ultra factuelles, je n’ai pas le sentiment de faire un travail journalistique. Par contre, quand je sors des infos, des scoops parfois mondiaux ou des éditos, là je fais un travail journalistique, et oui, je suis journaliste. On peut ne pas aimer la ligne éditoriale de Gameblog, mais j’ai une éthique.

Un journaliste peut-il dès lors être payé par un éditeur pour parler d’un jeu vidéo (forcément en bien) ? On garde la question pour le dessert. D’autant plus que nous n’en avons pas fini avec l’OMGB.

“On ne fait rien comme les autres”

Autre tâcle, un article concernant la PS Vita, console portable de huitième génération très commentée en amont de sa sortie au Japon à la fin de l’année 2011.
La news publiée sur Gameblog disait alors:

La batterie chargée à fond semble indiquer une autonomie de 1h23 ! Bien sûr, il pourrait s’agir de l’indication de l’heure, on voit aussi que la 3G est activée (une fonctionnalité qui consomme beaucoup) et l’écran en mode de luminosité maximale pompe aussi, mais lorsqu’on connaît les difficultés rencontrées aujourd’hui dans les améliorations de l’autonomie des produits high-tech, une chose semble quasi sûre : il ne faudra sûrement pas compter sur 10h de jeu continu.

Sauf qu’il s’agit, en effet, de l’heure. Les internautes sont hilares, les joueurs proprement atterés. Nous aussi, un peu, franchement. Julien Chièze peine à nous convaincre sur cette réponse : “La news sur l’horaire était une blague, mais ça n’a pas été compris du tout. Le second degré sur Internet, en même temps, ça n’existe pas”. La faute aux réseaux sociaux is the new la faute aux jeux vidéo ?
Il insiste : “On savait qu’à ce moment là la Vita avait des problèmes d’autonomie. On fait donc une accroche qui donne envie. Un titre doit accrocher, c’est ce qu’on t’apprend en école de journalisme. Gameblog a les techniques du HuffPost ou de BFM, alors que nos confrères en sont encore à faire des titres “nouvelles images de”. Oui, ça choque les culs serrés car on ne fait rien comme les autres”. Mouais.
On n’est pas là pour compter les points (d’autres le font très bien), mais on s’interroge : pourquoi lui ? Pourquoi le nom de Julien Chièze revient-il toujours, à la seconde où l’on se prend à parler du jeu vidéo ?
L’intéressé inverse les rôles :

Je te pose la question. Pourquoi moi ? Je suis exposé, et encore plus parce que la haine existe. Je me mets en avant ? Oui. Je suis rédacteur en chef d’un site majeur d’info du jeu vidéo. La critique est très subjective, donc on se positionne, on dévoile nos opinions et nos styles.
Est-ce de ma faute, si les médias comme M6 ou Radio France m’appellent pour parler ? Non. Ils me contactent, pas l’inverse. Si je fais un truc cool, je le dis. Mais oui, je suis très présent, très visible. Mais je ne fais pas en sorte d’être autant suivi.

Là encore, en se promenant sur Gameblog, on se permet de douter de cette réponse, tant le visage de Julien Chièze apparaît partout, tout le temps. C’est son droit, il est le boss (à 33% de la boîte, selon nos infos). Mais cela contribue sans nul doute à faire de lui la personnalité à détester.
Bertrand Amar connaît bien l’animal:

Il se met beaucoup en scène et ça peut énerver. Ça a participé à certaines réactions souvent abusives de la communauté gaming. Il y a eu plusieurs histoires, la confusion entre sa position et ses activités quand il animait des évènements grand public, le ménestrel…

Le “ménestrel” ? Julien Chièze : “C’est un joli mot, et à l’origine, c’est Marcus chez Game One qui m’a appelé comme ça, il y a des années. De là à en reparler aujourd’hui, franchement”. Oui, franchement. Sauf que c’est bien lui, nous dit-on, qui, quelques jours avant le débat, lors d’un apéro, a eu l’idée de cette appellation. Mais passons, d’autres questions se posent.

La suite : Julien Chièze vs Julien Tellouck : chronique d’une guéguerre du jeu vidéo (2/3)