À Chicago, les théâtres d’impro s’engagent avec humour contre Trump

À Chicago, les théâtres d’impro s’engagent avec humour contre Trump

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Par Paloma Clement Picos

Publié le

Le président des États-Unis est une source d’inspiration sans fin pour tous les humoristes outre-Atlantique. À Chicago, pépinière de théâtres d’improvisation et antichambre des sketchs de l’émission Saturday Night Live, plus que jamais l’humour est un outil indispensable pour parler au public de l’actualité.

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Un incontournable de l’Entertainment à l’américaine

Aux États-Unis, une fois le week-end arrivé, nombreuses sont les options pour sortir. Une des plus populaires et appréciées est celle d’aller se prendre une bière et des nachos devant un spectacle d’improvisation. Pour une vingtaine de dollars maximum, on s’étouffe de rire pendant deux heures au rythme de blagues soit un peu préparées, soit totalement improvisées par un petit groupe de six ou sept comédiens.

Avec le précieux “First Amendment” comme arme, tout est permis dans ces lieux souvent confinés et ne dépassant pas les cinquante places. Le point fort des théâtres d’improvisation est qu’ils sont accessibles à beaucoup de gens, de tous horizons et de toutes classes sociales. Les shows sont très souvent en rapport avec l’actualité politique et sociale du pays, et les troupes font toujours intervenir le public.

Ces comedy shows sont surtout aimés pour la capacité qu’ils ont à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, avec une satire bien calibrée et un tragique de situation jamais trop lourd. Présenté sous son état le plus brut, sans micro, sans changement de costume et avec très peu d’entracte, le théâtre d’improvisation est la crème de la crème de l’humour américain, souvent sous-estimé et biaisé par les comédies hollywoodiennes.

Chicago, ville de référence de l’humour depuis les années 1960

Dérivé satirique des spectacles de cabaret de l’époque, le théâtre d’improvisation s’est d’abord installé à Chicago grâce à la création, en 1959, d’un théâtre devenu emblématique, The Second City. Sur scène, les acteurs improvisaient directement des histoires chargées d’humour et des scènes inspirées des normes sociales et des figures politiques de l’époque.

Sa notoriété s’est vite construite, notamment grâce à ses techniques d’écriture innovantes, plus tard utilisées par le Saturday Night Live. The Second City a ensuite dû se partager la vedette avec le iO Theatre, lui aussi devenu un incontournable. Plus que le contenu des textes, ce sont surtout les acteurs qui ont créé la renommée nationale puis internationale des deux théâtres et de Chicago.

Tous deux ont lancé les plus grands noms de la comédie américaine d’hier et d’aujourd’hui. D’Amy Poehler à Tina Fey en passant par Mike Myers et Steve Carell, tous font partie de la longue liste des élèves de l’iO et du Second City. Et s’il faut une preuve de plus pour justifier Chicago comme Terre sainte de la comédie, l’acteur Bill Murray a aussi été de la partie et ne tarie pas d’éloge sur l’endroit : “C’est le projet de groupe le plus important depuis qu’on a construit les pyramides !” Amen.

Réagir à l’élection de Donald Trump

Depuis début décembre 2016, un nouveau panneau a été installé à l’entrée du Second City. On peut y lire : “The Second City a une politique de tolérance zéro et ne permet pas de discours haineux de quelque nature que ce soit, que ce soit envers nos artistes, nos employés ou nos clients. Toute personne faisant un commentaire homophobe, misogyne, xénophobe ou raciste sera invitée à quitter les lieux”, donnant subtilement la couleur de ses shows à venir.

Et effectivement, les deux spectacles actuellement à l’affiche valent particulièrement le détour, surtout si vous avez besoin de faire décanter le flux d’information venant de Washington. Tous deux sont une satire géniale de l’Amérique de Trump. Les troupes sont un mélange d’hommes et de femmes noires, latinos, asiatiques et blancs, chacun faisant des blagues sur ses origines et toutes les remarques qu’ils vivent au quotidien. Autant vous dire que les racistes et les misogynes s’en prennent plein la figure. Et Trump le premier.

Un des tout premiers sketchs ne dure que quelques secondes et est peut-être un des plus marquants : une femme noire arrive sur scène et demande à l’audience comment faire pour se sentir plus en sécurité. En quelques secondes, une comédienne blanche prend sa place, crie “presque !”, puis est elle-même remplacée par un homme blanc qui à son tour s’écrie “c’est bon !” Le ton est annoncé.

S’en suivent deux heures de sketchs déjà écrits et scénarisés sur tous les problèmes que traversent les États-Unis, pays qualifié de “cassé” tout au long des spectacles. Une troisième heure est dédiée à l’improvisation. À partir des réponses du public sur des questions aussi banales que “quelle est la chose dont vous ne pouvez pas vous passer ?”, la troupe se passe le relais pour une série de sketchs tellement drôles et justes que l’on se demande comment ce ne peut être que de l’improvisation et surtout on ne voit pas le temps passer.

“Ça va plus loin que simplement faire rire les gens”

Anthony LeBlanc, scénariste au Second City, nous en dit plus sur la pièce jouée en ce moment sur la scène principale du théâtre cinquantenaire et dont il est un des auteurs. Appelée “The Winner… Of Our Discontent”, “on a voulu que les gens ressortent du théâtre en se posant des questions sur notre société. Pour nous, notre rôle va désormais plus loin que de simplement faire rire les gens. Et cela se ressent dans la pièce. Certains sketchs sont plus sérieux que ce qu’on a l’habitude de voir dans un théâtre d’improvisation. La critique n’a pas été forcément tendre du coup, jugeant la pièce bien trop engagée contre Trump alors que, d’après un journaliste du Chicago Tribune, le Second City est un endroit où tout le monde peut y trouver son compte.

Anthony LeBlanc se justifie ainsi :

“Au-delà de faire réfléchir les gens sur ce qu’il se passe en Amérique, on a surtout essayé d’humanisé l’autre camp [celui de Trump, ndlr]. Et croyez-moi, en tant que Noir, pour moi c’était dur d’humaniser cet autre côté de l’Amérique. Depuis l’élection, et même avant déjà, depuis le début de sa campagne en fait, le racisme s’est banalisé, tout est politisé et beaucoup plus de thèmes sont politiquement corrects.”

Quand on lui demande si lui ou les acteurs de la pièce ont eu des problèmes à cause de ce qu’ils disaient, comme ça a été le cas pour une auteure du SNL à cause de sa réplique sur Barron Trump, il explique : “Non, pas vraiment. Il y a des réactions mais rien de plus que d’habitude.”

Pourtant fin octobre, un membre de la troupe a quitté la scène, ne supportant plus les répliques racistes, misogynes et xénophobes qu’il entendait quasiment tous les soirs. C’est d’ailleurs suite à cet événement que ledit panneau a été installé à l’entrée du théâtre. Dans une tribune où il justifie son départ, le comédien Peter Kim pointe lui aussi du doigt ce racisme “qu’on gardait jadis pour les repas de Thanksgiving”. Une situation qui reflète bien ce qu’il se passe en général aux États-Unis en ce moment ; ce n’est pas tant que tout est plus politique, à l’image des textes du Second City ou du SNL, mais qu’une partie de l’Amérique est plus ouvertement raciste qu’avant.

Cependant, un membre de l’équipe du Second City nous a confirmé que les deux spectacles sont complets tous les soirs depuis leur lancement, tandis que le Saturday Night Live bat des records d’audience chaque samedi depuis l’investiture de Trump, le 21 janvier dernier.