Abdel Raouf Dafri s’attaque violemment au système audiovisuel français

Abdel Raouf Dafri s’attaque violemment au système audiovisuel français

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Par Constance Bloch

Publié le

Dans un entretien accordé au site AlloCiné, Abdel Raouf Dafri a réglé ses comptes en revenant sur l’importance du scénario dans les projets cinématographiques. Il s’est aussi attaqué au système de production audiovisuel français. Décryptage d’un argumentaire pas si évident que ça. 
Abdel Raouf Dafri, lauréat du César du meilleur scénario pour Un prophète et auteur de la deuxième saison de Braquo, fait partie des  scénaristes et dialoguistes à succès en France, séries et films confondus. Connu pour son franc-parler, c’est à l’occasion d’une interview pour la sortie d’une nouvelle saison de Braquo (prochainement sur Canal +) qu’il a vidé son sac en écornant le système de production audiovisuel français.

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Qu’est ce que c’est que raconter une histoire ? Aujourd’hui en France, on a perdu ça […]. Posez-vous la question : pourquoi Les Misérables est encore adapté aujourd’hui avec Hugh Jackman, Russel Crowe ? Parce que ce que disait Gabin, la formule, la trinité de la réussite de la création audiovisuelle […], c’est l’histoire, l’histoire, l’histoire !

“La plume c’est comme la bouche : si t’as rien à dire, ferme ta gueule !”

En s’appuyant sur sa propre expérience, il dénonce avec véhémence le pouvoir qu’exercent les chaînes de télévisions, les producteurs ou les réalisateurs sur les scénaristes : “En France, on ne valorise pas l’écrit“. En invoquant les grands auteurs et philosophes français, le scénariste déplore une perte de l’importance de la prose dans les projets audiovisuels. Selon lui, “la plume c’est comme la bouche : si t’as rien à dire, ferme ta gueule !”.
Le scénariste poursuit en évoquant une anecdote personnelle au sujet de l’un des scénarios qu’il a écrit pendant cinq ans, abimé par un réalisateur qui a pris des libertés sur l’histoire. Il raconte avoir appris huit jours avant le début du tournage que Julien Leclercq, le cinéaste en question, avait changé le nom du personnage principal (alors qu’il s’agissait d’une histoire vraie) ainsi que le titre du film, devenu Gibraltar.
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Abdel Raouf Dafri a refusé de participer au projet et Julien Leclercq a continué de modifier des éléments clés du script. Sorti en 2013 avec Gilles Lellouche et Tahar Rahim au casting, le film n’a réuni que 231 071 spectateurs en deux semaines d’exploitation.
Il s’en prend aussi aux auteurs “bankables” dont les projets sont d’avantage considérés en raison de leur notoriété. Tout cela, d’après Abdel Raouf Dafri, est le reflet d’un malaise du cinéma français qui ne respecte pas le travail originel des auteurs et contribue à la médiocrité de certains projets. Le message est clair : de l’autre côté de l’Atlantique, tout semble aller pour le mieux, en témoigne la vigueur cinématographique de Martin Scorsese avec son Loup de Wall Street.

À Hollywood, tout n’est pas si rose

Bien que plusieurs points soulevés par le scénariste soient intéressants, Abdel Raouf Dafri semble idéaliser le système américain. Les studios Hollywoodiens sont par exemple connus pour user de leur toute-puissance sur les auteurs. L’année dernière, Steven Spielberg et George Lucas prédisaient même l’implosion d’Hollywood.
Une enquête de Télérama sur le sujet rapportait :

D’après un scénariste qui participe à l’écriture des blockbusters, les réunions « créatives », à l’intérieur des studios, se font aujourd’hui en présence d’un représentant du marketing et du département international.

À noter aussi qu’une tendance est à l’oeuvre aux États-Unis : le moins de films possibles, pour le plus d’argent à gagner. Mais l’équation peut-être inverse : moins de films, c’est aussi plus de risques. On ne parle alors plus de “blockbusters” mais de “tentpoles”, capables de faire (ou de détruire) un studio. Alors, idéal le système de production américain ? Pas si sûr.

En France, “on fait de l’aseptisé, on fabrique du Doliprane”

Dans la dernière partie de l’interview, le scénariste s’exprime au sujet des séries françaises qui selon lui sont très “polissées” et manquent cruellement d’originalité. Encore une fois, Abdel Raouf Dafri s’attaque à toutes les chaînes de télévision françaises : “On fait de l’aseptisé, on fabrique du Doliprane”. La seule qui trouve grâce à ses yeux  ? Canal +, celle qui produit sa série Braquo et créatrice de contenu original.
Il poursuit, abordant le thème du téléchargement illégal :

Ils se font baiser [les producteurs de séries françaises, ndlr] car le moindre étudiant qui a une vingtaine d’année et qui s’y connait un minimum en informatique télécharge tout ce qu’il veut avec les sous-titres. Pour rien, il peut se taper les meilleures séries tv américaines, alors pourquoi s’emmerder à regarder les françaises ?

Aux États-Unis, à la différence de la France, les séries sont vraiment perçues comme des “oeuvres”. Et c’est en partie à cause de ça que des sociétés comme Netflix et Hulu sont apparues. Elles proposent de visionner à travers un catalogues XXL des séries en VOD illimitée pour quelques dollars par mois ou même gratuitement.
En France, l’offre concernant les séries est quant à elle beaucoup plus limitée et assez chère (un abonnement à Canal + qui propose une chaîne consacrée entièrement aux séries s’élève à 24,99 euros par mois, comparés aux 7,99 dollars chez Netflix).

De l’espoir pour les séries françaises

La diatribe de Abdel Raouf Dafri  se termine sur une note de fierté assumée : l’Emmy Awards décroché par Braquo en 2012, un an avant celui des Revenants, en novembre dernier. Toutes les deux sont des séries originales produites par Canal +.
Un article de Télérama va dans ce sens : les fictions made in France rapportent peu à l’étranger – malgré une progression de 14% en 2013 – les ventes n’atteignant que 23 millions d’euros en 2012. Fin août pourtant, un article du New York Times intitulé “L’insaisissable plaisir des séries françaises” évoquait avec admiration quatre de nos créations hexagonales : Engrenage (Canal +), Un village français (France 3), Les Revenants (Canal +) et Maison Close (Canal +).
Alors certe, c’est encore peu par rapport à l’offre américaine et en majorité affilié à la chaîne Canal +, mais encourageant pour la suite.