“Ici, dans cette maison, sous mon toit, on ne parle pas de sexe” : bienvenue dans les familles où le sexe est tabou

“Ici, dans cette maison, sous mon toit, on ne parle pas de sexe” : bienvenue dans les familles où le sexe est tabou

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(© Netflix)

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Par Coumbis Hope Lowie

Publié le

Cette semaine, c’est notre semaine engagée pour une éducation sexuelle décomplexée, joyeuse et sans pression. Une très bonne chose. Sauf si vous habitez chez nous.

Pour une éducation des enfants à l’intimité et à leurs droits, pour la représentation de toutes les orientations, pour une sexualité libre, joyeuse et toujours consentie, Konbini s’engage pour l’éducation sexuelle.

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Vous avez déjà regardé Le Pari ? Le film où deux amis veulent arrêter de fumer et chantent chaque matin “Le tabac, c’est tabou ! On en viendra tous à bout !”. Ben, chez nous, c’est un peu la même chose. Mais au lieu du tabac, c’est les jambes en l’air. Et si elles sont en l’air, ce n’est pas pour la rétention d’eau.

Dans certaines familles, le sexe n’existe pas. Et là, on ne parle pas de genre, d’identité ou d’orientation sexuelle. Parce que si on ne parle pas de sexe, il est très rare qu’on puisse aborder ce genre de discussions. Là, on parle de l’acte, des chairs qui se rencontrent pour ne former plus qu’un (ou deux ou trois, qui sait ?) et tout ce qui s’ensuit. Et tout ça, de l’initiation à l’orgasme, est proscrit.

“On ne fait pas de blagues sexuelles à table. Ni dans les couloirs, la cuisine ou encore moins dans la salle de bains. Et si ça passe à la télé, on se retrouve tous à avoir quelque chose à faire sur la terrasse.”

On ne parle pas de sexe et souvent, on ne sait même pas vraiment pourquoi c’est interdit. Il n’y a même pas besoin de l’étape “Ici, dans cette maison, sous mon toit, on ne parle pas de sexe”. Ça coule de source. Comme un réflexe. Comme quand on met ses mains en avant pour se protéger du sol quand on tombe. On le sait, c’est tout.

On ne voit rien, on n’entend rien, on ne dit rien. L’acte sexuel ne commence à exister que quand on est confronté à lui. Bien sûr, c’est encore mieux si ça se passe après le mariage. D’ailleurs, dans certaines coutumes, les femmes de la famille (souvent les tantes) prennent la nouvelle mariée à part et lui expliquent le b.a.-ba, avant sa nuit de noces. Et on passe en un instant de l’interdiction à la permission. Dans cette façon de voir les choses, le sexe est un acte de personnes mariées. Alors, pourquoi en parler avant ?

Pour savoir

Pour savoir, savoir ce qu’il se passe quand on entame un acte sexuel. Pour savoir comment ça peut se passer, comment cela ne doit pas se passer et ce qui peut se passer quand on ne prend pas de précautions. Souvent, dans un univers où le sexe n’apparaît qu’à un moment donné dans une vie, ses autres aspects ont tendance à ne pas exister. Ou à être invisibilisés. Comme les maladies sexuellement transmissibles, les grossesses non désirées ou encore les agressions sexuelles, en dehors et dans le cadre familial.

Mais pourquoi on ne parle pas de sexe dans ces maisons ?

On est allé interroger les principaux concernés et, bien sûr, les prénoms ont été modifiés. Parce que ne pas parler de sexe à la maison, ça veut aussi dire “ne pas se plaindre, ni de ses parents, ni de leurs choix d’éducation”. Pas pour tout le monde, bien sûr, mais pour ceux qu’on a interviewés.

Pour Lizon*, 22 ans, ne pas parler de sexe à la maison, c’est manquer d’une réelle éducation sexuelle : “J’ai tout appris sur le vif, en faisant des erreurs, beaucoup, et en ne pouvant me tourner vers personne. Je pense que la première (et seule) fois où j’ai vraiment parlé de sexe à la maison, c’est le jour où ma mère a appris que j’avais fait ma première fois. J’ai un souvenir très précis de la tête pleine de dégoût qu’elle m’a lancé en disant : ‘QUOI ??? MAIS TU AS COUCHÉ AVEC UN GARÇON ??? MAIS ÇA TE TRAVAILLE EN BAS OU QUOI ?????’ en regardant vers ma braguette !”

“Le ‘ça te travaille en bas’ m’a fait me sentir comme une merde. Humiliée, j’étais honteuse d’avoir du désir sexuel, et ça m’a suivie pendant longtemps.” — Lizon

Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas de sexe qu’on n’y pense pas. Malgré tout, on se pose des questions sur notre corps et ses sensations. Et ce qu’on ressent peut faire peur, surtout quand on ignore ce qu’on vit.

Yara*, 27 ans, n’a jamais vraiment eu de conseils. Ni d’interdictions, d’ailleurs. “On n’en parle pas tout court, mais vu nos origines et religions, c’est évident que je ne devais pas aller sur ce terrain ! Franchement, ça ne m’a pas dérangée plus que ça de ne pas en parler avec eux. Mais j’aurais aimé que ce ne soit pas aussi tabou et diabolisé, ne serait-ce que pour créer un safe space au cas où j’aurais eu des questions !”

Et on va où quand on a des questions ?

Parce que quand le sexe est tabou avec ses parents, on considère souvent qu’il l’est aussi avec ses frères et sœurs et ses proches. Et l’école aide rarement. Parce qu’on est timide, parce qu’on est mal à l’aise et qu’on n’a pas l’habitude. Alors, quand on trouve quand même quelqu’un à qui se confier, c’est une oasis. Chris*, 25 ans, nous l’explique :

“Ma mère m’a toujours dit de faire attention à mon corps, c’est le temple de Dieu. Alors, on n’a jamais réellement eu de conversations sur le sexe. À part le jour où j’ai dessiné le tronc d’un mixeur. Et ma mère l’a trouvé très suggestif. Mais avec mes sœurs, on parle de tout. La base.”

Damien*, 33 ans, comprend que parler de sexe reste tabou : “Le sexe, c’est intime. On devrait n’en parler qu’avec la personne concernée. Je serai jamais à l’aise d’en parler avec mes parents. Mais c’est vrai que j’aimerais que mes enfants soient assez à l’aise avec moi pour me poser des questions. Je pense que c’est l’éducation.”

Yara a parlé d’origines et de religions. Et, même si le tabou familial autour du sexe semble être répandu aux quatre coins de la planète et peut se retrouver dans toutes sortes de foyers, la façon dont nos parents ont été éduqués joue beaucoup. La religion, la culture et l’origine ont un impact manifeste sur notre éducation. Alors, ça paraît normal qu’on les associe à notre vision de la sexualité.

On a donc demandé aux intéressés quelle serait leur solution pour avoir une discussion saine autour du sexe dans leur foyer. La plupart pensent que c’est un peu tard pour s’engager dans cette voie avec leurs parents. Mais eux essaieront de faire mieux. Et de parler. Même si ce n’est pas la chose la plus facile à faire, elle est extrêmement utile. Parce que de la question du sexe en découlent plein d’autres, dont l’identité sexuelle ou même la manière dont se définit un individu.

Alors, osons parler histoires de fesses et d’amour.

* Les prénoms des personnes citées ont été modifiés.