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Le VIH, un mal comme un autre

Le VIH, un mal comme un autre

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Par Lucie

Publié le

Deux tiers des jeunes en France n’ont plus peur du sida.

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Les mots du virus de l’immunodéficience humaine et de ses maux

Le mot “sida” désigne pratiquement tout sauf ce qu’il nomme vraiment. Le sida, c’est le syndrome d’immunodéficience acquise, le stade avancé d’une infection par le VIH. J’ai l’impression qu’il désigne à la fois l’infection par le VIH, la pandémie en général, son histoire, le virus…
C’est devenu un terme général et pour qui connaît sa véritable définition et est attaché aux mots, une sensation étrange se dégage de son utilisation à toutes les sauces. J’ai remarqué dans les médias l’usage de plus en plus systématique de “VIH/sida” pour aborder ce sujet, ce qui est forcément un progrès, parce qu’une infection par le VIH n’est pas synonyme de sida, parce que le VIH est malveillant même quand il n’arrive pas au sida.
Il est difficile de revenir sur 30 années de vocabulaire, avec des expressions telles que “attraper le sida” ancrées dans le langage courant. Je ne sais pas si les personnes qui utilisent cette expression sont conscientes qu’on n’attrape pas le sida, que c’est impossible. On contracte le virus, qui potentiellement se multipliera jusqu’au stade du sida si aucune mesure n’est entreprise.
Cette confusion et généralisation autour du nom de la maladie n’aide pas à l’information du grand public et nourrit les préjugés et amalgames chez les personnes qui n’ont pas la curiosité de faire des recherches, ce qu’on ne peut aucunement leur reprocher. Si on voulait utiliser les mots correctement, on ne parlerait plus de lutte contre le sida mais de lutte contre le VIH dans les pays occidentaux, car nous savons comment vaincre et prévenir le sida.
Il y a deux manières de le prévenir :

* éviter une infection par le VIH, par les différents moyens à disposition : préservatif (masculin ou féminin), traitement post-exposition (TPE) ou la PreP.
* suivre un traitement antirétroviral (tri ou multithérapie) quand l’infection par le VIH est détectée.

Dans le deuxième cas de figure, après la contamination, le traitement est efficace à plusieurs conditions : il faut trouver la bonne combinaison de molécules, il faut que le patient fasse preuve d’une observance sans faille, et il faut évidemment que les thérapies soient accessibles dans le pays de résidence de la personne porteuse du virus.
Plus les traitements sont débutés tôt, plus ils sont efficaces, mais une personne qui débuterait un traitement en étant au stade sida, aux conditions évoquées ci-dessus, peut parfaitement retrouver un taux de CD4 (globules blancs) satisfaisant et réduire la charge virale jusqu’à la rendre “indétectable” et qu’elle le reste. On peut donc vaincre le sida, dans le sens premier du terme, à savoir le stade avancé d’une infection par le VIH, lorsque toutes les conditions mentionnées sont réunies.
Le dernier outil dans la lutte contre le VIH, le plus important de tout, c’est la connaissance de son statut, et donc le dépistage. Il est beaucoup plus dangereux de ne pas être sérosûr que d’être séropositif avec une possibilité de traitement. Ignorer ou douter de son statut, c’est mettre en danger son propre organisme en laissant peut-être le virus se développer, et les partenaires sexuels en cas de pratiques à risque ou accidents.
La gestion de la charge virale et son maintien à un niveau bas malgré l’impossibilité de se débarrasser du virus fait de l’infection au VIH une infection chronique. Ce que certaines personnes ont du mal à entendre, à accepter, et un message qui n’est pas communiqué à grande échelle. On voit toujours des personnes s’insurger quand ce propos est tenu en public.

Oui, mais…

Mais il n’y a pas de vaccin. Mais on en meurt toujours. Mais il n’y a pas de remède. Mais, mais, mais. Il y a toujours un mais avec le VIH.
Jacques Leibowitch, immunologiste spécialiste du VIH/sida était invité de l’émission le Club de la presse sur Europe 1 le 27 mars dernier, pendant le week-end Sidaction. Jacques Leibowitch explique longuement son travail, le fonctionnement des thérapies, le contrôle de la charge virale, la réduction de la fréquence de prises, les progrès des thérapies dont le nombre de comprimés à prendre et d’effets indésirables amoindris, etc.
À la question de Robert Namias qui lui demande si une personne porteuse du virus est contaminante, il répond :

Si vous êtes sous traitement efficace, mesurée comme telle par des mesures qui vous disent la charge virale est en-dessous de 50 copies, enfin en-dessous de 200 ce serait pareil, quand vous êtes à des zones basses de virus, “indétectable” entre guillemets, vous ne transmettez pas.
Nicolas Poincaré : On précise que ça, le fait qu’on ne soit pas contaminant quand on est sous traitement, vous nous le dites, d’autres médecins le disent, mais ça ne fait pas l’unanimité.
Jacques Leibowitch : Mais si, ça fait tout à fait l’unanimité, simplement, je ne sais pas pourquoi, c’est pas passé chez les militants.

Au sujet du vaccin, il signale que la syphilis n’en a pas non plus.
Plus loin dans l’interview, pour récapituler :

C’est une infection chronique qui est contrôlable par des traitements antiviraux qui ne tuent pas la vie des gens […] qui n’est plus mortelle, qui n’empêche plus de se reproduire. Donc, on n’est plus malade, on n’a pas le sida, on peut faire des enfants […] avec une durée de vie comparable à celle des autres.


Sur RTL, samedi 28, une dame porteuse du virus depuis vingt ans, Stéphanie Legendre, est invitée. Première question : “Comment allez-vous ?”, à laquelle elle répond le sourire dans la voix, “Ça va très bien ! Je n’ai jamais eu de problème, voilà”.

Oui, mais, attendez, vous n’avez aucun effets indésirables de la trithérapie ? rétorque le journaliste.

“Mais”. Ce n’est pas la question qui me dérange, c’est normal de lui demander comment se vit et se supporte au quotidien l’infection. Que vient faire ce “mais” dans la question ? Dans la suite de l’interview, Stéphanie Legendre raconte qu’elle ne pense jamais à la mort ni à la maladie, qu’elle n’est jamais malade, ni grippe, ni gastro… Et à la fin de l’interview, le vaccin revient, toujours le vaccin.
Pourquoi les journalistes mettent quasiment systématiquement le vaccin sur le tapis quand ils abordent le VIH ? Alors même que des PVVIH (personne vivant avec le VIH) et des scientifiques expliquent que les outils actuels sont suffisants à réduire les contaminations et avoir une vie “normale” avec le virus – je mets le mot “normal” entre guillemets parce que je n’ai jamais su comment le définir, j’essaie de l’utiliser le moins possible, ou avec précaution, c’est un traître.

La carte de la peur est inefficace, jouons celle de l’information

Je n’avais jamais regardé une soirée Sidaction à la télévision avant le week-end dernier. Ce fut compliqué, je n’ai pas réussi à aller jusqu’au bout. Je ne suis pas contre le divertissement et la chanson, pourquoi pas, mais c’est l’exemple parfait du gâchis d’une plage télévisuelle de deux heures, utilisée pour ne rien dire.
A chaque pause entre deux morceaux, un appel aux dons. Toutes les cinq ou dix minutes donc, les animateurs partenaires rappelaient aux spectateurs, apparemment amnésiques et ne possédant aucune mémoire à court-terme, qu’il fallait appeler le 110 pour donner. “C’est important”.
À aucun moment de la soirée quelqu’un ne m’a expliqué pourquoi ça l’était et ce que c’est vraiment, le sida, le VIH, la recherche. Pas d’infographie. Peu de chiffres, sauf à un moment au bout d’une quarantaine de minutes je crois. Pas de témoignages. Pas d’explications médicales, scientifiques, même succinctes et basiques. Finalement, ce fut une soirée dédiée à récolter de l’argent pour une cause dont il n’a pas été question une seule fois.
Line Renaud est intervenue et a prononcé une phrase scandaleuse. 

Les traitements permettent de vivre, que dis-je, de survivre avec le virus.

Le lourd passé du VIH/Sida comme obstacle à la banalisation

On aborde souvent la prévention du point de vue égoïste, centré sur l’individu ciblé. “Protégez-vous”, “Sortez couverts”, “Le sida ne passera pas par moi”. Le VIH, ce n’est pas que l’histoire de nos corps, de nos sexes, de nos addictions, de nos erreurs, de nos malheurs, pris séparément.
C’est aussi l’addition de tout ça. C’est une part importante du XXe siècle, une part importante de ce début du XXIe siècle, et c’est de la responsabilité de chacun de réduire cette part dans l’histoire de l’humain. Protéger son organisme, celui de nos partenaires, c’est protéger toute l’humanité, c’est avancer vers le grand Zéro de l’Onusida. Zéro nouvelle contamination. Zéro discrimination. Zéro décès.
Même sans avoir peur pour soi, il suffit d’avoir envie d’un monde meilleur, avec un mal en moins, ce serait déjà bien. Nous avons les outils pour que cette pandémie se stabilise et baisse, il ne reste qu’à les utiliser et les généraliser, les rendre accessibles à tous les pays, à toutes les personnes. Faire des dons pour que la recherche avance, pour que les associations aient les moyens d’aider les personnes touchées, celles qui sont dans des situations de précarité, d’irrégularité, pour permettre le financements d’infrastructures, permettre une aide légale en cas de besoin, etc. Protéger son corps, celui des autres. Eviter l’infection, ou la contrôler.
Dernier point, le plus important : le VIH est un virus comme les autres. Ce qui fait la particularité du VIH/sida, en plus de son caractère incurable et l’impasse dans laquelle il a embarqué les scientifiques qui travaillent dessus et ne trouvent pas de remède, c’est avant tout son histoire. Ces trente dernières années de confusion, de peur, de déni, de discrimination, de haine, d’homophobie, de corps abîmés, décharnés, transformés, d’espoir, de désillusion, d’avancée, de régression, de préjugés, ces trente dernières années d’amalgames, d’actions, de réactions, de scandales, de révélations…
C’est aussi avec ce passé, qui n’est pas encore totalement passé, qu’il faut sensibiliser la jeunesse. Lui expliquer que si de nos jours ce n’est pas une infection grave, qu’ils n’en mourront pas et qu’ils pourront parfaitement vivre aussi longtemps qu’une personne non-infectée, avec des risques accrus de cancer et des effets indésirables potentiels des traitements, elle a aussi une part de responsabilité dans l’avenir d’une pandémie historique, ou plutôt dans son non-avenir.
Je suis née en 1992, j’ai dû commencer à entendre parler de tout ça quand j’avais 12 ou 13 ans, au collège, quand les choses commençaient à aller mieux, quand les thérapies avaient largement prouvé leur efficacité et que la courbe des décès baissait. Je me souviens des campagnes de Aides dans mes magazines pour adolescentes, vaguement. “Le sida est beau.” Il était vraiment beau, le garçon sur la photo. Je me suis intéressée un peu au sujet quand j’étais au lycée, je me souviens avoir lu des articles là-dessus sur le site du Monde.

“L’infection par le VIH est une infection comme les autres”

J’ai été contaminée début 2012, ou fin 2011, je l’ai appris en juin 2012. J’ai été forcée par mon virus à m’y intéresser vraiment. Je voulais savoir de quoi je faisais partie exactement. De l’histoire du truc qui était dans mon corps. J’ai regardé des films, lu des articles, acheté des livres. Tout est complexe au sujet du VIH, de son aspect scientifico-médical aux domaines sociaux, associatifs, financiers, éthiques, judiciaires, géographiques, démographiques…
Ce que je retiens de mes lectures et autres visionnages de films et documentaires, de l’attention particulière que je porte aux articles des médias sur le sujet, c’est que les premières décennies de la pandémie son difficiles à oublier et marquent toujours considérablement les esprits, elles influencent la perception des personnes de ce virus.
De mon expérience personnelle, je retiens que quand on explique clairement les choses, les gens n’ont pas peur, découvrent plein de choses, et que ça n’encourage en rien les pratiques à risques. “J’ai le VIH, j’ai un traitement, je le prends tous les jours, ma charge virale est indétectable, je ne suis pas contaminante, je suis en parfaite santé, je mène une vie en tout point semblable à la vôtre.
Comme tout le monde, j’ai mes hauts, mes bas, j’y pense parfois, la plupart du temps non, ça présente des inconvénients, j’ai mes craintes quant à l’avenir, à la vieillesse, je ne peux pas abandonner le préservatif, même dans une relation exclusive, je préférerais largement vivre sans, mais je vis bien avec.” Voilà la version rapide de ce que je peux dire de ma situation. Je l’ai dit à des garçons avec qui j’ai eu des rapports. Ça ne leur a pas donné envie d’être contaminés, au contraire, ils veulent savoir ce qu’ils peuvent faire, pas faire, et ils font très attention au préservatif.
J’ai un ami qui a des problèmes d’asthme, qui a aussi un traitement longue durée et quotidien. S’il l’oublie, il peut faire une crise, ça peut être très grave, très vite. Mon amie d’enfance a des allergies, nombreuses. Au retour du printemps et du pollen, sa vie est un cauchemar, elle prend toutes sortes de médicaments tout au long de l’année.
Moi, je prends 3 pilules toutes les 24 heures, si je les oublie, il y a des risques de mutation du virus et de développement de résistances aux molécules de ma thérapie, mais il existe tellement de combinaisons qu’on en trouverait certainement une autre efficace. Un oubli n’aurait pas d’incidence sur ma santé dans l’immédiat. Je ne suis quasiment jamais malade. Cet hiver, je voyais tout le monde choper la grippe, un rhume. J’ai dû éternuer pendant trois jours, rien de plus.
Quelle est exactement la différence entre mon ami asthmatique qui risque le pire s’il n’a pas son traitement, mon amie qui doit subir toutes sortes de désagréments à cause de ses allergies et ingurgite beaucoup plus de médicaments que moi sur une année ? Médicalement parlant, je suis la mieux lotie.
La différence se trouve dans l’histoire du virus que je porte en moi. Dans ses dimensions multiples et complexes, chargées. Dans son origine sexuelle, tabou des tabous.
Je vis bien avec mon virus, pourtant, parfois, on continue de me regarder ou de m’en parler comme si c’était grave. Un garçon m’a dit récemment “Ah ouais, le sida, c’est chaud quand même”. J’ai dû lui rétorquer que je n’ai pas le sida, et sa remarque a confirmé que l’information est la clé. J’ai aussi dû lui dire que “non, c’est pas grave tu sais, j’ai les médicaments, j’ai fait un bilan récemment, et ça va, je vais bien”.
Tout le mal que le VIH m’a fait, il l’a fait à mon moral, et à ma vie de couple quand j’en avais une, parce qu’il s’invitait parfois entre nous deux, avec sa copine la capote. Le mal qu’il me fait est psychologique. Il m’a plus souvent fait réfléchir que souffrir. Il me fait un peu peur, pour plus tard, mais qui sait même si j’ai droit à un plus tard ? (Mais là on entre dans ma conception de l’existence humaine, c’est un autre vaste sujet).
Ça ne me ferait pas autant gamberger si on arrêtait de me dire que c’est grave (coucou Line Renaud). L’infection par le VIH est une infection comme les autres. Comme toutes les maladies possibles et imaginables : potentiellement mortelle si rien n’est fait, plus difficile à vivre et à gérer dans les pays en voie de développement, qui garde une part de mystère du côté des scientifiques, et qui a effectivement un passé très, très pesant.
Et finalement, admettre que le VIH est devenu un mal comme les autres, après tout ce qu’il s’est passé, n’est-ce pas le plus difficile ?
Ce texte a été initialemet publié le 7 avril sur le site Medium France. Il est publié sur Konbini avec l’autorisation de l’auteur.