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Tribune : comment les réseaux sociaux nous ont fait perdre notre empathie

Tribune : comment les réseaux sociaux nous ont fait perdre notre empathie

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Par Konbini arts

Publié le

Suite à la mort de trois blogueurs canadiens, qui a suscité de nombreuses réactions négatives d’internautes, le photographe Dan Ginn a publié une tribune qui questionne ce qu’il reste d’humain et d’empathique sur les réseaux sociaux.

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Il y a deux semaines, trois YouTubeurs canadiens sont morts en nageant au sommet des cascades du parc Shannon Falls à Squamish, dans la région canadienne de la Colombie-Britannique. Le trio travaillait sur un projet produit par la chaîne YouTube High On Life, qui a actuellement 560 000 abonnés, et plus d’un million d’abonnés sur Instagram. Quand la nouvelle est tombée, une avalanche de commentaires sont apparus en ligne, sur les médias et les réseaux sociaux.

Au lieu d’une vague d’émotion et de soutien pour rappeler à quel point la vie est précieuse, Internet a dévoilé un aperçu de la perception choquante que certaines personnes ont des influenceurs sur les réseaux sociaux.

“Ils l’ont bien cherché. Bon débarras.”

Ces dix dernières années, les réseaux sociaux sont devenus la vitrine d’une représentation idéale d’une vie parfaite. Suivis par des milliers de personnes qui les adulent, les influenceurs ne montrent que de belles choses, et un certain mode de vie, composé d’expériences et d’aventures. Parmi ces abonnés, beaucoup tentent de recréer la vie de ceux qu’ils admirent tant. Des millions de comptes remplis d’avocado toasts, de paysages apaisants et de photos soignées dans le confort d’un foyer sont désormais légion sur les réseaux sociaux.

Mais ces vies pseudo-parfaites suscitent de la rancœur. Du ressentiment envers ceux qui ont l’impression de ne pas vivre dans ce monde merveilleux, qui serait dénué de tristesse et de douleur, comme le suggèrent beaucoup d’influenceurs. La jalousie prend alors le dessus, accompagnée d’une envie de voir ces images de perfection réduites à néant.

“Je regarde les influenceurs sur les réseaux sociaux et je commence à rire.”

Les réactions effroyables aux décès de Ryker Gamble, Alexey Lyakh et Megan Scraper ont mis en lumière la façon dont la société se détache de la raison, et plus inquiétant encore, de l’empathie.

Avant de mourir, les trois YouTubeurs semblaient avoir la belle vie. Ils voyageaient aux quatre coins du monde et se créaient des souvenirs inoubliables. Bien sûr, leur comportement, qui n’était pas toujours respectueux de l’éthique et de la loi, a rapidement été dénoncé. Il y a deux ans, Gamble et Lyakh ont été punis par les forces de l’ordre et par les internautes après avoir traversé le Grand Prismatic Spring (un grand bassin d’eau chauffée à plus de 70 degrés qui est protégé) au parc national de Yellowstone, aux États-Unis.

Le fait que les influenceurs soient prêts à aller aussi loin pour vendre du rêve provoque un sentiment de rejet chez beaucoup d’internautes. Mais ces comportements discutables sont-ils une excuse pour célébrer la mort d’êtres humains, particulièrement dans des circonstances aussi tragiques ?

“Retour de karma. Ne respectez pas la nature et voilà ce qui vous attend.”

Ces drames révèlent la vérité derrière l’objectif. Rarement le retour à la réalité n’aura été aussi brutal, en montrant que les contes de fées ne sont finalement pas si éloignés de la vie de Monsieur et Madame Tout-le-monde. Les internautes ont saisi l’opportunité de rédiger des commentaires blessants, du type “Vous n’êtes donc pas si parfaits, finalement, hein ?”, heureux d’avoir la possibilité de s’adresser aux influenceurs et de se réjouir du fait que tout n’est pas parfait pour eux non plus.

Les créateurs de contenus en ligne doivent assumer le statut qu’ils ont actuellement dans la société. La vie n’est parfaite pour personne. Vendre cette image d’Épinal a clairement un impact négatif sur l’humanité, comme le montrent des études qui révèlent une augmentation du nombre de dépressions à cause des réseaux sociaux. Si cela peut sembler cool sur le moment, tout le monde — influenceurs ou abonnés — doit prendre ses responsabilités face à ces conséquences.

Personnellement, je suggère que nous nous débarrassions de cette idée ridicule qu’une vie utopique est possible. Alors qu’il suffit d’un bon appareil photo, d’un peu de maquillage et d’un compte Instagram pour faire illusion. Arrêtons de mettre cet idéal au centre de nos vies, utilisons nos appareils pour raconter une histoire qui montre ce qui nous rapproche tous, quel que soit notre statut social.

Nous nous débarrasserons alors peut-être de la rancœur et de la jalousie, et nous nous sentirons alors mieux dans notre peau. Et peut-être que dans ce monde imparfait, quand une tragédie pareille se reproduira, tout le monde pourra s’unir et faire preuve d’empathie.

Ne serait-ce pas un monde meilleur dans lequel vivre ?

Ce texte a été écrit par Dan Ginn, un photographe vivant à Londres, sur son blog. Vous pouvez le suivre sur Facebook, Twitter, and Instagram. Ce texte a été traduit par Sophie Janinet.