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The Unthinkable : comment un film de potes a fini par triompher à Gérardmer

The Unthinkable : comment un film de potes a fini par triompher à Gérardmer

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Au 26e Festival du film fantastique, ce thriller intimiste a remporté les prix de la critique et du jury. Focus sur la genèse de ce petit film réalisé par un enthousiasmant collectif suédois.

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Ils sont une demi-douzaine, ne perdent jamais le sourire et ne reculent devant aucun obstacle. Dites-leur “non” et ils trouveront à coup sûr un moyen ingénieux de vous convaincre d’un “oui” franc et massif. La trentaine éclatante, trois des membres du collectif Crazy Pictures ont quitté leur Suède natale pour fouler les terres vosgiennes, avec un beau cadeau cinématographique dans leur besace.

Avec The Unthinkable, mélange de survival et de drame familial, cette joyeuse bande a marqué la 26e édition du Festival international du cinéma fantastique de Gérardmer, remportant au final les prix de la critique, du jury (à égalité avec Aniara, un autre film suédois) et du jury jeunes.

Tout a commencé il y a une dizaine d’années, sur les bancs de l’école. Albin Pettersson et Olle Tholen sont devenus amis en partageant les mêmes rêves de cinéma, ce qui a donné lieu à des petits films d’adolescence. On a fait notre première réalisation à l’âge de 17 ans, pour nous amuser, explique le premier. Et lorsque la fin du lycée a sonné, on s’est dit : soit on s’oriente vers des études classiques, vers le cursus lambda et tout le tralala qui va avec, soit on continue notre aventure ensemble.”

La deuxième option est choisie au moment où ils rencontrent notamment Christoffer Nordenrot, qui deviendra le scénariste de leurs nombreux courts-métrages à venir, ainsi que de celui de The Unthinkable, dont il est aussi l’acteur principal.

Entrepreneurs touche-à-tout

(© Adso Films)

À 19 ans, ils lancent donc leur société. Leurs familles respectives, principalement composées d’entrepreneurs émérites, appuient cette initiative sans pour autant y croire à 100 %. Ils ont tort. De films publicitaires en courts-métrages – qui sont allègrement partagés sur les réseaux sociaux, où le nombre de fans monte en flèche –, Crazy Pictures connaît au fil des ans une ascension irrésistible et acquiert une notoriété certaine.

Faire tous ces films, ça a créé un lien très fort entre nous tous, confie Olle Tholen, comme s’il parlait de sa propre famille. Plus jeunes, on a tous joué dans des groupes de musique – du rock et de la pop, principalement. On aime cet esprit-là, cette énergie, et c’est ce qu’on retrouve dans notre société de production. Cette idée de rester dans le même navire contre vents et marées.” Et le collectif ne perd pas de vue l’essentiel, le but suprême : réaliser un long-métrage.

Il y a sept ans, l’ambitieux groupe tape à la porte de l’une des plus grosses structures de production cinématographique de Suède, avec un premier jet filmé pour appuyer leur requête. Leur envie ? Mettre en scène The Unthinkable, un film catastrophe dont l’action se déroule le jour de la fête nationale.

Alors que le pays sombre dans le chaos, le héros tente de regagner son village pour retrouver son amour de jeunesse et son père, avec qui le contact a été dramatiquement rompu depuis des années. En somme, un drame intimiste sur fond d’attaques mystérieuses. La recette ne plaît pas. On nous a répondu que c’était trop cher et impossible à produire dans notre pays”, se souvient Christoffer Nordenrot. Les membres de Crazy Pictures organisent dès lors une contre-attaque qui finira par payer.

C’est à ce moment-là qu’ils postent la première mouture du film sur leur page YouTube. Ils sont également présents sur Facebook et Instagram, où ils passent leur temps à filmer tout ce qui les entoure, y compris les journalistes leur posant des questions sur leurs travaux. Pour financer le projet rejeté, ils lancent une campagne Kickstarter.

En un rien de temps, ils obtiennent le triple de ce qu’ils désirent. De quoi repartir démarcher des partenaires… “L’industrie a du coup bien compris qu’on avait un public derrière nous, qui croyait en notre projet. Les financements traditionnels sont tombés aussitôt. En tout, le film a coûté 1,8 million d’euros”, affirme Albin Pettersson.

À l’écran, chaque pièce investie est maximisée de la plus belle des manières. Impossible d’imaginer que The Unthinkable a été fait à l’aide d’un petit budget tant ses séquences d’action, pourtant très artisanales, tiennent la dragée haute à bien des blockbusters mal inspirés.

Une vraie œuvre collective

<span class="m_592170837027608514gmail-s1">Christoffer Nordenrot dans <em>The Unthinkable</em>. </span>(© Asdo Films)

La clef du succès ? Une répartition du travail équitable et un principe de synergie chauffé à blanc, comme l’explique Olle Tholen :

“Notre école de cinéma, ce sont les commentaires des DVD, les tutos sur YouTube… On vient de là. Rien n’est impossible quand on veut y arriver. Et chez nous, il n’y a pas de place pour les jalousies. Tout le monde est logé à la même enseigne parce que tout le monde met la main à la pâte. Et puis on n’a quasiment pas besoin de parler pour se comprendre.”

Personne ne vous dira qui tient la caméra. Ils préfèrent se relayer et le flou est sciemment maintenu. Ensemble, ils font tout : du sound design aux posters, des bandes annonces aux effets spéciaux, en passant par la photographie ou la conception des décors… Leur politique ? “Le do-it together”, lancent-ils d’une même voix.

Fiers de leur cinéphilie, ils ne nient aucune de leurs influences, citant les œuvres de David Fincher et Christopher Nolan, Signes de M. Night Shyamalan, Premier contact de Denis Villeneuve et Morse de Tomas Alfredson, dont le producteur, John Nordling, a rejoint leur projet après des années d’inactivité. “Une fierté”, se félicitent-ils.

Disponible en DVD, Blu-Ray et VOD à partir du 6 avril, The Unthinkable réussit plutôt très bien son mélange des genres, commençant comme un drame social et familial pour finir sur un point d’interrogation oppressant. Au-delà du cinéma de genre, le message qu’on veut véhiculer ici, c’est qu’il faut dire les choses avant qu’il ne soit trop tard. Et ça parle aux Suédois. Beaucoup de gens gardent leurs émotions à l’intérieur d’eux-mêmes au point de vivre malheureux. La situation de guerre dans le film est quelque chose d’effrayant qui précipite et libère les émotions des personnages”, précise l’équipe.

Métaphore de l’inconnu, peur de ses propres sentiments, survie… l’opus a le mérite de surprendre grâce à une photographique particulièrement réussie. Crazy Pictures a été nommé trois fois aux Guldbagge, équivalents suédois de nos César, et a remporté le prix de la révélation. La preuve que la persévérance paye !