Les soirées alternatives peinent à trouver leur place en France

Les soirées alternatives peinent à trouver leur place en France

photo de profil

Par Maxime Retailleau

Publié le

“On est bien ou on est bien ?”

Fin de party

La suite, c’est Aladdin Charni qui me la raconte. Tandis que je rattrape mes heures de sommeil, les flics de la BAC repassent, vers 20h. Ils redemandent à voir les responsables, et cette fois les choses se corsent. La brigade ne veut pas lâcher le morceau, et décide de faire évacuer les lieux.
Elle appelle alors le commissariat du 19ème, qui rameute une dizaine de policiers devant le Péripate. À 20h40, le commissaire en personne arrive à son tour. Les flics évacuent alors rapidement le bâtiment, et confisquent le matériel son – d’une valeur totale de 20 000 euros environ. Ce qui met Aladdin sur les nerfs :

À voir aussi sur Konbini

La saisie était illégale, dans le sens où tu n’as pas le droit de saisir s’il y a moins de 500 personnes. Et là c’était le cas. Mais moi je ne le savais pas du tout à ce moment là, parce que je ne suis pas coutumier des saisies.
Tout ça pour un événement qui ne créait aucune nuisance sonore, c’est un peu dingue. L’habitation la plus proche est à 40 mètres…

Et les problèmes ne s’arrêtent pas là. En tant que responsable juridique des lieux, trois épées de Damoclès planent maintenant au-dessus de sa tête. Les chefs d’accusations qui lui sont adressés ? “Organisation illégale de spectacle”, “mise en danger de la vie d’autrui”, et “tapage diurne”. Le procès doit commencer dans quelques semaines, peut-on lire dans un message du Poney Club posté sur Facebook. C’était donc probablement la dernière soirée organisée au Péripate.

“Elle est ravagée cette scène-là”

On ne peut manquer de penser que ce que les autorités reprochent principalement au Péripate, c’est d’être un espace de liberté. Un lieu traversé par une effusion de vie presque surréaliste, où les conventions ordinaires ne pèsent plus, ça effraie certaines personnes.
Bientôt, le Poney Club sera traîné devant la justice : encore un vilain petit canard qui se fait botter le cul, car pas assez conforme aux normes existantes. Aladdin affirme d’ailleurs que le Péripate était le dernier espace à organiser des soirées comme celle de dimanche dernier. Fort de sept ans d’expérience dans le milieu, il est bien placé pour expliquer pourquoi :

Organiser des soirées comme ça, c’est très compliqué, et c’est très lourd en termes de responsabilité juridique. À la limite, on se ferait des mille et des cents… mais ce n’est même pas le cas. Et mine de rien, c’est épuisant… Il y a de vrais moments de grâce, mais c’est dur.

Il est difficile de savoir si d’autres squats, inconnus d’Aladdin, organisent des événements similaires. “Elle est ravagée cette scène-là, il n’y a quasiment plus rien“, déclare d’ailleurs Antoine Calvino, le journaliste à qui l’on doit le Guide de la Fête en France, publié par le magazine Trax en mai dernier.
Par le bouche-à-oreille, on entend néanmoins parler de quelques soirées très confidentielles : des résidents de squats invitent leurs potes, qui eux-même ramènent quelques-uns des leurs. Et tout est fait pour rester ni vu ni connu.
Certains résidents de squats ayant obtenu un bail organisent quant à eux des soirées où tout le monde est le bienvenue. Mais l’ambiance n’est pas comparable avec celle d’un after ; c’est plus gentillet. Il s’agit souvent d’événements tournés autour de concerts, comme ceux organisés par la Gare XP dans la caserne de Reuilly. Cependant, les soirées y restent très ponctuelles : “La fête ce n’est pas du tout leur cheval de bataille : ils gèrent surtout des ateliers d’artistes“, précise l’organisateur du Péripate.

Aladdin Charni ne baisse pas les bras

Les collectifs comme le Poney Club sont donc une espèce en voie de disparition. Pourtant, les autorités se montraient plus permissives il y a quelques années, comme l’évoque Aladdin :

Il y a 4-5 ans, il y avait beaucoup plus de soirées dans des squats. Il y avait la Miroiterie, le Soft, le Heaven à Ivry,  la Suite, et aussi nous – au Mont C., puis au Poney Club. Et puis sûrement d’autres dans lesquels je ne traînais pas.

Que des soirées illégales, “sauf la Miroit’, qui avait un accord tacite avec les flics“. Et le responsable du Poney Club de rappeler le foisonnement créatif auquel ces lieux donnaient naissance :

Pour moi, leurs événements étaient des incubateurs de nouveaux talents. Quand tu es libre, et que tu n’as pas cette nécessité d’être rentable, tu peux prendre des risques que les autres clubs ne prendront jamais.

Si les lieux accueillant des soirées comme celle du Péripate ont fermé successivement, c’est principalement parce que l’État associe ces dernières à la consommation de drogues. Les clubs eux restent pourtant ouverts, et les festivals fleurissent, alors que dans nombre d’entre eux il est tout aussi facile de trouver de la MDMA que d’aller commander une bière au bar. Sauf que les autorités acceptent de fermer les yeux dessus.
Mais Aladdin n’est pas du genre à se résigner. Au côté des cinq autres membres de son collectif, il entreprend actuellement des démarches pour trouver un accord avec la ville de Paris. Il compte remettre le Péripate aux normes de sécurité, et a lancé une pétition, espérant que la mairie lui concède un bail et l’autorise à y organiser de nouvelles soirées. Il sait d’ailleurs qu’il aura besoin de beaucoup de courage et de détermination, car rien n’est gagné pour l’instant… mais sait-on jamais !