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L’immense Michel Legrand est parti, nous laissant de sublimes mélodies

L’immense Michel Legrand est parti, nous laissant de sublimes mélodies

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Par Brice Miclet

Publié le

Connu pour ses musiques de films et pour avoir travaillé avec les plus grands noms de la chanson et du jazz, Michel Legrand s’est éteint cette nuit, chez lui. Il laisse derrière lui 60 années de succès, de classiques, et une carrière qui lui vaudra d’être l’un des musiciens français les plus respectés par ses pairs, toutes générations confondues.

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Qualifier un musicien de “génial” n’est pas anodin. L’adjectif est souvent utilisé à tort et à travers, et ne dit finalement pas grand-chose. Michel Legrand, décédé cette nuit à l’âge de 86 ans, en savait quelque chose, lui que l’on a souvent baptisé “le génie de la musique de film”, ou le “Mozart français”.

Avec excès, certes, mais il n’y a pas de fumée sans feu. La carrière de l’artiste est jalonnée d’œuvres capitales, qui auront marqué les années 1960, et qui avaient assez de forces pour s’imprégner dans les cerveaux des jeunes générations. Avec sa mort s’en va un musicien majeur, un visage et une personnalité à part.

Le jazz auprès des plus grands

Lorsque l’on évoque Michel Legrand, on pense forcément à deux films réalisés par Jacques Demy : Les Parapluies de Cherbourg en 1964, et Les Demoiselles de Rochefort en 1967. Deux films musicaux façonnés par le compositeur, dont les bandes originales et les esthétiques ont durablement influencé le cinéma, la mode et la musique française. Mais son œuvre est bien plus large.

Avant de devenir un papy gentil au ce visage malicieux et satisfait de son parcours, il a fait carrière aux Etats-Unis pour écrire des bandes sons cultes d’Hollywood (il récoltera trois Oscar entre 1968 et 1984), et marqué la scène jazz hexagonale de son empreinte. Respect.

Parisien de naissance, il entre au Conservatoire de musique de la capitale, et se passionne très vite pour le jazz, en parallèle du classique qu’il étudie. Il devient alors arrangeur, compositeur, et surtout leader dans diverses formations, jusqu’à travailler avec les plus grands : en 1958, il parvient à réunir Miles Davis, John Coltrane, Donald Byrd, Bill Evans et Ben Webster pour enregistrer l’un de ses albums phares, Legrand Jazz. Une de ses pièces maîtresses.

Dans ses notes, le Français racontait :

“Miles trônait alors au sommet du jazz new yorkais. Tout le monde disait : “Il va venir à la séance et se tenir près de la porte en gardant sa trompette dans son étui fermé. Il va écouter pendant cinq minutes, et s’il aime la musique, il va s’asseoir, ouvrir son étui, et jouer. S’il n’aime pas, il va repartir et il ne reprendra plus jamais contact avec toi”.

Je n’avais alors que 24 ans, et j’avais tellement peur que j’en avais des poussées de sueurs ! J’ai commencé à répéter avec l’orchestre. La porte s’est ouverte, et Miles a écouté près de la porte pendant cinq minutes. Puis il s’est assis, a ouvert son étui et a commencé à jouer. Après la première prise, il m’a demandé : “Michel, est-ce que mon jeu te convient ?”. C’est comme ça que tout a débuté”.

Poser les bases de la comédie musicale française

Mais c’est avec le cinéma qu’il va accéder à une renommée supérieure. Jean-Luc Godard, Agnès Varda, éminents membres de la Nouvelle Vague, font appel à ses talents. Puis Jacques Demy. Les Demoiselles de Rochefort et Les Parapluies de Cherbourg connaissent un succès énorme, et Michel Legrand pose les bases de la comédie musicale française en deux films. Ça n’est pas rien.

Parti s’installer à Los Angeles, il va alors se faire un nom à Hollywood, tout en continuant à irradier le cinéma français de ses orchestrations. L’affaire Thomas Crown en 1968, La Piscine en 1969, Peau d’ âne en 1970… puis Un Eté 42 en 1971.

Le tournage de ce dernier terminé, les producteurs du film ainsi que le réalisateur Robert Mulligan bloquent, n’arrivent pas terminer le montage. Il font alors appel à Michel Legrand, qui composera une musique (pour laquelle il récoltera l’Oscar de la meilleure musique de film) à partir des rushs qui lui sont présentés, et calent le montage en fonction de sa composition.

Il ne s’arrête plus, et devient, grâce à cet enchaînement de classiques, l’un des compositeurs les plus demandés dans l’industrie cinématographique.

Il était talentueux, et il le savait

Quincy Jones, Frank Sinatra, Sarah Vaughan, Claude Nougaro, Ella Fitzgerald, Charles Aznavour, Ray Charles, Edith Piaf, Henri Salvador, James Ingram… Il accompagne et travaille avec un nombre délirant de stars de la chanson, tout en continuant sa carrière solo avec de très bons albums tels que Le Jazz Grand en 1978, ou le trop méconnu After The Rain en 1983.

Michel Legrand ne s’est jamais arrêté de composer. Récemment, il avait participé à l’écriture de plusieurs bandes originales de films français, mais s’était aussi aventuré, avec moins d’inspiration, vers les chansons de Noël sur le disque collaboratif Noël ! Noël !! Noël !!!.

Surtout, il bénéficiait d’une aura gigantesque dans le monde de la musique, toujours qualifié de génie grâce à sa grande capacité d’improvisation et son côté touche-à-tout. Il le savait, et pouvait parfois paraître imbu de lui-même durant les émissions qui lui étaient régulièrement consacrées. Il était aussi parfois un peu vieux jeu dans ses déclarations, comme par exemple lorsqu’il évoquait le rap dans les colonnes du Parisien.

Rien n’oblige un homme né en 1919 à aimer le rap. Rien n’oblige d’ailleurs qui que ce soit à l’aimer. Cela n’enlève absolument rien à son parcours avec lequel peu de musiciens hexagonaux peuvent rivaliser, et son talent obtenu à force d’être formé par les plus grands, et de les avoir ensuite côtoyés, voire façonnés. De toute part, les hommages du monde de la musique affluent depuis l’annonce de son décès. C’est la moindre des choses.