Philip Roth a passé la plume à gauche : hommage à un monstre sacré de la littérature

Philip Roth a passé la plume à gauche : hommage à un monstre sacré de la littérature

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Author, Philip Roth, revisiting areas where he grew up. (Photo by Bob Peterson/The LIFE Images Collection/Getty Images)

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

La littérature américaine vit des jours douloureux. En quelques semaines, elle vient de perdre coup sur coup deux de ses idoles. Après le dandy Tom Wolfe, c’est au tour de l’immense Philip Roth de nous quitter. Il aura passé un demi-siècle à promener sa plume entre fiction et autobiographie pour le plus grand plaisir de ses lecteurs fidèles. Voyage dans les pas d’un géant, en trois bouquins.

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Autant vous le dire d’entrée de jeu, jusqu’à l’annonce de sa mort par le New York Times ce matin, Philip Roth était l’écrivain vivant le plus important au monde. Pour son œuvre littéraire d’abord, qui embrasse le XXe siècle et les tumultes de l’histoire américaine, pour la puissance de son écriture et sa façon de glisser des alter ego dans ses romans, mais aussi pour sa liberté totale de ton – quitte à choquer et créer la controverse.

Les génies sont autant admirés que détestés, et c’est ce qui a poursuivi Philip Roth toute sa vie. Le gamin de Newark (New Jersey, ville dont il fera un personnage central de son œuvre, a très rapidement été reconnu comme l’un des écrivains majeurs de son temps, sans pour autant faire l’unanimité au sein de la critique mondiale. Il a ainsi été cité pour le prix Nobel de littérature chaque année pendant des décennies mais, pour des raisons mystérieuses (pour ne pas dire scandaleuses), il ne l’a jamais obtenu.

Le meilleur hommage qu’on puisse rendre à un écrivain étant de faire lire et relire ses textes, voici trois livres minutieusement sélectionnés par le Konbini Book Club pour se plonger dans l’œuvre sublime de Philip Roth.

Premier succès, premier scandale : Portnoy et son complexe (1969)

Philip Roth soigne ses entrées. Son premier grand succès est aussi son livre le plus décrié. Dans Portnoy et son complexe, le jeune héros se confie sans détour à son psychanalyste sur son obsession pour la masturbation, son rapport pathologique à sa mère, sa vision de l’Amérique et son rapport à la judéité.

Une comédie satirique et lubrique qui choque son monde. Il y a ceux qui s’insurgent contre ces pages interminables où l’on dévoile crûment les mystères de la sexualité d’un jeune homme, et puis il y a ceux qui dénoncent l’antisémitisme qui se cacherait derrière les mots de l’auteur (qui était pourtant juif).

Philip Roth est un portraitiste sans concession de l’Amérique. Sa lucidité et son sens de l’analyse inégalable lui jouent des tours, d’autant qu’il est inconcevable pour lui de taire la moindre vérité sur le monde qui l’entoure. Chef-d’œuvre quasi anthropologique, le roman nous tend un miroir grossissant sur un lieu, une époque, un âge de la vie et une communauté religieuse. Un voyage littéraire envoûtant.

La consécration : Pastorale américaine (1997)

Le cycle Nathan Zuckerman est le cœur de l’œuvre de Philip Roth. Ces neuf romans mettent en scène son double littéraire. Parmi eux figurent certains de ses ouvrages les plus géniaux. Pastorale américaine est de ceux-là. Paru en 1997, il est sans doute le livre le plus acclamé par la critique. Il vaut à Philip Roth le prix Pulitzer de la fiction 1998, plus haute reconnaissance littéraire américaine, et le Prix du meilleur livre étranger en France.

L’histoire, c’est celle de Seymour Levov dit “le Suédois”, ancienne idole sportive d’un lycée de Newark. Le Suédois a réussi sa vie et est devenu le symbole de l’American Dream. Il a fait prospérer la ganterie paternelle, il a épousé Miss New Jersey et il règne loin de la ville sur une vieille demeure de pierre qu’on surnomme “la Pastorale américaine”.

Mais, en se replongeant dans la vie de son ancien camarade de classe, Nathan Zuckerman se rend compte qu’une ombre noircit le tableau. Avec le destin de la fille rebelle de Seymour, Merry, devenue une activiste radicale, c’est une tout autre Amérique qui vient fracasser ce petit coin de paradis – celle des tumultes des années 1960, des Civil Rights, de la Guerre du Vietnam et de la lutte pour la conscience nationale.

Un tableau époustouflant de la complexité de la société américaine et de cette période fascinante qui a fait de ce pays ce qu’il est aujourd’hui. Philip Roth donne à voir, sans jamais prendre parti, un pan entier de l’histoire de son pays, en témoin amusé de la folie des hommes.

Le roman coup de poing : La Tache (2000)

Avant-dernier roman du cycle Nathan Zuckerman, La Tache est l’un des livres les plus appréciés du public et le coup de cœur du Konbini Book Club. Et pour cause : c’est sans doute l’œuvre la plus forte de Philip Roth. Coleman Silk, ancien doyen de l’université d’Athena et ancien professeur de lettres classiques, est un vieil homme révolté. Il contacte Nathan Zuckerman pour lui demander d’écrire son histoire. Son épouse vient de mourir, usée par la cabale dont il a été victime (à la suite d’une accusation de racisme, il a été forcé de prendre une retraite anticipée). Après des années de résignation, il compte enfin dire sa vérité.

Le roman, alternant entre la discussion entre les deux hommes et des flash-back sur les incidents qui ont conduit Coleman dans cette situation, lève peu à peu le voile sur ce qui s’est réellement passé et sur les raisons qui ont poussé Coleman à ne pas se défendre jusque-là.

La force de ce livre réside dans la manière brillante avec laquelle Philip Roth met le doigt sur les impostures de ce monde, sur la manière dont un moment de notre vie peut faire tout basculer, s’il est mal interprété. Un sujet d’une actualité brûlante. Philip Roth surprend avec un roman qui prend le lecteur à la gorge et met en place un suspense insoutenable au fur et à mesure qu’on découvre de nouveaux secrets sur les personnages.

S’il ne devait en rester qu’un, ce serait celui-là. Lisez-le !